La Jeunesse Socialiste s’interroge sur «le Maroc et les défis de l’après corona»

Abdelouahed Souhaïl: «« gérer l’après pandémie avec les procédés du passé relève de la déraison»

-Abderrahim Tafnout: «l’Etat ne peut concevoir, à lui seul, l’avenir du pays»

-Mustapha Bouaziz: «le capitalisme financier a affaibli l’Etat-nation»

Comment doit-on agir face aux enjeux qui guettent notre pays? Quel rôle de l’Etat dans la fabrication des politiques publiques?  La démocratie est-elle nécessaire dans le Maroc de demain ? Les partis politiques  de gauche n’assument-ils pas une part de responsabilité dans la situation actuelle ? Voilà, entre autres, quelques questions auxquelles ont essayé de répondre les invités d’un débat confiné,  initié par l’Organisation de la Jeunesse socialiste (JS), autour du thème : « Le Maroc et les défis de l’après corona »,  diffusé lundi 27 avril  sur la plateforme Facebook et aminé par Mehdi Diouane, membre du Bureau national de la JS.

Le chantier de la modernité

Il va sans dire que notre pays est appelé, plus que jamais, à trouver des réponses concrètes à plusieurs problématiques qui se posent avec insistance et ce,  dans le cadre d’un ordre international en pleine mutation mais qui subit pleinement le joug du capitalisme financier.

En fait,  la crise déclenchée par la pandémie va imposer l’émergence d’un nouvel ordre  mondial dont l’accouchement ne sera pas si facile, mais ce qu’il faut souligner,  c’est que ce nouvel ordre mondial aura l’effet d’un « tsunami économique »,  notamment chez les pays qui accusent d’une fragilité criarde aussi bien au niveau économique que social. D’où la nécessité de développer une réponse collective, a souligné l’historien et le professeur universitaire, Mustapha Bouaziz. Cependant, cette réponse ne pourrait avoir lieu si les Etats concernés n’inscrivaient pas  leurs actions dans une perspective moderniste. Cela s’applique parfaitement pour le Maroc où le chantier de la modernité est toujours en stand-by, a-t-il rappelé. «Intégrer la communauté internationale, en tant qu’acteur doté d’une capacité stratégique, implique une rupture épistémologique  avec les modes de pensées vermoulus », a-t-il indiqué. Cela requiert le développement d’un agenda politique et ce d’une manière collective, faisant une priorité de la réforme des structures de l’Etat, notamment le document  constitutionnel, a-t-il avancé.

Pour le militant de gauche, le Maroc vivait déjà en  crise avant même le Covid-19. Une crise qui est reconnue par les principaux acteurs du champ politique et diagnostiquée  par les institutions officiels de l’Etat. D’ailleurs, a-t-il ajouté, les discours royaux n’ont cessé d’appeler à la mise en place d’un nouveau modèle de développement vu que le modèle actuel a trouvé ses limites. Cependant,  selon l’historien, le discours officiel des institutions de l’Etat, tel l’HCP ou encore le CESE impute la crise à seulement  quelques facteurs paramétriques de croissance ou des défaillances socio-spatiales, sachant que d’autres forces vives du pays soulignent avec force  que la crise est structurelle. «C’est une crise inhérente au système et demeure à l’origine de l’économie de la rente, du népotisme et des pratiques clientélistes», a-t-il fait remarquer.

Instaurer une culture de confiance

Toujours selon l’intervenant,  l’enjeu crucial pour le Maroc de demain est celui d’instaurer une culture de confiance entre l’Etat et la société. D’ailleurs, tous les rapports émanant des organes officiels ont signalé le fossé abyssal qui sépare l’Etat de la société. Evidement, la peur collective engendrée par la pandémie a contribué à réduire momentanément ce hiatus entre les deux parties. Cela étant, la crise a poussé l’Etat à revoir ses priorités en se situant à la pointe de la bataille tout en se transformant en tant que régulateur principal des équilibres sociaux. « Pour l’heure,  cette approche initiée par l’Etat exerce une certaine  séduction. Or, il convient de s’interroger sur la manière avec laquelle l’Etat procédera après la crise et s’il va continuer à faire prévaloir cette tendance en dirigeant  le pays avec une main de fer», a-t-il relevé. Mais,  le véritable problème, c’est que l’après pandémie sera difficile à gérer pour les pouvoirs publics et ce  pour la simple raison,  que la crise aura des effets pervers sur notre économie nationale et va fragiliser en plus notre tissu social. Ce qui va déboucher sur des colères sociales qui vont s’ajouter à d’autres colères déjà exprimées dans plusieurs régions du pays, a-t-il expliqué.

Pour une société solidaire

Les policy-markers doivent ainsi  s’ingénier à mettre en place un système social  favorisant les liens de solidarité entre toutes les composantes de la société et  qui s’inscrit aux antipodes des pratiques clientélistes et népotistes Par ailleurs, la mission des forces avant-gardistes et progressistes, consiste,   avant tout, à défendre les revendications sociales et élaborer un projet collectif. «C’est en l’absence  de projets alternatifs  que le système capitaliste tient toujours la route. Un système qui puise sa force dans la mondialisation qui  a affaibli l’Etat nation et toutes les entités de solidarités syndicats,  partis et  associations…», a-t-il fait savoir.  Or,  la mission de l’acteur politique est celle d’évaluer les probabilités possibles, choisir une option et saisir le moment propice pour faire accélérer l’histoire»,  a poursuivi le spécialiste du nationalisme marocain.

