C’est une plongée édifiante dans l’imaginaire méditerranéen contemporain que nous ont proposée les 50 films de la 14ème édition du festival du court métrage méditerranéen de Tanger, organisée par le Centre du cinéma marocain du 10 au 15 octobre 2016.
Deux pistes de lecture s’offrent d’emblée à l’observateur attentif. Une première lecture d’ordre professionnel sur l’état des lieux du court métrage dans cette région du monde qui a vu naître le cinéma. Les frères Lumière ont tourné l’un de leurs premiers films (court !), L’arrivée du train à la gare de La Ciotat, une ville de la côte méditerranéenne de l’Hexagone.
A ce niveau on peut dire que cette édition a confirmé la tendance caractéristique de la production du court métrage en méditerranée avec la prépondérance des mêmes pays et l’incursion de quelques outsiders. C’est ainsi que l‘Espagne, le Portugal, l’Italie, la France, la Grèce, la Croatie… ont marqué cette édition à la fois en nombre de films inscrits, et en qualité. Il n’est pas surprenant alors de les retrouver d’une manière ou d’une autre présent au niveau du palmarès.
L’Espagne en force
C’est ainsi que l’Espagne était présente à Tanger avec cinq films dont l’un Time code auréolé de la consécration suprême à Cannes. Le jury a choisi de conforter ce choix cannois en lui décernant le Grand prix de Tanger. Un autre film espagnol, Les adieux va décrocher le prix de la réalisation. C’est dire la bonne santé actuel de la production hispanique malgré le contexte de crise économique endémique que connaît le pays. Les cinq courts n’ont pas manqué d’ailleurs d’ancre leur récit dans des problématiques contemporaines. Baraka le moins convainquant des cinq films espagnols n’a pas hésité à transposer son histoire au Daeh-land pour narrer sur un registre hollywoodien la tentative d’évasion d’une militaire espagnole retenue par un groupuscule terroriste. Le film a tenté sortir du schéma manichéen véhiculé par les médias en mettent en scène deux frères dont l’un fait partie des geôliers et l’autre, plus jeune va aider la militaire espagnole dans sa tentative d’évasion. Un autre film aborde la question du terrorisme comme ordonnateur des représentations sociales. Un lieu montre comment les clichés sur l’autre amènent à des malentendus en confrontant dans une route déserte deux familles, l’une espagnole de souche, l’autre immigrée, dont les voitures sont tombées en pannes. L’image du musulman associée au terrorisme va être déconstruite dans un récit simple qui ne manque pas de didactisme.
Time code, le grand prix de Tanger 2016, aborde un des aspects des sociétés modernes marquées par la hantise de la vidéosurveillance. Le film parvient subtilement à mettre en dérision cette tendance à tout mettre sous contrôle. Ces deux personnages principaux sont des agents de sécurité dans un parking aux multiples caméras…Ils vont finir par être complice par le biais de la danse; une démarche chaplinesque qui amène une très belle chute.
Graffiti est une intrusion dans l’univers de la science ficton mais pour mieux parler de notre temps. Une ville dévastée, un monde post-apocalyptique : on ne peut ne pas penser à Tchernobyl et à un accident nucléaire. Mais le film s’intéresse à une forme de radiation particulière qui n’est pas sans rappeler l’addiction aux réseaux sociaux. Le seul survivant de ce monde refuse en effet d’être évacué préférant rester connecté au «mur» pour échanger des posts avec une personne qu’on ne voit pas et on n’entend pas. Et qu’n imagine.
