Tchad: Déby succombe à ses blessures au combat

Les rebelles promettent de marcher sur N’Djamena

Le président tchadien Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 30 ans et partenaire-clé des Occidentaux contre les jihadistes au Sahel, est mort de blessures reçues au combat contre des rebelles qui ont promis de marcher sur N’Djamena, et un de ses fils lui a succédé mardi à la tête d’un conseil militaire.

Un Conseil militaire de transition (CMT) présidé par le général quatre étoiles Mahamat Idriss Déby, 37 ans, jusqu’alors chef de la redoutable Garde présidentielle, unité d’élite et garde prétorienne du régime, a dissous gouvernement et Assemblée nationale et juré que de nouvelles institutions verraient le jour après des élections « libres et démocratiques » dans un an et demi.

Mahamat Idriss Déby a nommé les 15 généraux qui composent le CMT. Dans ce décret signé par le fils du défunt président, s’ensuivent, en plus du sien, les noms de 14 généraux connus pour être dans le cercle des plus fidèles du chef de l’Etat.

Les rebelles, qui mènent depuis neuf jours une offensive contre le régime tchadien, ont promis de marcher sur N’Djamena et rejeté « catégoriquement » ce conseil militaire. « Nous comptons poursuivre l’offensive », a assuré Kingabé Ogouzeimi de Tapol, porte-parole du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT).

Les obsèques nationales d’Idriss Déby Itno, mort lundi selon la présidence, auront lieu vendredi à N’Djamena avant son inhumation dans sa région natale dans l’extrême Est.

La France « perd un ami courageux », a annoncé l’Eysée dans un communiqué, soulignant l’importance d’une « transition pacifique » et son « ferme attachement à la stabilité et à l’intégrité territoriale » du Tchad.

Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a appelé à une transition militaire d’une « durée limitée » qui conduise à un « gouvernement civil et inclusif ». La ministre française des Armées Florence Parly a de son côté affirmé que la France « perd un allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ».

Après avoir écarté par l’intimidation ou la violence quelques rares ténors d’une opposition divisée, le maréchal Déby avait été proclamé lundi soir – l’annonce de sa blessure n’avait pas encore été rendue publique – vainqueur de la présidentielle du 11 avril pour un sixième mandat, avec 79,32% des voix, une annonce en avance sur le programme prévu.

Ce militaire de carrière, puis rebelle qui s’était emparé par les armes du pouvoir en 1990, n’avait de cesse de se présenter, souvent en battle-dress, comme un « guerrier ». Il a été grièvement blessé en allant diriger lui-même, à 68 ans, les combats de son armée contre une colonne de rebelles infiltrés, comme souvent, depuis la Libye, à plusieurs centaines de kilomètres de N’Djamena.

Dans la capitale mardi, quelques heures après que l’armée a annoncé sa mort, les écoles ont fermé et les parents sont venus, paniqués, chercher leurs enfants. Les fonctionnaires, dont les administrations ont également fermé, sont repartis précipitamment chez eux.

De nombreux membres de la Garde présidentielle arpentent la ville en civil, reconnaissables à l’arme de poing glissée sous leurs vêtements et à leur talkies-walkies. Les policiers ont revêtu leur « tenue de combat », comme ils l’appellent: entièrement noire, cagoule ne laissant entrevoir que les yeux. La présence militaire n’est pas plus visible que depuis le début de l’offensive rebelle le 11 avril, jour de la présidentielle.

Le maréchal Déby « a pris la tête des opérations lors du combat héroïque mené contre les hordes terroristes venus de la Libye. Il a été blessé au cours des accrochages et a rendu l’âme une fois rapatrié à N’Djamena »: en début de matinée mardi, un porte-parole annonçait la nouvelle en lisant un communiqué à la télévision d’Etat.

Le CMT « présidé par le général de corps d’armée Mahamat Idriss Déby, garantit l’indépendance nationale, l’intégrité territoriale, l’unité nationale, le respect des traités et accords internationaux et assure la transition pour une durée de 18 mois », a précisé l’armée.
Un couvre-feu a été instauré et les frontières terrestres et aériennes ont été fermées.

M. Déby avait renversé Hissène Habré (au pouvoir de 1982 à 1990) dont il était l’ancien commandant de l’armée. Puis sa Garde présidentielle avait, des années durant, réprimé sévèrement toute opposition avant qu’il n’assouplisse son régime et l’ouvre à un multipartisme « contrôlé », selon les experts.

Il avait été promu au rang de maréchal en août dernier, pour faits d’armes, après avoir, il y a un an, commandé en personne une offensive de son armée en profondeur au Nigeria voisin pour y poursuivre des jihadistes de Boko Haram qui venaient d’attaquer un camp militaire au Tchad.

Le régime d’Idriss Déby était considéré par les Occidentaux, en particulier la France, l’ancienne puissance coloniale, comme un partenaire essentiel dans la guerre contre les jihadistes au Sahel. Le Tchad, enclavé entre des Etats faillis tels que Libye, Soudan et Centrafrique, est un contributeur de poids en soldats et armements dans ce conflit.

L’armée tchadienne fournit également aux Casques bleus de l’ONU au Mali un de leurs principaux contingents et passe pour la plus aguerrie de la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad).

L’histoire du Tchad indépendant est ponctuée d’épisodes de rébellions armées venues du Nord, de la Libye ou du Soudan voisin. Idriss Déby était lui-même arrivé au pouvoir à la tête de forces rebelles ayant foncé sur N’Djamena.

Durant le week-end, il avait rejoint son fils Mahamat pour diriger les combats dans le Nord contre la coalition rebelle du FACT.

Lundi, l’armée assurait les avoir écrasés mais des rumeurs persistantes avaient filtré sur de violents combats laissant de nombreux morts et blessés de part et d’autre. L’armée n’avait reconnu que six tués dans ses rangs et affirmé avoir tué plus de 300 « ennemis ».

Le FACT avait donné lundi une liste des officiers supérieurs tués, portés disparus, blessés et en fuite, blessés parmi lesquels figurait un certain « colonel Idriss Déby Itno », le dernier grade que lui reconnaissaient ses détracteurs. L’information n’avait pas été confirmée de source officielle.

Dans le massif du Tibesti, frontalier avec la Libye, mais aussi dans le Nord-Est qui borde le Soudan, des rebelles tchadiens affrontent régulièrement l’armée, depuis leurs bases arrières dans ces pays.

En février 2019, venus de Libye pour tenter de renverser le régime, ils avaient été stoppés par des bombardements d’avions de combats français sur demande de N’Djamena.

En février 2008, une attaque rebelle avait déjà atteint les portes du palais présidentiel avant d’être repoussée, là aussi grâce au soutien militaire décisif de Paris.

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