MEMORANDUM
La population rurale de notre pays est estimée à environ 13 millions d’âmes. Cette population «dispose» de 9 millions d’hectares de surface agricole utile (S.A.U).
L’équation comme on peut le constater est «inviable» ; un partage égalitaire, ne tenant compte ni des structures foncières actuelles, ni de la qualité différente des sols, ni de l’existence ou de l’absence de l’irrigation et des disponibilités en eau, ni des techniques et modes culturaux, nous donnerait à peine un peu plus d’un demi-hectare par tête, c’est-à-dire moins de six hectares pour une famille composée de 10 membres.
Pendant les années 70 du siècle précédent, la surface agricole utile se limitait à 5 millions d’hectares pour une population beaucoup moindre. La pression démographique, depuis cette date, a abouti à un accroissement de cette surface agricole, de près de 40%.
Cette augmentation a été réalisée spontanément du fait du déficit en terre agricole au détriment de la couverture forestière et des parcours, c’est-à-dire qu’elle s’est faite sur des superficies qui, sur le plan de la qualité pédologique, ne sont pas spécialement conformes ni suffisamment riches pour une agriculture rentable.
Il s’agit donc d’une équation qui, par essence n’a rien d’équitable au point que plus de la moitié des 13 millions de ruraux, ne possèdent aucune source de revenus susceptible de leurs assurer une vie digne.
Une situation de sécheresse comme celle que nous vivons actuellement qui touche 7 millions d’hectares et plus de 20 millions de têtes de bétail, aboutira donc immanquablement à une accélération d’un mouvement inscrit dans les « gènes » économico-sociaux actuels de notre pays, celui de l’exode des habitants des campagnes, soit vers des centres urbains, petits, moyens ou grands, nationaux, soit vers l’étranger (qui n’en peut mais… ).
Or, Les dernières pluies et les chutes de neige enregistrées ne suffiront pas, à elles seules, à sauver la campagne céréalière et à assurer une vie digne à la majorité de nos ruraux.
Il est donc urgent de prendre des dispositions à même d’éviter cette situation périlleuse sur le plan économique et social.
Les dernières décisions gouvernementales, pour être les bienvenues, semblent incomplètes pour le court terme et à fortiori pour le moyen terme, c’est-à-dire pour les -années à venir (campagnes : 2016-2017 et 2017-2018).
En effet pour pallier le déficit pluviométrique estimé à 63% au début du mois de février, et ses conséquences sur les cultures en céréales (représentants 3,2 millions d’hectares emblavés) , ainsi que sur l’ensemble du couvert végétal et donc sur l’approvisionnement en eau et en nourriture du bétail, une somme totale estimée à près de 6 milliards de dirhams (4,5 milliards au titre de l’aide présentée par l’Etat auxquels s’ajoute 1,2 milliard équivalent au potentiel d’indemnisation que la Mutuelle agricole (MAMDA) qui remplit le rôle d’assurance agricole, a été mobilisée.
L’aide directe de l’Etat (4,5 milliards de Dh) sera répartie entre trois grandes rubriques :
1/ La sauvegarde du cheptel par l’approvisionnement en orge au prix de 2 dh le kilo. Cette orge dont l’Etat assumera les frais de transport, sera distribuée dans 72 centres de proximité. A côté de cet apport en orge, l’Etat veillera à l’abreuvement des animaux (aménagement et construction (de nouveau ?) de points d’eau (déjà existants !), sans oublier le renforcement de l’encadrement sanitaire des troupeaux, affaiblis du fait de la sécheresse.
2/ Au niveau des activités culturales, il est décidé de venir en aide aux cultures autres que les emblavements d’automne en bour(qui sont déjà quasi-perdus) et-ce par le soutien aux reconversions en cultures de printemps, (maïs, légumineuses, plantes oléagineuses), en espérant que le Ciel sera clément !.
