Interview avec Amal Idrissi, directrice de l’OMTPME
Propos recueillis par Hamza M’rabett (MAP)
La directrice exécutive de l’Observatoire Marocain de la Très petite, Petite et Moyenne entreprise (OMTPME), Amal Idrissi, a accordé une interview exclusive à la MAP où elle décortique l’écosystème des TPME au Maroc, les défis de ces entreprises et le plan stratégique de l’Observatoire 2024-2026.
– Vous avez publié récemment la quatrième édition du rapport annuel de l’Observatoire. Quels en sont les résultats les plus marquants?
Les conclusions de la quatrième édition mettent en lumière des éléments saillants du paysage économique marocain. Parmi les résultats les plus marquants, on constate que les emplois occupés par les TPME ont représenté 76,4% de l’effectif total déclaré contre 73% en 2021. Un autre aspect notable réside dans l’analyse des salaires déclarés pour l’année 2022, révélant que 76% des employés ont perçu une rémunération n’excédant pas 4.000 dirhams (DH), tandis que 44% ont touché une rémunération inférieure à 2.800 DH. Cette dernière observation peut être attribuée à l’ampleur de l’emploi temporaire et à temps partiel.
Parmi les constats saisissants, la progression significative des dissolutions d’entreprises est particulièrement préoccupante, avec une hausse de 18% par rapport à l’exercice précédent et de 28% par rapport à 2019. Cette tendance soulève des interrogations essentielles quant aux dynamiques économiques sous-jacentes, suscitant une attention particulière de la part des décideurs économiques.
– Pour quelle raison avez-vous attendu la 4ème édition pour inclure l’approche genre ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que la variable « genre » n’est pas disponible au niveau de la majorité des bases de données au Maroc, ou bien elle est très peu renseignée. Pour surmonter cet obstacle, l’Observatoire a développé un algorithme de « Machine Learning » qui a permis de prédire le genre du dirigeant de l’entreprise à partir de son prénom, contournant ainsi le problème du manque de données. L’approche genre a été abordée dans la troisième édition avec l’étude de l’Entrepreneuriat Féminin.
Quant à l’analyse de l’emploi par genre, elle a été réalisée dans le cadre de l’élargissement du périmètre de collaboration avec la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Il est important de souligner que nous adoptons une démarche graduelle, en alignement avec les meilleures pratiques en vigueur dans les processus de data science et de statistiques.
– Quelle est votre lecture de l’écosystème des TPME au Maroc ?
L’écosystème des TPME au Maroc est un moteur clé de croissance économique et d’innovation. Ces entreprises jouent un rôle vital dans la création d’emplois, la diversification et l’inclusion économique. Cependant, elles sont également confrontées à des défis spécifiques tels que l’accès au financement et un environnement économique marqué par des crises successives.
L’analyse met en évidence une stabilité dans la structure du tissu productif des entreprises. Globalement, les TPME contribuent à 26% du chiffre d’affaires et à 35% de la valeur ajoutés malgré leur prédominance en termes d’effectif. Par ailleurs, l’analyse bilancielle révèle des fragilités financières au sein des TPME, ce qui conduit à la radiation de nombreuses entreprises avant qu’elles n’atteignent leur maturité. En effet, 50% des radiations concernent des entreprises ayant moins de 5 ans d’existence.
On peut aussi constater que la dette financière des entreprises se concentre principalement dans le crédit bancaire, représentant 99,5%. L’encours total des crédits en 2022 s’est élevé à 609,8 milliards de dirhams, enregistrant ainsi une croissance de 8% par rapport à 2021. Les TPME ont bénéficié de près de 43% de l’encours total des crédits, détaillé comme suit : les microentreprises 14,4%, les Très Petites Entreprises 4,4%, les Petites Entreprises 11,2%, et les Moyennes Entreprises 12,7%, alors que les Grandes Entreprises ont profité de 57%.
Notre rôle est de fournir des outils d’aide à la décision qui permettent aux TPME elles-mêmes de mieux comprendre leur positionnement sur le marché, d’identifier leurs forces et faiblesses, et de prendre des décisions éclairées pour leur développement. Pour les ministères et organismes gouvernementaux, disposer d’outils sur les TPME apporte une aide à la formulation de politiques économiques adaptées, favorisant la croissance et l’inclusion économiques.
– Quelles seraient vos recommandations pour renforcer la croissance des TPME au Maroc ?
