Il a marqué de son sceau la musique populaire marrakchie
Par : Fouad Benjlika (MAP)
« Bana » pour les amis et les proches qui l’ont connu et côtoyé, de longues années durant, Abderrahim Bani de son vrai nom, est une icône de l’art et de la musique populaires 100% marrakchis, ayant marqué du sceau de l’innovation et du talent ce patrimoine authentique du Maroc profond.
De par son talent confirmé et son amour inconditionnel pour les rythmes synchronisés et les chants ancestraux, l’artiste « Bana » a su inscrire son nom en lettres d’or dans les annales artistiques aussi bien au niveau local qu’à l’échelle nationale, et à devenir le symbole de la chanson populaire marrakchie, celle associant en toute subtilité chants, rythmes et pitreries entre autres.
Ce natif de la cité ocre en 1968 est le digne successeur d’une lignée d’artistes habités par la musique traditionnelle marocaine : Son père était un artiste célèbre et son oncle Omar Mehri, qui travaillait au sein du groupe musical créé par Feu Hamid Zahir, est une figure artistique très appréciée du grand public marocain par ses jeux de scène, pitreries et mimiques cocasses.
Le jeu musical de cet artiste de la ville d' »Al Bahja » (Joie), demeure de toute beauté et singularité, en ce sens qu’il ne cesse de promouvoir et mettre en avant le patrimoine musical de sa ville natale à savoir : les styles dakka, Tkitikates et Gnaoua, fusionnés pour donner à ses chansons un air; à la fois; burlesque et festif.
Et ce n’est pas tout, Bana a eu aussi le mérite d’avoir grandi à « Sebtiyine », un quartier emblématique de l’ancienne Médina et berceau de la « Daqqa Marrakechia », des « Tkitikates », et d’autres formes et styles d’arts traditionnels. Un vrai terreau pour l’éclosion de jeunes talents ayant marqué l’évolution de ces arts très appréciés de tous.
Si Bana a pu évoluer dans un environnement familial à vocation artistique et a appris la musique, depuis son bas âge, par son père et des artistes de son quartier, cet artiste a, néanmoins, réussi à se démarquer, en innovant dans ces arts traditionnels et en créant un style artistique propre à lui, dans lequel, il n’hésite pas à mélanger, en toute aisance, le dialecte arabe avec des langues étrangères, à l’instar de sa célèbre chanson divertissante « Excuse me je ne sais pas ».
Chaque chanson composée et diffusée par « Bana » crée la sensation pour être si vite reprise par les autres troupes de la Daqqa Marrakchia et des Tkitikates.
Cet artiste qui, déjà à l’âge de 17 ans, jouait presque tous les instruments traditionnels de musique utilisés dans la Daqqa, avait en 1986 fondé le groupe de « banalabsate » qui connait un franc succès dans tout le Maroc comme à l’étranger et ce, depuis l’enregistrement de son premier album. Mettant en valeur les arts populaires via des rythmes et des mélodies inspirés du vécu des gens de l’ancienne Médina de Marrakech, en grande majorité des artisans, le groupe « Banalabsate » a vite gagné le coeur des Marocains.
Les grandes réalisations de cet artiste autodidacte « hors-pair » ont été si vite récompensées, puisque « Bana » a réussi à décrocher plusieurs contrats de travail sur la scène nationale comme à l’échelle internationale. C’est ainsi qu’il avait pris part à la Semaine du Maroc en France en 1998 comme dans différentes activités artistiques et culturelles en Espagne, sans oublier le prestigieux Festival des Gnawa et Musiques du Monde à Essaouira.
Bana et sa troupe « Banalabsate » a aussi participé dans plusieurs pièces de théâtre notamment, avec le grand artiste Feu Hassan El Joundi.
Tout au long de sa carrière musicale riche, Bana et sa troupe ont multiplié les déplacements pour participer à des festivals et des manifestations culturelles, occasion pour lui de faire connaitre davantage et célébrer entre marocains et étrangers, la splendeur et l’originalité de la musique traditionnelle marocaine réputée à travers le monde par sa richesse, sa singularité et sa diversité.
Et ce n’est nullement étrange si cet artiste voue un amour sans limites pour son pays, pour sa ville natale, pour l’ancienne médina, sa muse et le lieu de sa naissance et de vie. Et pour preuve : Bana n’a jamais eu l’idée de quitter un jour la cité ocre. « Quitter Marrakech est pour lui comme ce poisson qui quitte son aquarium », a-t-il confié à la MAP. Il avoue également sa nostalgie pour les temps des N’zahas ( longues promenades), où les gens adoptaient un mode de vie si simple et si décontracté leur permettant de se libérer du temps, plutôt que de viser l’accumulation des richesses.
« Bana » se souvient aussi des années de gloire populaires des artistes qui étaient traités avec tant de respect et d’estime et hissés au rang de « notables » au sein de la société, citant à titre d’exemple l’exonération dont, il bénéficiait ainsi que les membres de sa famille concernant certaines prestations ( frais du hammam ou encore du four), se rappelle-t-il. Quant à l’espace baptisé « Riad Al Hikma », où « Bana » s’isole pour créer et où, sa troupe se réunit régulièrement pour faire les répétitions des chansons, il demeure un lieu « vivant » où, les activités culturelles et artistiques foisonnent.
Pour pouvoir être en mesure d’accompagner les mutations numériques, cet artiste n’a pas hésité à créer sa propre TV (TVBana) sur Youtube où, il se targue d’avoir plus de 42.000 abonnés.
Celui qui a appris la Daqqa marrakchia et les Tkitikates par sa famille, est soucieux de transmettre ce patrimoine immatériel à ses enfants, afin de préserver ces trésors « menacés de disparition », tout en se montrant optimiste et très rassurant quant à l’avenir de ces arts traditionnels.
En effet, actuellement la cité ocre compte plus de 60 groupes professionnels dédiés à la Daqqa marrakchia et aux Tkitikates, outre des troupes « amateurs », indique Bana en grand connaisseur des arts traditionnels de Marrakech dans leurs moindres détails.
Cet engagement en faveur de la préservation des arts traditionnels l’a amené à préparer une « symphonie de la Daqqa Marrakchia » avec la participation de 300 artistes ainsi qu’une « symphonie des Tkitikates » avec la participation de 600 artistes.
La composition de ces symphonies a été confiée au célèbre compositeur marocain Abdellah Issami. Ce projet titanesque vise à préserver ce patrimoine immatériel inestimable et surtout à assurer sa transmission aux générations futures.
Cette passion pour les arts traditionnels l’a conduit aussi à organiser le Festival Jemaâ Fna pour le patrimoine immatériel et l’artisanat, qui soufflera cette année sa 6è bougie.
Cette figure de proue de l’art traditionnel au niveau de la cité ocre avoue, en guise de conclusion, que l’artiste ne peut pas vivre de son art car, même si le travail ne manque pas (festivals et fêtes entre autres). Car, c’est bien lui ce « Raiss » (Maître) qui a la responsabilité d’une troupe composée de près de 60 artistes.