Entretien avec Nora Atalla
Native du Caire, d’origine gréco-libanaise et franco-géorgienne, Nora Atalla vit au Québec depuis l’enfance. Exilée de deuxième génération, passionnée de voyages et de dépaysements, elle a passé quelques années ici et là (Honduras, République démocratique du Congo, Cameroun, Maroc), et c’est dans la ville de Québec qu’elle vit actuellement.
Finaliste en poésie du prix Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec (Hommes de sable), du Grand Prix international de Roumanie (Lumière noire) et des Prix littéraires de Radio-Canada (À l’angle de la peur), et lauréate du Grand Prix de l’Union des poètes francophones de Belgique, elle est l’auteure de huit recueils de poèmes, d’un recueil de contes et nouvelles et de deux romans. Ses textes ont paru dans près d’une cinquantaine d’anthologies et revues littéraires au Québec et à l’étranger, et ont été traduits en plusieurs langues.
Elle a participé à plusieurs festivals internationaux de poésie en Afrique, en Europe, en Asie et dans les Amériques, où elle a représenté le Canada et le Québec : Égypte (Alexandrie), Maroc (Safi et Salé-Rabat), Bénin (Cotonou), Cameroun (Douala et Yaoundé), Sénégal (Dakar), Mali (Bamako), Roumanie (Curtea de Argeş), Guadeloupe (Pointe-à-Pitre), Taïwan (Nouveau Tapeï), Mexique (Chapala et Guadalajara), Chili (Santiago, et Milipilla). Elle a été vice-présidente du Festival international de Poésie des Sept Collines de Yaoundé (2011-2013).
Fondatrice en 2009 de la Nuit de la poésie à Québec, Nora Atalla l’organise et l’anime chaque année depuis. Elle est membre de jurys et comités consultatifs au Conseil des arts et des lettres du Québec et au Conseil des arts du Canada et a été membre du comité d’évaluation du Prix du Gouverneur général en 2019 (composante poésie). Inscrite au programme « Culture à l’école » du ministère de la Culture et des Communications, elle anime des ateliers de poésie et d’écriture auprès des jeunes et fait du mentorat auprès des écrivains en émergence (Union des écrivaines et des écrivains québécois ; Première Ovation de l’Institut Canadien de Québec).
Boursière au Conseil des arts du Canada, Nora Atalla a été en résidence d’écrivain au Mexique en 2019. Elle a été sélectionnée par le Conseil des arts et des lettres du Québec comme poète en résidence au Centre des Récollets à Paris en mars et avril 2021.
Nora Atalla est vice-présidente-Québec du Centre québécois du P.E.N. international, un organisme qui se porte à la défense des écrivains persécutés.
Nora Atalla a publié plusieurs recueils de poésie : Morts, debout ! Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2020, Bagnards sans visage, Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2018, Les ouragans intérieurs, Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2014, Hommes de sable, Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2013, La gestation de la peur, Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2011, Lumière noire, Éditions Cornac, Québec, 2010, Les raidillons de la mémoire, Éditions du Sablier, Québec, 2009, Divagations bohémiennes, Chloé des Lys, Barry (Belgique), 2008. Elle a publié aussi des romans et des Contes et nouvelles : Une escale à Kingsey Falls, Les Éditions GID, Québec, 2008, La couleur du sang, Les Éditions GID, Québec, 2007, Traverses, Les Éditions GID, Québec, 2010.
1-Que représentent les arts et les lettres pour vous ?
Ils sont de la plus haute importance ; ils font partie de ma vie, mais également de la culture d’un peuple. Et la culture est l’élément constitutif de notre identité ; elle est qui nous sommes. Être sans culture, c’est être sans identité ; c’est se condamner à devenir une nation qui n’a pas de sens. La culture, c’est notre langue, notre écriture, notre littérature, notre art, notre musique, notre cinéma, notre théâtre. Être sans culture équivaut à être sans âme ; sans elle, il n’y aurait pas de civilisation.
2- Que représente la lecture / l’écriture pour vous ?
Cela peut paraître cliché, mais je n’ai pas choisi l’écriture, c’est elle qui m’a choisie. Enfant, j’ai bien sûr commencé par lire, comme dans les familles où la lecture fait partie de l’apprentissage. Je suis née d’une famille d’intellectuels où la lecture, les arts et le savoir primaient. Ma mère n’aimait pas écrire, mais elle avait une passion pour la langue française et pour la nécessité de bien s’exprimer, et elle me l’a communiquée. J’avais aussi un oncle très érudit qui venait chaque été de Paris à Montréal tenir un rôle de père dans ma famille, le mien étant décédé à mes dix ans ; il nous donnait, à mon frère, mes soeurs et moi, des dictées en plein coeur des vacances estivales, que je trouvais pénibles à l’époque, mais aujourd’hui je lui en suis très reconnaissante, car c’est ainsi que j’ai compris la valeur de savoir écrire sans fautes, pour ne pas dire l’obligation de préciser ma pensée.
Par ma mère et mon oncle, j’ai appris l’importance de maîtriser ma langue maternelle – le français – et découvert ma ferveur pour les lettres. Il faut dire que mes arrière-grand-oncle et tante, le Dr Joseph-Charles Mardrus, traducteur des contes des Mille et une Nuits, et Lucie Delarue-Mardrus, romancière et poète, étaient d’éminents écrivains du début du XXe siècle en France. Je crois que leur amour des Belles Lettres court dans mes veines depuis toujours. Mes premiers pas en écriture à 12 ans ont débuté avec la poésie pour laquelle je nourris une affection particulière, qui a grandi au fil des années, jusqu’à prendre une place prépondérante et capitale dans mon écriture.
3- Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours culturel/artistique
J’ai grandi et entrepris des études à Montréal, et j’ai oeuvré longtemps dans le domaine de la publicité et des communications. Les caprices du hasard mon amenée à vivre quelques années à l’étranger. D’abord au Honduras (1982-1984) que j’ai adoré pour l’aventure, la nature sauvage et la liberté ; la République démocratique du Congo (ex-Zaïre, 1987-1989), que j’ai trouvée fascinante et riche en dépaysements, elle a inspiré mon premier roman, La couleur du sang.
J’ai déménagé tant de fois, mais je suis toujours revenue chez moi, c’est-à-dire au Québec ! J’ai habité entre 2002 et 2005 à Kingsey Falls, un petit village québécois, qui a servi à façonner mon roman Une escale à Kingsey Falls. De même, mes deux mois en Égypte (2009), que mes parents avaient quittée quand j’étais enfant, ont donné naissance à mon recueil de poèmes Hommes de sable (2013).
Chaque voyage est pour moi une aventure, une découverte. Je suis restée deux ans au Cameroun (2011-2013); ce pays et son peuple m’ont profondément marquée. Là-bas, je suis me suis consacrée entièrement au Festival international de poésie des Sept Collines de Yaoundé (Festi7), à titre de vice-présidente du conseil d’administration et du comité organisationnel. C’était le premier festival du genre à Yaoundé, et à ma grande joie, il aura lieu une seconde fois en décembre 2020. Mon plus récent recueil, Morts, debout ! (2020), est inspiré de ce pays bouleversant, mais aussi de tous mes séjours en Afrique.
Le mois que j’ai passé en Guyane française en 2012 a donné lieu à Bagnards sans visage, paru en 2018, qui raconte la déportation des bagnards et leur calvaire en Guyane.
Pour finir, mes trois ans au Maroc, à Rabat (2015-2018), ont élargi ma vision du monde. J’ai traversé le pays de long, en large et en travers. D’est en ouest, du nord au sud, de la mer au désert, je n’ai rien manqué… Essaouira, Marrakech, Casablanca, Fès, Tanger, Azrou, Meknès, Ouarzazate, le mont M’Goun, le Haut Atlas, le désert de Merzouga et celui de M’Hamid, d’innombrables villes et villages que je ne puis tous les nommer. Quel pays extraordinaire ! J’ai roulé en 4 x 4 plus loin encore que Dakhla. J’ai des recueils en gestation en ce moment qui sont imprégnés de toutes mes déambulations.
Désormais, c’est dans la région de la Capitale-Nationale, dans la belle ville de Québec que je vis. J’avoue qu’en ces temps de pandémie, ne plus voyager, faire du sur-place, me plonge dans une sorte de léthargie dont j’ai hâte de me défaire. Il me tarde de repartir, de me dépayser, d’aller à la rencontre d’autres cultures, autant de peuples et d’origines pour me déstabiliser, puis reprendre pied à travers l’écriture.
4-Que représente la beauté pour vous ?
Ce qui peut me paraître beau peut être laid pour mon voisin. Il s’agit d’une notion très abstraite qui est propre à chaque individu. Pour ma part, elle se situe dans la façon dont on voit le monde. Est-ce une nuque dénudée ? Le chaton endormi, roulé en boule dans le casque de mon fils ? Les premiers pas de ma petite-fille tendant ses bras vers moi ? Les rides sur le visage du vieil homme à la fenêtre ? La beauté, c’est quelque chose de fin, de personnel. Même dans la laideur et la souffrance, je peux y voir de la beauté, de la tendresse, qui va me remuer jusque dans mes tripes ! Et c’est par l’écriture, par la poésie que je polarise toute mon attention, mon énergie pour les traduire.
De fait, dans une entrevue, j’ai répondu ceci à propos de la poésie et de la beauté : « La poésie est l’expression passionnée de la pensée, de la vie, de la beauté et de son contraire. C’est aussi l’occasion unique et privilégiée de garder les yeux et le coeur grands ouverts, braqués sur le monde et sur la douleur d’être, d’éveiller les consciences sur l’isolement et les injustices ; c’est une quête identitaire et la mémoire de l’homme mise à nue. »
5- Parlez-nous des livres/films que vous avez déjà lus/vus et qui ont marqué vos pensées.
À 15 ans, j’ai découvert Émile Zola; il a été mon premier coup de foudre littéraire. C’était le roman Au bonheur des dames que mon oncle-père m’avait offert pour mon anniversaire. Dès lors, il m’a fallu lire tous les livres de Zola. Mais il y a eu aussi Balzac, Rimbaud, Verlaine, Éluard, Dostoïevski, Tolstoï, Pasternak.
Tout comme Khalil Gibran et son Prophète, et Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, Fahrenheit 451 et The Marsian Chronicles de Ray Bradbury, et bien sûr les Mille et une Nuits, traduits par mon arrière-grand-oncle Joseph-Charles Mardrus. De nombreux écrivains et poètes ont influencé ma pensée et mon écriture, tous genres confondus. De fait, tout m’intéresse… Ayn Rand, Ruth Rendell, les soeurs Brontë, Harriet Beecher Stowe, Margaret Atwood, Michael Ondaatje, Stephen King, Yukio Mishima, Georges Simenon, et tant et tant, impossible de tout répertorier ici!