L’Afrique, future géant économique? Cette question, qui fait aujourd’hui l’objet d’un débat international, a été au centre de la réflexion d’experts marocains, qui se sont réunis à l’occasion d’un colloque organisé par le Centre d’Etudes et de recherches Aziz Belal et l’Institut des études africaines sur «l’Afrique, un continent en devenir».
Pour Mohamed Nabil Benabdellah, présent à cet événement, le continent africain regorge de potentialités énormes. C’est là que tout se passe, pour reprendre l’expression du ministre de l’Aménagement, du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville. D’ailleurs, les pronostics concernant la croissance en Afrique sont positifs. «Le taux de croissance devrait en moyenne dépasser 4% en 2017 et 2018, après avoir baissé entre 2015 et 2016», a rappelé le ministre.
Cependant, les contraintes de l’urbanisation ne sont toujours pas levées. Or, le continent va abriter un quart de la population mondiale en 2050. Ce qui pose une série de défis. Le ministre cite les défis liés à l’emploi, à l’éduction et aux équipements publics. Pour lui, le continent est confronté à des défis beaucoup plus importants que ceux qui se posent au Maroc. «C’est même le début du parcours pour certains pays», a-t-il déploré. Le développement du continent nécessite de «placer résolument la coopération au rang des priorités». Le Maroc a emprunté cette voie à travers les conventions signées avec plusieurs pays africains dans le cadre de la volonté royale d’asseoir une coopération solide. Mais au-delà de la volonté royale, cette collaboration exige la mobilisation de tous, de l’avis de Benabdellah qui a surtout insisté sur l’implication du monde universitaire. L’impératif de repenser la carte des partenariats, notamment sur le plan commercial, se pose aussi avec acuité. Car, comme l’a rappelé le ministre, le Maroc coopère essentiellement avec l’Afrique de l’Ouest, et à moindre degré avec les pays de l’Est.
L’ouverture du Maroc sur les pays subsahariens n’est plus un choix. Mohamed Chiguer, président du CERAB, s’est montré catégorique sur ce point : «Dans un monde globalisé, cette ouverture s’impose comme une nécessité», a-t-il dit.
Toutefois, la croissance en Afrique cacherait d’autres réalités. «A elle seule, la croissance ne génère pas le développement», prévient Mohamed Chiguer. Alors qu’il est souvent affirmé que la croissance entraîne inéluctablement le décollage économique du continent, le président du CERAB met en garde contre les conséquences de cette croissance, notamment en termes d’inégalités et de la persistance du chômage. A titre d’exemple, l’industrie manufacturière ne fournit que 6% des emplois.
Le patron du CERAB ne cache pas son pessimisme. Selon lui, «60% des composantes de l’Afrique ont peu de chances d’améliorer leur situation». Mohamed Chigueur ne fait pas non plus dans la dentelle pour attaquer les puissances étrangères, qualifiant la croissance en Afrique de «malsaine» dans la mesure où elle profite davantage au capital étranger. Cela l’amène d’ailleurs à s’interroger si l’Afrique va se développer dans le cadre de la délocalisation industrialisante, qui s’accompagne du transfert technologique, ou de délocalisations et de sous-traitance.
De son côté, M’hammed Echkoundi, professeur à l’Institut des études stratégiques, a livré les pistes à même d’accélérer le processus d’industrialisation du continent. L’Afrique pourrait s’inspirer des pays du groupe des BRICS, à savoir la Chine, la Russie, le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde. Il s’agit de pays qui ne se sont pas alignés sur les règles de jeu de la gouvernance mondiale. L’idée est d’emprunter des trajectoires nationales laissant penser à une variété du capitalisme. Autrement dit, les pays africains doivent s’insérer dans la mondialisation, mais à leur manière et à leur rythme. M’hammed Echkoundi prône aussi la fragmentation du système productif. L’idée est que chaque pays se spécialise dans un segment de la chaine de valeur.
Hajar Benezha