Le Nouveau Modèle de développement
Par : Abdeslam Seddiki
Le nouveau modèle de développement dont le Maroc a besoin pour enclencher une nouvelle dynamique de progrès économique et social et d’intégration réussie dans le marché mondial, doit nécessairement accorder une place centrale et stratégique à l’Etat en tant qu’investisseur, régulateur et facilitateur. Cette posture que nous exprimons avec force ne relève nullement de considérations idéologiques ou d’un quelconque parti pris, mais au contraire, elle s’appuie sur des raisons d’ordre théorique, historique et des raisons propres à l’expérience vécue par notre pays depuis son indépendance politique.
Sur le plan théorique, l’on sait que les marchés laissés à eux-mêmes sont incapables d’assurer un ensemble d’objectifs nationaux et d’atouts essentiels au développement comme la satisfaction prioritaire des besoins de la population ou la diversification des économies pour les rendre moins dépendantes de l’extérieur. La notion de marchés parfaits et rationnels (théorie de la concurrence pure et parfaite) n’existe que d’une manière abstraite dans l’esprit de ceux qui maîtrisent la confection des courbes de l’offre et de de la demande.
Dans la pratique et le monde réel, les choses se passent autrement : les marchés expriment et entérinent le rapport des forces entre les deux principaux intervenants à savoir les producteurs et les consommateurs. En général, le rapport des forces est rarement en faveur du consommateur. D’où la nécessité de l’intervention de la puissance publique pour réguler le fonctionnement du marché et corriger ses multiples dysfonctionnements au travers l’édiction d’une série de lois et de règlements.
Sur le plan historique, l’expérience des différents pays développés et émergents nous montre que les Etats ont joué un rôle central surtout au cours de la première phase de développement. L’Etat s’occupait de tout ce qui est stratégique laissant le privé prendre en charge le reste, dans le but de maximiser les effets multiplicatifs d’induction et d’entrainement sur l’ensemble de l’économie et de la société. Aujourd’hui, ces pays, y compris la Chine Socialiste, disposent d’un secteur privé performant et compétitif à l’international.
Le Maroc ne pourra faire l’exception à ce processus historique. D’ailleurs, tous les paris sur le secteur privé et nonobstant les multiples avantages qui lui ont été gracieusement et généreusement accordés ont quasiment échoué. Le secteur privé national n’arrive pas à décoller et à voler de ses propres ailes. Il demeure, dans l’ensemble, frileux, prenant peu de risque, privilégiant le gain immédiat sur la rentabilité à moyen et long termes, préférant les activités spéculatives aux activités productives. Par conséquent, et au regard de la phase historique que traverse notre pays, le rôle de l’Etat s’avère fondamental, voire stratégique. Reste à savoir en quoi consisterait au juste ce rôle et que devrait faire l’Etat d’une façon concrète?
L’investissement public, entendu au sens large, concernera en premier lieu, l’infrastructure. Il s’agit de poursuivre l’effort qui a été fait jusqu’à présent à travers l’élargissement des infrastructures à l’ensemble du territoire en accordant une place particulière aux régions et contrées défavorisées. A cet égard, force est de constater que les besoins sont immenses. Une mise à niveau territoriale est plus que jamais nécessaire.
En deuxième lieu, l’Etat a l’obligation d’assurer les services publics à la population. Des services publics de qualité offerts gratuitement, du moins pour les populations démunies et elles sont, hélas, nombreuses. Dans tous les cas, il est hors de question que ces services indispensables à une vie décente, soient traités comme de simples marchandises. Des secteurs comme l’éducation, la santé, doivent relever essentiellement, sinon exclusivement, de la responsabilité de l’Etat en tant que garant des droits économiques et sociaux fondamentaux. Le développement ne signifie rien d’autre que « la couverture des frais de l’homme».
En troisième et dernier lieu, l’Etat doit être présent dans les secteurs productifs et financiers jugés stratégiques à un moment donné. Certes, le caractère stratégique ou non d’une activité donnée n’est pas immuable. Il évolue dans le temps en fonction des dynamiques sociétales, du niveau de maturité du secteur privé, de la nature des besoins à satisfaire et des défis à relever. Ainsi, ce qui est stratégique aujourd’hui ne le sera pas forcément demain, et vice versa. A l’heure actuelle, on peut dresser toute une liste de secteurs où l’Etat doit être présent à un niveau ou à un autre. Outre les domaines d’infrastructure signalés précédemment, il y a lieu de souligner les domaines de l’énergie, des NTIC, de la recherche scientifique et de l’innovation, du transport aérien et ferroviaire, de l’exploitation et la valorisation des produits miniers, du secteur bancaire et financier…
Il va sans dire que dans tous les domaines énumérés, rien n’oblige l’Etat à agir seul pour être en position de monopole ou de se mettre absolument en position majoritaire. Il serait plus que souhaitable de nouer des partenariats public-privé dans l’optique d’assurer une meilleure coordination et une meilleure adéquation entre les moyens disponibles et les fins envisagées. Ce faisant, le secteur public jouera effectivement son rôle de locomotive et poussera vers l’avant le secteur privé et la société dans son ensemble. En tout état de cause, il ne s’agira nullement de faire obstacle au développement de l’initiative privée et à la participation du secteur privé- qu’il soit national ou étranger- à la création de richesses.
Au contraire, nous avons besoin plus que jamais d’un secteur privé plus entreprenant, citoyen, socialement et écologiquement responsable, exerçant dans le cadre des objectifs nationaux et démocratiquement élaborés. Ces mêmes exigences s’appliquent, du reste, au secteur public appelé à faire sa mue pour être plus efficient, plus démocratique et plus apte à assumer les fonctions et les missions qu’exige l’étape historique actuelle.