Pour ce faire, il est prévu de recourir au Crédit Agricole qui contribuera pour 1,5 milliard de dirhams, sans oublier l’apport que jouera l’assurance agricole qui a garanti cette année pour plus d’un milliard de dirhams sur un peu plus d’un million d’hectares.
A cela s’ajoute le fait que dans le secteur arboricole en sec il a été décidé d’irriguer, dans le cadre de l’agriculture solidaire, un peu plus de 90.000 hectares.
3/ Le troisième volet présente une connotation sociale plus immédiate car il concerne « le maintien des équilibres dans le monde rural ».
Ces équilibres seront maintenus essentiellement par l’approvisionnement en eau saine ou potable des « zones reculées », ainsi que l’exécution de projets de l’agriculture solidaire afin de « garantir emplois et revenus ».
Sans préjuger de tous les impacts de ce programme global de sauvetage de l’agriculture et des agriculteurs (et particulièrement parmi eux les petits et moyens ainsi que les paysans sans terre mais possédant un petit cheptel), il est nécessaire d’insister d’abord sur l’urgence de la mise en œuvre, dans la transparence et avec toute la rigueur qui doit l’accompagner, des décisions prises.
Cependant cette urgence pour être nécessaire n’interdit pas de rappeler certaines réalités et évidences.
La plus évidentes de ces réalités est que la sécheresse revêt un caractère récurrent depuis des siècles dans notre région climatique. Le réchauffement du climat au niveau mondial présente de grands risques d’aggravation de cette réalité. Il est donc nécessaire d’intégrer cette donnée dans la politique économique de notre pays.
La seconde réalité est que le « Marché » que certains considèrent comme le « régulateur » automatique de toute économie est loin d’être un « régulateur » équitable, pour les producteurs dans le domaine de l’agriculture. Lorsque l’année est bonne comme ce fut le cas lors de la précédente campagne qui avait battu tous les records nationaux de production céréalière (115 M Qx), les producteurs ont vendu leurs produits à des prix trop bas ; c’est ainsi que l’orge a été vendue à 2dh – 2,2 Dh/kg et moins, les blés (tendres et durs) à 2,4 Dh au mieux. Or actuellement ces mêmes producteurs s’approvisionnent à 3,2 Dh/kg pour l’orge et à près de 4Dh/kg pour les blés. Il est donc compréhensible que les éleveurs et surtout les paysans éleveurs non propriétaires (les sans-terre) soient obligés de se défaire de leurs bêtes à des prix ridicules.
Mise en parallèle avec cette situation, il est logique d’estimer que la somme de 4,5 milliards de dirhams mobilisée par l’Etat, est dérisoire.. En effet comparée au niveau des dépenses de consommation des ruraux telle qu’estimée par le H.C.P. en 2013, (La moyenne par tête d’habitant des campagnes est de 346 Dh), elle ne représente que 5% des besoins environ.
C’est pourquoi il est nécessaire, tant du point de vue économique que social, de faire en sorte qu’une deuxième tranche équivalente ou même supérieure à celle prévue actuellement (4,5 milliards de dirhams), soit allouée.
En attendant, il est nécessaire, en plus de la transparence dans la mise en œuvre de la distribution des aliments de bétail et une lutte rigoureuse contre toute forme de spéculation, de réviser à la baisse les prix de ces aliments avec une orge à 1,5 Dh/kg plutôt que 2 Dh. Une faverole à 2,5 Dh/kg au lieu de 3 Dh le kg, sans oublier le son qui a souvent la faveur des éleveurs et dont le prix ne devrait pas dépasser les 2,5 Dh/kg ni l’aliment composé qui devrait être accessible à 2 Dh/kg.
La MAMDA, quant à elle, pourrait sauver de nombreuses familles de paysans et d’agriculteurs-éleveurs en indemnisant les sinistrés le plus tôt possible, c’est-à-dire avant la fin de la campagne agricole actuelle.
