Hassan Echaïr, Âmes suspendues

Arts plastiques

Par Abdelhak Najib

 Le plasticien marocain qui vit et travaille à Tétouan expose ses derniers travaux à la galerie Dar d’art à Tanger. Du 24 février au 24 mars 2023.

À traverser avec attention et profonde pénétration, les travaux de Hassan Echaïr, nous sommes face à une première évidence qui s’impose à nous comme une vérité en évolution. Cette œuvre est sous-tendue par une alchimie créatrice portant dans ses sillages des fondamentaux en variation continue qui vont de l’Être en soi à l’Esprit comme une ligne de démarcation entre une certaine idée du vrai et la une certaine approche de la véracité comme expression humaine inscrite dans le temps, dans l’espace et dans la promesse de ce qui adviendra. Ceci, évidemment partant de ce postulat qui ne souffre aucune ombre que «L’exactitude n’est pas la vérité», comme aimait à la répéter souvent ce cher Henri Matisse. Elle ne le sera jamais pour cette unique raison que la matière, celle qui préside au vivant vit de transformation et de transmutation. Elle n’est que parce qu’elle évolue et se transcende elle-même dans un élan vers l’ouvert, vers l’infini, vers l’inconnu. Cet inconnu qui nous sert de  lanterne pour cet avenir en constante élaboration, allant du début et la fin et de la fin aux débuts, qui sont ici autant de renaissances et du même et du différent, du proche et du lointain, de ce qui est visible et de l’invisible.

C’est dans ce sens qu’il faut saisir ce questionnement constant qui traverse comme un fil d’Ariane, un fil noir, faut-il encore le préciser, toute l’œuvre du plasticien, autour de trois dimensions : la matière comme élément principal du vivant, l’espace comme une liaison fractale entre d’infinis dimensions et la lumière, qui, elle, est la source primordiale présidant à la vie dans ses innombrables variations et variétés.

C’est à cet instant précis que l’érgon rencontre toutes les ramifications de l’expressivité puisée à même le principe de vie : «Il y a ici une ergonomie, qui, au-delà des interactions entre l’Homme en activité et les composantes de cette même activité, se libère de ce nómos dans le sens grec du vocable signifiant «loi». Ce qui devient prégnant, c’est la liberté de l’expression affranchie des limites temporelles, spatiales et dimensionnelles. Donner corps à une œuvre, c’est une des multiples manières pour renaître à soi et au monde. C’est une des voies ouvrant sur ce périple intérieure qui nous donne la chose de vivre et de rêver conjointement notre vie.  C’est ce qui fait de cette expression une manière de vivre pour ne pas mourir de «vérité». Toutes ces «vérités» qui nous incarcèrent, nous dogmatisent, nous imposent une vision unique et unilatérale, une seule ligne droite souvent menant nulle part…», précise ici le peintre Hassan Echaïr. 

C’est exactement cela qui surgit dans ce travail, à travers une rigueur de cheminements dans des géométries variables, qui défient les lois d’une certaine physique en inversant le sens de l’émergence d’une pyramide de signifiances mettent déconstruisant toutes les idées préconçues sur la base et le sommet, sur les différentes strates de la condition humaine, sur le sens caché de l’existence à soi, au temps et à l’espace. Hassan Echaïr multiplie les périples et donc les pèlerinages dans une marche vers l’inconnu. L’idée même qui est à la base de cette quête est de ne voir dans le temps que des traces, des empreintes effaçables, des palimpsestes sur le cours incertain des instants. Dans une large mesure, cela nous renvoie, comme un signe, comme une éclaircie, telle une saillie à cette assertion d’un autre peintre habité par la lumière et par l’improbable : «Quand j’exécute mes dessins Variations, le chemin que fait mon crayon sur la feuille de papier a, en partie, quelque chose d’analogue au geste de l’homme qui cherchait, à tâtons, son chemin dans l’obscurité. Je veux dire que ma route n’a rien de prévu: je suis conduit, je ne conduis pas», souligne Henri Matisse qui donne ici écho aux travaux de Hassan Echaïr.

Au cours de ce voyage qui ne prévoit aucune finitude, mais qui crée de multiples escales, le peintre vit ses différentes périodes picturales tel un pèlerinage, dans le alchimique plein, celui de l’homme qui avance en créant de toutes pièces un sentier, qui ne ressemble à aucun autre, et qui doit être, nécessairement, un chemin à réinventer au fur et à mesure qu’il crée cette profondeur qui se manifeste à nous quena le pèlerin s’allège, une peau après l’autre, couche après couche, strate après strate, pour, enfin, percevoir. Percer et voir de l’autre côté de nos dimensions multiples.

C’est ce qui nous donne cette intime intuition que Hassan Echaïr écrit en noir et blanc une certaine histoire du monde, le sien, et partant le nôtre, avec des variations infinies. Le peintre, avec ses cordes qui sont autant de silhouettes vivantes, écrit ce qui ne peut être exprimé en langage connu et admis. C’est parce que le peintre, l’artiste et surtout l’artisan cherche à faire porter une voix au cœur du silence, créant ainsi ce que l’on pourrait, avec émerveillement, nommer : une langue de l’âme. Zao Wou-Ki disait que :  «Les gens croient que la peinture et l’écriture consistent à reproduire les formes et la ressemblance. Non, le pinceau sert à sortir les choses du chaos». C’est exactement ce que tente de réaliser Hassan Echaïr qui est conscient du double sens derrière le chaos : à la fois éclatement et débris épars, mais également ordre incarné. Dans cette approche de l’art comme corollaire du chaos, le plasticien nous invite à repenser à cette phrase de Pablo Picasso : «Faut-il peindre ce qu’il y a sur un visage ? Ce qu’il y a dans un visage ? Ou ce qui se cache derrière un visage ?»

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