La France et la question du vivre ensemble
Les cinq films français de la compétition officielle sont portés par un désir de témoigner sur la société et le monde posant des questions fondamentales autour de ce qui fait le vivre ensemble. Le jury a été sensible à cette dimension récompensant Le grand bain du prix du jury et Réplique est reparti avec le prix d’interprétation masculine. Réplique et Samedi l’autre film français de la compétition officielle abordent la question de l’intégration de la jeunesse issue de banlieues. Réplique a séduit par la belle trouvaille de faire de la littérature (une audition théâtrale) de réconcilier des amis et de constituer un rempart contre les risques de dérive vers la délinquance. Ce qui n’est pas le cas de Manu, protagoniste de Samedi ayant quitté un centre de rééducation pour se retrouver face à sa solitude (démission de la famille..). La belle surprise côté français est Un grand silence de Julie Jourdain une parabole inelligente sur les changements des mœurs à partir du cas des mères célibataires. Le film a choisi d’aborder l’histoire de Marianne (!!!) dans le contexte de mai 68 : aux bouleversements politiques répondaient en échos les récits de ses femmes livrant une bataille pour réaliser leur identité en assumant jusqu’à bout des choix aux issues parfois tragiques.
Le Maroc, la crise
Sur les cinq films marocains inscrits en compétition officielle seuls Mohammed, le prénom et Aya va à la mer ont suscité un intérêt relatif et ont permis de sauver les apparences. C’est ce que le jury a reconnu d’ailleurs en octroyant une mention spéciale à Aya de Meriem Touzani. Maigre consolation ? Non, un geste à lire comme un « lanceur d’alerte».
Meriam Touzani est restée fidèle à sa démarche, celle d’un cinéma intimiste et poétique. Tantôt il s’agit de filmer le tragique d’un point de vue innocent avec des enfants face à la mort (Quand ils dorment), tantôt il s’agit de filmer le social en l’inscrivant dans une vision qui se veut poétique (Aya va à la mer). Mais c’est un social fantasmé produit par les enfants de la bourgeoisie qui disposent de l’outil d’expression (le cinéma) dont sont dépossédés ceux qui sont l’objet de leurs films. Il y a toute une tradition dans ce sens qui va de 200 dirhams de Leila Marrakchi à Ali Zaoua de Nabil Ayouch. Aya de Touzani a d’ailleurs des similitudes avec Ali de Ayouch: les deux figures emblématiques d’un social mythique sont animés par le même rêve; celui d’un ailleurs (une île pour Zaoua, la mer pour Aya…) Le film cependant reste prisonnier de ce regard extérieur superficiel confinant à la carte postale exotique. La trouvaille qui consiste à ne montrer la maitresse de maison qu’en amorce (de dos, ou à partir des pieds) n’est pas sans rappeler le dessin animé Tom et Gerry où les personnages humains sont filmés à partir du point de vue du célèbre chat.
Malika Zairi a choisi pour son film de revisiter la problématique identitaire qui secoue la société française aujourd’hui à partir de la question du prénom. Elle a choisi pour se faire le registre de la comédie, servie par un casting de choix. Le film a le mérité de ne pas verser dans le misérabilisme du film de banlieue sans pourtant réussir à insuffler au récit sa dimension politique fatalement inscrite dans le sujet invoqué.
Les trois autres courts marocains, Ait Brick bled de Abderrazak Zaitouni, Wafa de Ilham Alami et Comment aimer le Maroc de Nada Cherkaoui, sont des premiers films. Leur présence en compétition officielle dans un festival international a surpris les observateurs présents à Tanger. Si le règlement du festival permet à la commission de sélection de choisir cinq films par pays, dans ce cas de figure, ce n’était pas une obligation. L’idée d’ouvrir la participation à cinq films répondait à la pression de l’offre : des pays comme l’Espagne envoyaient plus d’une centaine de films. Cela correspondait aussi à une époque où le Maroc produisait plus de80 cours métrages par an. Mais cela ne signifie absolument pas une contrainte. Le Maroc peut être représenté par un film, deux, cinq ou rien du tout…
Le film de Zaitouni montre bien qu’une bonne idée et de bons comédiens ne suffisent pas à réussir un film. Ait brick bled a pêché au niveau de l’angle choisi pour la mise en scène. «Wafa» pour sa part est resté prisonnier de l’idée qui porte le scénario bloquant ainsi aussi bien le jeu des comédiens que les initiatives de la jeune réalisatrice. Comment aimer le Maroc (Grand prix du film le plus médiocre de la 14ème édition) confond tout simplement un film avec une page facebook.
Mohammed Bakrim