Au niveau de la mise en œuvre du « Plan-Maroc-Vert », plan qu’il est temps de soumettre à une évaluation publique et approfondie au niveau national, il est vital de la réorienter pour donner une plus grande priorité à la zone Bour où se trouve le plus grand nombre d’agriculteurs et d’éleveurs, (particulièrement les petits et les moyens) et de rééquilibrer ainsi les rapports entre le pilier I et lepilier II, parent pauvre manifeste du système actuellement.
Outre cette action, le gouvernement devrait demander au Crédit Agricole d’échelonner les dettes en rapport avec les sommes engagées pour les cultures d’automne, sinon de les effacer pour les plus démunis.
Dans cet ordre d’idée, à la fois pour répondre aux exigences du court terme mais aussi, en partie, à celles du moyen terme, les fonds concernant le monde rural ( F.D.A et F.D.R.) doivent engager une série d’actions avec l’implication de tous les concernés. Ces actions viseront à assurer le maximum d’emplois rentables, tant au niveau individuel que collectif, aux habitants du monde rural pendant cette période de sécheresse par la construction de pistes, de ponceaux pour le désenclavement des douars et villages, par le creusement de puits et l’adduction d’eau à tous les douars qui en manquent pour la boisson des habitants et l’abreuvement des troupeaux, ce qui implique automatiquement l’organisation de l’évacuation des eaux usées dans le respect de l’environnement.
Cette action de développement de l’emploi devrait aussi concerner l’organisation des opérations d’épierrage et l’encouragement des paysans, (si les pluies de printemps tombent en quantité suffisante), au développement d’unearboriculture adaptée au climat semi aride de notre pays (oliviers – caroubiers – grenadiers, figuiers, amandiers, figuiers de Barbarie), sans oublier ni le reboisement par le cactus, l’agave, le sisal ou le Paulownia et d’autres arbres fourragers comme l’atriplex,le tout en tenant compte des cartes des vocations agricoles établies par l’INRA sans oublier l’implication effective et active du Haut-commissariat aux forêts et contre la désertification.
Toujours au niveau du moyen terme et étant donnée l’importance du cheptel pour le secteur agricole, il est nécessaire d’apprécier l’impact de la sécheresse (ou du déficit en pluie), sur le niveau de productivité à venir des bovins, des ovins et des caprins qui représentent la grande majorité du troupeau national.
Cet impact concernera en effet la prochaine campagne agricole 2016-2017 et peut être même celle de 2017-2018. C’est dire qu’un suivi vétérinaire systématique s’impose. Dans ce cadre et pour parer, tout à la fois, au chômage des jeunes et aux besoins de la population et des troupeaux, les ministères, de la Santé d’une part et celui de l’agriculture d’autre part, devraient veiller à la formation d’aides-sanitaires pour le premier et d’aides-vétérinaires pour le second.
Le ministère de l’intérieur, quant à lui, devrait ressusciter, ou redynamiser par les collectivités territoriales, le système des bureaux d’hygiène ruraux qui coordonneraient l’action des deux ministères au niveau communal.La renaissance des bureaux communaux d’hygiène viendrait étayer et conforter l’action du ministère de l’agriculture et particulièrement celle de l’ONSSA dans le cadre de la traçabilité des produits cultivés et de l’élevage. Dans ce cadre une graduelle transformation des « tueries » ou abattoirs ruraux par l’aménagement des souks ruraux et la création d’entreprises frigorifiques et de centres de stockage accessibles à tous, viendraient renforcer la modernisation de nos campagnes et participeraient à l’amélioration des conditions de vie de leurs habitants.
Pour permettre la promotion de l’ensemble denotre agriculture ?l’ouverture des centres de qualification agricole aux jeunes agricultures et éleveurs devrait être assurée, ainsi que l’expansion des MFR (maisons familiales rurales).
Seule la qualification des jeunes ruraux faciliterait une transformation en profondeur des systèmes agricoles et l’adoption par les producteurs de nouveaux procédés et de nouvelles techniques plus adaptés et à l’économie moderne et au changement climatique et à la protection raisonnée de l’environnement.