En vue de renforcer la croissance des TPME au Maroc, nos recommandations se focalisent sur deux axes majeurs. Tout d’abord, nous préconisons une approche axée sur l’exploitation des données, en encourageant les pouvoirs publics, les investisseurs et les entreprises à intégrer pleinement les statistiques, les indicateurs et les analyses fournis par l’Observatoire. Le recours à des stratégies « Data Driven », largement adoptées dans les pays développés ou émergents, permettrait de prendre des décisions plus informées et en meilleure adéquation avec la réalité économique de ce segment d’entreprises.
Le deuxième axe serait d’évaluer l’impact des politiques et des programmes, favorisant ainsi un processus d’amélioration continue.
– Quels sont les axes et les objectifs du nouveau plan stratégique triennal 2024-2026 de l’Observatoire ?
Ce nouveau plan stratégique prend en compte : les enseignements des précédents plans stratégiques de l’Observatoire, l’impact des crises successives sanitaire, économique, géopolitique et climatique et les ambitions du Maroc pour réaliser une croissance économique plus soutenue, avec l’instauration de diverses réformes entreprises par les autorités publiques, telles que la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière, les réformes sur le plan social (AMO, etc.), la nouvelle charte de l’investissement, les partenariats publics et privés et la réforme des Centres Régionaux d’Investissement (CRI).
L’un des objectifs clés de ce nouveau plan stratégique est d’élargir notre base de données. Cela inclut l’intégration de données sur les investissements, l’agriculture, les exportations, les coopératives, ainsi que les données alternatives. Cette expansion vise à enrichir nos thématiques d’analyse du tissu productif.
Parallèlement, nous continuerons le chantier de fiabilisation et de qualification des données que nous collectons, en nous appuyant sur des techniques avancées de traitement de données comme le « text mining » et le « web scraping » afin d’éviter la problématique d’obsolescence des données, mais aussi participer à l’amélioration de de la qualité des bases de données source au Maroc puisque nous avons mis en place un processus de restitution opérationnel pour Bank Al-Maghrib, le ministère de l’Industrie et du Commerce, la CNSS et l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale. Un autre pilier de notre stratégie est le développement continu de nos dispositifs statistiques et de notre expertise en Data Science, dans le but de rester alignés aux meilleures pratiques.
La communication joue également un rôle crucial dans notre stratégie, que nous renforcerons à travers une approche de vulgarisation visant à expliquer de manière accessible les méthodologies utilisées, en mettant l’accent sur la Data Science et les techniques de modélisation et une réponse à l’intérêt médiatique.
En outre, l’Observatoire propose de continuer à mettre son expertise « data » au service des départements ministériels et des institutions internationales. Nous continuerons notre mission de valorisation des données en exploitant au mieux leurs potentiels afin de développer ce levier d’aide à la décision.
Nous sommes également engagés à fournir une assistance technique aux pays qui souhaitent établir des institutions similaires à l’OMTPME. – Quel bilan pour le plan stratégique 2021-2023 ?
Grâce à la collecte continue de données auprès de ses partenaires, l’Observatoire a mis en place un répertoire quasi-exhaustif des entreprises formelles et actives, couvrant différentes périodes pour lesquelles les données sont disponibles. Un programme de mise à jour de ce répertoire est déployé annuellement.
Ce répertoire offre une multitude de possibilités de requêtage et d’analyses permettant d’explorer en profondeur le paysage entrepreneurial marocain et d’obtenir ainsi une compréhension de cet écosystème, d’autant plus que nous commençons à disposer des séries qui permettent la modélisation des phénomènes économiques.
En effet, grâce à ce dispositif, nous avons publié 4 éditions du rapport annuel, 2 éditions des rapports régionaux couvrant les 12 régions du pays, de telles publications étant de nature à enrichir le dispositif informationnel accompagnant le processus de régionalisation, un cahier sectoriel, et de nombreuses études Ad hoc, telles que l’étude sur les entreprises zombies en collaboration avec la Direction des études et des prévisions financières ou encore la participation à l’enquête nationale sur les perceptions, les attitudes et les pratiques anti-corruption des entreprises marocaines menée par l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption.
L’Observatoire a solidement établi sa place dans le paysage économique, un intérêt marqué et une reconnaissance de son expertise par les départements ministériels qui le sollicitent pour contribuer à la quantification des problématiques liées aux entreprises en mettant en place des outils d’aide à la décision ainsi que par les organismes internationaux et bailleurs de fonds tels que la Banque Mondiale, le Fonds monétaire international, la Banque Africaine de Développement, qui font appel à l’Observatoire pour collaborer sur des études d’envergure.