Entretien avec Ahmed Boukous, recteur de l’IRCAM

«Nous restons optimistes en dépit des contraintes»

Le discours d’Ajdir fête ses 16 ans. Un événement historique.  A cette occasion, l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) célèbre à travers un tas d’activités  et de festivités la 16e édition de la commémoration du Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI prononcé à Ajdir, province de Khénifra, le 17 octobre 2001. L’événement fut  un moment opportun pour s’arrêter sur les acquis, mais aussi  et surtout, sur ce qui  reste encore à  accomplir. « Nous restons optimistes en dépit des contraintes que connaît la promotion de l’amazighe au niveau de certains départements, en raison du retard accusé par la promulgation des lois organiques », souligne Ahmed Boukous, recteur de l’IRCAM.

Al Bayane : Il y’a 16 ans déjà que le discours d’Ajdir a été prononcé. Quel bilan faites-vous de l’état de l’amazighe au Maroc?

Ahmed Boukous : L’IRCAM, au travers de ses actions et réalisations, a contribué à la valorisation de l’amazighe – langue et culture – en tant que patrimoine national commun de tous les Marocains sans exclusive. La langue amazighe est en voie de standardisation et d’intégration dans le système éducatif, dans les médias et dans les nouvelles technologies de la communication et de l’éducation. La recherche scientifique dans différentes disciplines a donné ses fruits, en témoignent les nombreuses publications qui font de l’IRCAM l’une des principales institutions éditrices. Nous restons optimistes en dépit des contraintes que connaît la promotion de l’amazighe au niveau de certains départements, en raison du retard accusé par la promulgation des lois organiques.

Comment voyez-vous aujourd’hui l’avenir de l’IRCAM, notamment avec la création du Conseil national des langues et de la culture marocaine?

L’IRCAM reste une institution de référence dans le domaine de l’amazighe, au niveau national, régional et international grâce à ses réalisations. La création du Conseil National des Langues et de la Culture Marocaine devrait être un cadre qui renforce les prérogatives de l’IRCAM en sauvegardant les acquis et en permettant à ce dernier de relever les défis auxquels il devra faire face, après l’officialisation de l’amazighe. Cela pourra se faire si l’on garantit l’autonomie financière et administrative de l’IRCAM et si l’on capitalise les acquis en matière de recherche, d’édition et de codification de la graphie tifinaghe. L’IRCAM s’est aussi illustrée de manière notable dans le domaine du soutien technique et financier aux associations et aux artistes et créateurs œuvrant dans le champ de l’amazighe, notamment à travers l’octroi de prix, l’organisation d’hommages et le soutien au livre et à la presse.

L’IRCAM organise dans le cadre de ses activités de commémoration du discours royal d’Ajdir une table ronde sur la question des projets de lois organiques relatifs à l’amazighe, notamment le projet de loi créant le Conseil national des langues et de la culture marocaine (CNLCM) et celui relatif à la mise en œuvre du statut officiel de l’amazighe qui accusent un certain retard. Comment expliquez-vous ce retard au niveau de la mise en œuvre de ces lois organiques?

En fait, il ne s’agit pas encore de mise en œuvre des lois. Il faut d’abord qu’elles soient promulguées. Pour contribuer à y parvenir, l’IRCAM s’acquitte de ses missions de consultation, de plaidoyer, de force de proposition et d’institution opérationnelle. Dans ce sens, il a adressé plusieurs mémorandums aux autorités gouvernementales relatifs au Chef du gouvernement et aux départements concernés, notamment l’éducation nationale.

L’état de santé de l’enseignement et de l’engeignant amazighs est inquiétant. Comment expliquez-vous ce recul?

L’IRCAM, conformément à ses prérogatives déclinées dans le Dahir portant sa création, s’est investi pour réaliser ses différentes missions. Les problèmes que rencontre l’enseignement de l’amazighe et son « recul » sont imputables au département de tutelle. Ils découlent principalement du manque d’enseignants et de « la mise en jachère » des enseignants existants.

Que pensez-vous de l’évolution de l’intégration de l’amazighe dans les départements de l’Etat?

L’amazighe intègre, progressivement, les différents départements de l’Etat. Il offre  régulièrement son expertise aux secteurs qui le sollicitent. Les derniers en date sont l’Institut royal de formation des cadres de l’intérieur, l’Ecole supérieure d’administration, l’Institut supérieur de l’information et de la communication. Nous pouvons aussi être fiers de la présence de l’amazigh écrit en tifinaghe sur le fronton de la plupart des administrations publiques. Il est vrai que le rythme d’intégration reste lent, mais nous restons optimistes.

Que pensez-vous de la gestion de la politique linguistique au Maroc?

Les différents discours de Sa Majesté dans ce domaine sont clairs. L’histoire du Maroc fait de notre pays un carrefour de cultures et de civilisations. Le patrimoine amazigh est une richesse à sauvegarder. L’amazighe est une langue officielle aux côtés de l’arabe. Il s’agit maintenant de traduire cette disposition de la Constitution dans la réalité. Aujourd’hui, le Maroc est habilité à se positionner dans la région MENA et en Afrique en général comme un modèle en matière de gestion de la diversité linguistique et culturelle.

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

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