Dans ce contexte l’INRA, par le biais des recherches en aridoculture, devrait jouer un rôle phare et faire profiter notre pays au maximum de la présence sur notre territoire de l’ICARDA (International Center for agricultural research in the dry areas).
En outre le développement de l’économie sociale et solidaire devrait passer du domaine des vœuxpieux à celui de la réalisation concrète, sur une grande échelle et ce par la diversification des métiers ruraux, du tourisme vert au développement du petit élevage (lapins, cailles , apiculture…) et à la culture des champignons ou des plantes aromatiques et médicinales.
A côté des actions à mener dans le secteur de l’agriculture en sec ou pluviale, il y a lieu de prendre en considération l’impact, à terme, de la sécheresse et des effets du réchauffement climatique sur notre agriculture irriguée.
Cela exige le renforcement de la rationalisation de l’utilisation de l’eau d’irrigation tant au niveau national, par le transfert des eaux des affluents nord du Sebou vers des zones à haut potentiel pédologique et agricole, comme le Saïs ou la Chaouia, (sans préjudice ni pour les populations des régions de départ ni pour l’environnement), qu’au niveau régional dans les zones des offices d’irrigation. Cette action de rationalisation de l’irrigation exige la généralisation de la politique d’économie de l’eau au niveau des exploitations agricoles ce qui permettrait, sur les moyens et long termes d’accroitre la surface irriguée nationale pour lui faire atteindre les 2 millions d’hectares,avant de s’engager dans de grandes dépenses pour le dessalement de l’eau de mer, pour les court et moyen termes du moins.
Comme conclusion de ce travail, et pour le long terme, il faut répéter l’évidence suivante : Notre économie nationale ne doit plus restée assujettie aux aléas du climat. Elle doit donc passer d’une structure en 3-1-2 à une structure en 3-2-1, le 3 représentant le secteur tertiaire des services, le 2 représentant l’industrie et le 1 représentant le secteur primaire, avec à sa tête l’agriculture, suivie des activités de la pêche et des activités minières essentiellement.
Comment assurer cette mutation ?
Tout en promouvant la productivité de notre agriculture et la capacité de concurrence de ses produits, aussi bien sur le marché national que sur le marché international, et tout en préservant la qualité de l’environnement, par la protection de nos capacités hydrauliques et hydrogéologiques, qui implique la rationalisation et l’économie de l’eau pour l’irrigation, il est nécessaire de développer notre industrie.
Ce développement de l’industrie doit, de par notre situation et notre réalité être, d’abord, intimement lié à l’activité agricole.
En effet, au niveau de l’amont des activités agricoles se présente l’opportunité que nous donnent nos richesses phosphatières. La transformation industrielle de ces richesses phosphatières qui est déjà bien engagée, poursuivra son développement pour répondre aux besoins de notre propre agriculture, comme pour répondre aux besoins alimentaires de l’ensemble de l’Humanité. Cette industrie chimique continuera d’enrichir notre pays et aidera encore plus à l’expansion de notre économie nationale sur tous les plans : ceux de la production brute de la richesse individuelle et collective, par le développement de l’emploi, et, de manière concomitante, ceux de la production «immatérielle» par la promotion de la recherche et de la connaissance y compris, bien sûr, dans le domaine de l’agriculture.
En aval des activités agricoles (cultures et élevage), l’industrie devra être développée dans le cadre de l’agro-industrie.
De manière parallèle l’industrie mécanique, en relation avec les activités agricoles, pourrait, elle aussi, connaître un développement certain.
La discussion sur la sécheresse et son impact immédiat nous a donc amené à aborder un sujet qui, à première vue, semble éloigné du domaine de l’agriculture, celui de notre nécessaire accession à l’économie du savoir et de la connaissance.
Parti du Progrès et du Socialisme
Rabat, le 16 Mars 2016