Point d’orgue
Covid et modernité 3/3
L’actuel coronavirus s’est révélé un véritable globe-trotter qui ignore les frontières. La déclaration de la maladie comme une pandémie par l’OMS, comme un problème planétaire, a déclenché des réponses non pas mondialement solidaires, mais plutôt individuelles à l’échelle des états-nations.
Les frontières, effacées pour faire circuler les marchandises et les capitaux, s’érigent à nouveau comme autant de murailles de Chine que d’états. En l’absence d’une gouvernance mondiale, de plan d’urgence multilatéral, les structures nationales se sont imposées comme uniques acteurs légitimes pour gérer la crise.
La réussite relative dans le combat contre la Covid 19, approximée par l’efficacité de l’endiguement de la pandémie et le nombre de décès enregistrés,est revendiquée, sans considération des niveaux de développement, comme un motif de fierté nationale. Par contre, la peur de la maladie, l’échec relatif dans l’arrêt de son essaimage et du sauvetage des vies est source de honte.
Les valeurs de honte et de fierté des personnes et même des états-nations, passées un temps pour archaïques dans les sociétés industrielles et post-industrielles, rejaillissent brusquement des interstices confinées du monde globalisé où la production en flux tendus était devenue la norme. La production ou non de masques, de respirateurs, de médicaments, de blouses, de gants ou de tests et la capacité de prise en charge des maladesont convoqué l’ire ou la satisfaction du grand nombre.
Cet impact sur l’opinion publique a provoqué une sérieuse remise en cause du dogme et des ressorts de la division internationale du travail. Un nouveau discours idéologique se développe aux États-Unis et en France et répand les vieilles idées protectionnistes et de repli sur soi qui ont fait florès depuis Friedrich List jusqu’aux années 1970. Les étendards d’«America first» et de la « souveraineté » sont redéployés à nouveau pour calmer les critiques d’une gestion chaotique et satisfaire les besoins en fierté de nations en perte de vitesse.
Au moment où la globalisation a développé et généré des écosystèmes et des problèmes mondiaux, l’annonce de ces solutions individuelles et territorialisées, fortement reliées à des agendas électoraux nationaux, traduit en fait un combat d’arrière-garde pour contrer le basculement de la puissance vers l’Asie…
Par Sami Zine