Hors champ : Le cinéma canadien : entre voisin et cousin !

Le festival de Marrakech accueille cette année le cinéma canadien. Un hommage lui a été rendu dimanche. Une importante et imposante délégation (forte d’une trentaine de membres) a fait le déplacement vers la ville ocre, signifiant ainsi la pertinence de cette initiative qui augure de riches possibilités de coopération entre les deux pays en matière de cinéma.

Les deux cinématographies ne manquent pas en effet de points de similitude et affichent des ambitions identiques, notamment pour affermir un cinéma national authentique, ancré dans son environnement, dans un monde globalisé et où des cinémas dominants ont depuis longtemps balisé les pistes de fabrication et de circulation des films. Le cinéma canadien développe dans ce sens une voie d’expression originale, s’attelant sans cesse à se forger une voie originale à l’ombre de deux grandes cinématographies internationales, celle du voisin, le cinéma américain et celle du cousin, le cinéma français. Pendant longtemps, un schéma non écrit traversait le cinéma canadien avec une tendance grand public, dans la partie anglophone, et un cinéma estampillé cinéma auteur au Québec. Mais la réalité est plus complexe et on assiste à un développement d’un cinéma anglophone même dans la partie francophone et avec des modes d’expression qui tentent de concilier l’ancrage identitaire dans des formes qui empruntent aux codes forgés par Hollywood. Des cinéastes comme Michel Poulette (présente à Marrakech, Gilles Noël ou Jean-Marc Vallée…ont développé un cinéma de fiction, le polar notamment, à tendance franchement commercial tout en sauvegardant une forme de singularité que le public apprécie et plébiscite.

Le cinéma d’auteur, aussi bien pour le documentaire que pour la fiction, dans la partie anglophone et francophone, a permis cependant au cinéma canadien d’acquérir ses lettres de noblesse, avec des figures de proue (David Cronenberg, Denys Arcand, Atom Egoyan…), parvenant ainsi à marquer des points y compris dans le fief de Hollywood. Les invasions barbares avaient remporté l’Oscar du meilleur film en langue non anglaise. Une image à forte charge symbolique avait marqué le festival de Cannes en 2014 quand le jury avait décerné son Prix à Xavier Dolan, l’un des plus jeunes primés à Cannes, ex aequo avec J.-L. Godard. Une consécration pour le jeune prodige québécois…

Le cinéma Canadien dispose aujourd’hui d’une assise institutionnelle stabilisée avec des formules d’aide publique au cinéma. Toronto abrite aujourd’hui un grand festival international. Créé en 1976, le festival international de Toronto (TIFF) est devenu l’un des plus grands marchés de films dans le monde.

Aujourd’hui, la production canadienne tourne autour d’une centaine de films par an dont une bonne trentaine produits au Québec. Le Canada a conclu des accords de production avec 57 pays. La présence de professionnels de cinéma canadien à Marrakech ouvre sur de larges possibilités de coopération avec leurs homologues marocains d’autant plus qu’un certain nombre de cinéastes, de technicisions et de comédiens marocains ont fait le choix d’exercer leur métier au Canada. Le hasard a fait d’ailleurs que le festival rende hommage à un marocain du Canada, en la personne du directeur de photo, Kamal Derkaoui.

Atom Egoyan qui préside la délégation canadienne à Marrakech a prononcé un discours bilingue (français-anglais), mettant justement en exergue le pluralisme culturel du Canada que le cinéma tente d’exprimer. Un pluralisme illustré également par sa propre biographie : un arménien né en Egypte et arrivé à l’âge de trois ans au Canada. Un pays où il a développé une brillante carrière de cinéma. Installé dans la partie anglophone, à Toronto, il devient un familier des festivals internationaux, notamment Cannes. En 2002, il réalise Ararat sur le génocide arménien.

Lors de la soirée de l’hommage, le public du festival de Marrakech a pu découvrir son nouveau film Remember. Un thriller poignant, captivant et déroutant. Il a d’abord, revisité d’une manière originale, la question de la mémoire d’Auschwitz, notamment par la nature des protagonistes qu’il met au centre de son récit, des pensionnaires d’une maison de retraite. La trame narrative est construite autour de l’idée de vengeance. Deux pensionnaires décident en effet d’assassiner le nazi responsable de la mort de leur famille dans le camp de concentration. Le projet s’avère rocambolesque car le héros chargé de cette mission souffre de démence sénile. Une construction qui évite au film d’être une énième version du scénario de la chasse aux nazis et de développer un rythme soutenu aux rebondissements spectaculaires qui dévoilent que derrière le devoir de mémoire, il y a toujours des risques de dérives, de manipulation et que derrière le scénario apparent, il y a le scénario effectif de ceux qui tirent les ficelles de l’histoire.

Mohammed Bakrim

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