«Agences de voyage: le contrôle fait défaut à tous les niveaux»

A la veille des vacances d’été, la corporation des agents de voyage ne sait plus où donner la tête. Elle redoute les conséquences de la licence B dont le projet de loi est en cours d’examen à la commission des secteurs productifs de la Chambre des conseillers. Les professionnels craignent que ce texte fragilise un secteur déjà affaibli par la concurrence des gros distributeurs comme Booking et Airbnb.  Dans cette interview accordée à Al Bayane, Imane Lamrani, présidente de l’Association des agences de voyages de la région de Rabat-Salé-Kénitra, est on ne peut plus clair : la corporation a perdu de sa crédibilité.

Al Bayane : Les statistiques de l’Observatoire montrent que les touristes nationaux permettent au secteur de contrebalancer le coup de la conjoncture internationale. Par contre, l’offre destinée aux nationaux reste peu attrayante. Comment expliquez-vous cela?

Imane Lamrani : Effectivement, les nationaux ne bénéficient pas de prix alléchants. Ailleurs, les offres sont beaucoup moins chères que chez nous. Ce qui nous pousse à payer les hôtels en devises, hors Maroc, pour profiter des mêmes tarifs que les étrangers. Nous avons interpellé les hôteliers, mais c’est le silence radio. Les hôtels nous font de la concurrence déloyale en vendant directement leur produit aux clients ou à travers les gros revendeurs comme Booking. D’autant plus que ces derniers bénéficient d’une commission exonérée d’impôt. Aujourd’hui, les hôteliers proposent au client un tarif corporatif, que l’agent de voyage n’est pas en mesure de proposer puisque celui-ci-doit ajouter sa marge de profit. Les agences de voyages sont massacrées par les hôteliers, mais aussi par l’Administration publique.  Les œuvres sociales de certaines administrations publiques recourent directement aux services des hôteliers.

La réforme du statut des agences de voyage, actuellement au niveau de la Chambre des conseillers, continue fait des vagues. En quoi cela  dérange?

L’introduction de la licence B permettra à toute personne d’exercer accessoirement à son activité principale, sans possession d’un diplôme d’une école spécialisée, ne sera pas sans conséquences négatives sur la corporation. Avec cette loi, n’importe qui peut se décréter agent de voyages et commercialiser ses offres uniquement sur internet, à partir d’un café ou de chez lui. Par conséquent, des milliers d’emplois risquent d’être détruits. Or, ce domaine compte entre 160.000 à 170.000 employés, si l’on se base sur une moyenne de 10 salariés par agence dont le nombre s’élève à près de 1.600. Malheureusement, ce projet a été confectionné sans l’implication de la profession.

Y a-t-il suffisamment de contrôle pour maitriser les services qui seront proposés par les nouveaux entrants?

Absolument pas. Le contrôle fait défaut à tous les niveaux. Preuve en est les plaintes que nous recevons quotidiennement à l’encontre des fausses agences et même des structures autorisées par la tutelle. Les attestations de travail sont falsifiées pour avoir la licence. Dernièrement, le ministère du Tourisme a retiré la licence à un agent qui avait falsifié l’attestation, mais aucune poursuite juridique n’a été déclenchée. Nous assistons aussi à une éclosion d’offres sur internet. Des groupes de partage d’expérience et de conseils se sont transformés en plateforme de commercialisation des voyages au profit de certaines agences alors que cela est passible d’une amende de 5.000 à 50.000 DH et d’une peine d’emprisonnement de 2 à 6 mois, ou de l’une de ces deux peines, conformément à la loi 31-96.

En l’absence de ce contrôle, comme vous le déplorez, que pourrait faire la corporation desvoyagistes pour veiller à la qualité des prestations?

On fait ce qu’on peut pour s’auto-contrôler et mieux organiser le secteur. Mais cela reste insuffisant. D’autant plus que la Fédération est fragilisée puisqu’aucune association ne verse sa cotisation. Elle ne dispose pas non plus d’un conseil d’administration, ni d’un bureau exécutif. En fait, nous ne serions pas plongés dans cette situation si on disposait d’une fédération solide. Les banques doivent aussi nous aider, en exigeant la licence du ministère lors de l’ouverture du compte. De son côté, le ministère doit activer les opérations de contrôle. Nous lui avons adressé plusieurs courriers, mais en vain. Il faut également promouvoir une nouvelle génération de guides, qui reflètent l’image du pays.

Propos recueillis par Hajar Benezha

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