La démocratie remise aux calendes grecques

Prenant la parole, Abdelouahed Souhaïl, membre du Bureau politique du PPS, a affirmé qu’il serait difficile, si ce n’est pas impossible de prévoir la situation du pays après la disparation de la pandémie. «Certes, la crise a posé des problématiques qui dépassent tout entendement, mais elle a montré la nécessité de l’Etat nation,  comme forme d’organisation démocratique, fort, doté d’une fibre sociale, et capable de développer des mécanismes de réponse aux crises», a-t-il déclaré avec persistance.

Malheureusement, selon le militant du PPS,  l’histoire du Maroc contemporain nous renseigne sur le fait que les revendications tant scandées à l’aube de l’indépendance  par le  mouvement national et les forces  progressistes et démocratiques sont toujours d’actualité. Il semblait apparemment que ces revendications ne plaisaient pas à certains milieux du pouvoir,  faisant preuve d’une démarche hermétique tout en  visant  à réduire la marge d’action des partis de la mouvance démocratique. Ces derniers ont défendu farouchement les valeurs de la solidarité, la liberté ou encore l’entraide sociale. D’une manière ou d’une autre, les forces progressistes ont depuis toujours défendu  outre les valeurs démocratiques et la consécration d’un champ économique qui fonctionnent conformément aux règles de la transparence et favorisant l’intégration des couches sociales les plus vulnérables, a-t-il assené.

Quel modèle économique pour le Maroc?

Pour le responsable du PPS, la pandémie a montré au grand jour la fragilité de notre économie nationale, notant dans ce sens que le libéralisme économique n’est pas la piste à privilégier pour résoudre des problèmes cruciaux.

Argument à l’appui, l’ancien ministre de l’Emploi cite le cas de la fermeture de la Samir et le manque de réactivité de l’Exécutif. Abondant dans le même ordre d’idées, l’intervenant a indiqué que la pandémie a mis a nu la réalité de notre économie nationale, étant donné qu’une grande part de la population active ne dispose pas d’une sécurité sociale et vit en marge de la loi alors qu’une autre catégorie sociale opère dans l’informel. «Gérer l’après pandémie avec les procédés du passé relève de la déraison et  nous mènera certainement à l’échec», a-t-il affirmé. Et  d’ajouter qu’il faut trouver un modus operandi créant une véritable symbiose entre l’Etat et la société.  «Nous voulons que l’Etat assume son entière responsabilité. Un Etat protecteur et social,  favorisant l’intégration des citoyens dans le tissu économique, en plaçant l’Homme au cœur des choix politiques et économiques tout en œuvrant à  créer les conditions du bien-être social pour l’ensemble de la population», a-t-il prévenu, avant de mettre l’accent sur le fait que les forces progressistes sont pour leurs parts dans l’obligation de mettre  de côtés leurs différends et d’apprendre à réfléchir ensemble pour pouvoir élaborer une plateforme politique commune.

En termes plus clairs, pour que la gauche puisse peser sur la balance, il faut que chaque partie fasse des concessions sans s’arc-bouter sur des positions figées, car la finalité consiste à asseoir un nouveau contrat social incluant l’élargissement de l’espace de démocratie la consécration des valeurs de la modernité, a-t-il insisté.

Poser les jalons d’un véritable débat national!

Par ailleurs, Abderrahim Tafnout, journaliste et militant de gauche,  tout en s’inspirant du penseur Noam Chomsky, il a mis l’accent sur la nécessité du renforcement du contrôle des instances de gouvernance. « La gestion de la pandémie ne relève pas seulement de la sphère du pouvoir central, loin s´en faut, il s´agit dune action collective à laquelle les citoyens sont impérativement appelés à y contribuer », a-t-il déclaré avec insistance.

«La gestion de l’après pandémie nous enjoint à poser les jalons d’un véritable débat national car l’Etat, à lui seul, ne peut pas concevoir l’avenir du pays», a-t-il avancé.

Abderrahim Tafnount s’est également interrogé sur le rôle de l’Exécutif dans la gestion de la crise. Il s’agit, selon ses propos,  d’un gouvernement qui semble être aux abonnés absents, d’où la question sur le degré de sa responsabilité politique.

Un tel constat débouche, en outre, sur les multiples échecs des politiques économiques  enregistrées depuis 1956,  et qui expliquent,  en grande partie, le pourquoi de l’incapacité de notre économie nationale à résister aux chocs.

Et pour cause, les choix libéraux au détriment des plans de planification  ont relégué au second plan les services devant jouer un rôle crucial dans le développement de la société, à savoir l’école et la santé. Pour lui, la sortie de la crise consiste à mettre en place  un nouveau contrat social garantissant la démocratie et  la justice social. En termes plus clairs,  ne pourrait aboutir sans  la  fixation des responsabilités,  la valorisation du savoir et le  renforcement du service public. Autre point non moins important évoqué par l’intervenant, celui du champ médiatique, dont  la réforme constitue une condition sine qua non pour la démocratisation du champ politique.

Il serait aberrant, a-t-il conclu que les médias publics continuent à  reproduire   les mêmes chansonnettes du passé en  inscrivant leur action dans une démarche de spectacle en excluant de leurs plateaux toutes les voix qui font preuve de sens de critique à l’encontre de l’action de l’Exécutif.

Khalid Darfaf

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