3 Mai 2024 : la mutilation de la presse

Jamal Eddine Naji

Au moins 141 journalistes et professionnels des médias palestiniens ont été tués et 70 autres blessés dans la guerre menée par Israël contre la bande de Ghazza, a annoncé jeudi 2 Mai le bureau gouvernemental des médias à Ghazza. Dans un communiqué, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai, ce bureau avance encore qu’au moins 20 journalistes étaient toujours emprisonnés dans les geôles israéliennes.

D’autres organisations, comme la Fédération internationale des journalistes (FIJ), font part de bilans beaucoup plus lourds. « C’est le plus choquant et le plus horrible des massacres de journalistes qu’il m’a été donné de voir », a déclaré le secrétaire général adjoint de cette Fédération, Tim Dawson. La FIJ, basée à Bruxelles, regroupe 600 000 membres à travers le monde, des syndicats et des associations de journalistes.

Quant au Comité de Protection des Journalistes (Committee to Protect Journalists, basé à New York, crée en 1981 par des journalistes américains), il s’est déjà alarmé en 2023 du fait que des membres des médias étaient « apparemment pris pour cible » par l’armée israélienne, notamment une dizaine de tués à Ghazza, possiblement « visés de manière délibérée » … Ce qui pourrait constituer un « crime de guerre », estime Jodie Ginsberg, Présidente du CPJ en rappelant que « les journalistes à Ghazza sont des témoins en première ligne ». Dans son rapport, Mme Ginsberg indique que sur les 99 morts en 2023, « l’immense majorité (72) étaient des journalistes palestiniens tués dans des attaques israéliennes sur Ghazza, alors que, par contraste, hors de ce conflit, 22 journalistes et employés de médias ont été tués dans 18 pays ». Du fait de ces chiffres macabres à Ghazza, le rapport 2023 du CPJ relève une hausse de 44% en un an des professionnels de la presse tués sur la planète ! En un mois, entre début octobre et mi-novembre 2023, « 50 journalistes du Proche-Orient ont perdu la vie dans des bombardements – en grande majorité à Ghazza ». Octobre a été le mois le plus meurtrier pour les journalistes depuis que le CPJ a commencé à recueillir des données en 1992, lit-on encore dans ce rapport.

Ce bilan de dizaines de journalistes assassinés à Ghazza, nous apprend donc que ces professionnels qui, en principe et de par le droit international, doivent être protégés et non ciblés, font en fait partie, aux yeux de la soldatesque israélienne, des objectifs à abattre comme les 35.000 civils palestiniens et palestiniennes et les 78.000 blessés à ce jour du 3 Mai 2024 sur une bande de terre de 365 km² où 2 millions de civils sont encerclés et bombardés jour et nuit au milieu de décombres et de routes éventrées cachant aux survivants pas moins de 7500 tonnes de munitions non explosées dispersées à travers toute cette bande, selon les Nations Unies !

« Les journalistes font partie de la société qui est ciblée. Il n’est donc pas surprenant qu’ils meurent en si grand nombre », soutient de ce fait Fiona O’Brien, de Reporters sans frontières (RSF). « Au sein de RSF, dit-elle, nombreux sont ceux qui pensent qu’un effort concerté est fait pour que la guerre ne soit pas couverte et pour empêcher les journalistes de faire leur travail correctement » … C’est-à-dire librement et en sécurité devrait-on ajouter. Comme l’exige le droit international et le droit de la guerre.

Mais la guerre à Ghazza n’est pas concernée par le droit international, ce n’est pas un sujet comme le démontre et le martèle, à coup de bombes, de drones, d’avions et de snipers l’envahisseur qui accompagne ses coups, presque simultanément, d’offensives, dans plusieurs langues, sur presque toutes les tribunes de la presse mondiale ainsi bien enchainée loin du terrain qui doit être sa seule destination, sa principale source et sa raison d’être professionnellement pour aborder le… sujet et en faire un sujet, en toute indépendance.

Israël a su comment mutiler la presse mondiale pour la reléguer loin du front de la guerre comme un mutilé de guerre, déjà ou d’emblée démuni de ses capacités qu’il ne peut prétendre mener son propre combat, avec ses propres règles et objectifs : le combat de témoigner, de rapporter une information libre et de dévoiler…la vérité.

Qui, de cette profession, le journalisme, n’aurait pas honte cette année de célébrer la journée mondiale de « la liberté de la presse » ? ! Quel combat mener encore pour cette liberté, en détournant le regard de Ghazza ?!

Pour cette profession il y aura désormais un avant et un après Ghazza. Ghazza entre dans l’histoire du journalisme et dans la genèse de la presse, cette œuvre humaine vouée à la vérité et à l’humanité du genre humain !

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