Le visage, ce «livre sacré»

Mémoire

Jusqu’au 29 Septembre, à la Galerie «Rivages» de Rabat, en attendant une programmation à Casablanca, l’enfant prodige de «Derb Assaltane», Noureddine El Warari, vous offre près de 40 ans de visages de son quartier d’enfance. Son œil débordant de souvenirs de l’humanité de ces visages, sculpte ces derniers et les fait parler par ses focales étonnantes de photographe-cinéaste ayant accumulé pendant des décennies une expérience professionnelle reconnue à Hollywood de la «Cité des anges» (Las Vegas), cité mondiale de l’image.

«Le visage est un coran»répétaient parents et adultes aux enfants si singulièrement portés sur les bagarres rangées entre les différents quartiers de «Derb Assaltane», à Casablanca. Il nous était donc interdit de frapper au visage lors de ces «guerres des boutons» entre rues et ruelles qui s’identifiaient comme des villages quasi autonomes, comme territoires et communautés. De fait, chaque quartier se distinguait par ses héros et icônes : visages de figures de la résistance à l’occupant, présent, parfois, militairement sur certaines terrasses et dans certaines cours d’écoles; visages de footballeurs de renommée casablancaise ou nationale; visages de boxeurs ou catcheurs, deux seuls sports courus dans ces quartiers après le ballon rond Roi…

Visages aussi de charitables, généreux et protecteurs ainés, grands-pères et grands-mères, respectés, à peine plus nantis que la grande majorité des habitants de ces quartiers: ouvriers, artisans, petits commerçants, marchands ambulants, très petits fonctionnaires des services publics… Des familles originaires de toutes les régions du pays, venues peupler ces quartiers, en vagues successives d’exode, poussées par les exactions et les violences de l’occupant, par la sécheresse, par la famine et des épidémies durant les années trente et quarante.

Ce «petit peuple» de Derb Assaltane, a fini, dans les années cinquante, par doter ses enfants de première génération native de Casablanca, et non de vieilles villes et lointaines campagnes du pays comme leurs parents, une culture communautaire, animée certes d’ambition et de volonté d’embrasser un nouveau Maroc, libre et moderne, mais une culture célébrant, au quotidien, la solidarité et l’entraide pour nourrir chez chacun et chacune un sentiment de fierté, d’appartenance à son quartier, à Derb Assaltane… Un sentiment aussi d’embrasser une urbanité moderne dans la mythique Casablanca, creuset de la résistance, de la modernisation, de l’industrialisation (mots magiques : «l’Usine» et «Acharika»-société-). Pour les Oulad (enfants) Derb Assaltane, leurs quartiers sont ouverts sur le monde, par l’industrie, par le sport (le foot), par l’école, par le théâtre, par le cinéma…

Le Cinématographe, cet art par excellence pour dévisager les visages, s’est doté dans ces quartiers de plusieurs temples : plus d’une dizaine de salles (parmi la cinquantaine que comptait toute la ville, fin des années 60 !). Alors, il était comme écrit que le photographe et cinéaste Noureddine El Warari, natif de la rue 17 de Derb Sbagnol, dévisage par cet art les visages qui peuplent l’imaginaire de son quartier irrigué par les écrans du cinéma Azzahra (en face de chez l’artiste), du cinéma Royal, du cinéma Kawakib, du cinéma Mauritania…

Un imaginaire forgeant la mémoire d’un quartier si cher à ses illustres enfants cinéastes : Mohammed Reggab, auteur du «Coiffeur des pauvres», figure de Derb Bel Alia, avec Ahmed Bouanani («Mémoire 14») et de Derb Carlotti avec Tayeb Saddiki… Tous (et d’autres) figures de Derb Assaltane, admirateurs du pionnier du 7ème art dans leurs quartiers, à Derb Bouchentouf (derrière le cinéma Kawakib) : Mohamed Ousfour ou «Tchikiyou», le Méliès marocain… Ingénieux artisan du tournage, du montage, du tirage, du son, des effets spéciaux… Ingéniosité similaire qu’une formation et un long exercice professionnel aux USA (à la Mecque du cinéma, Hollywood), permettent aujourd’hui à Noureddine, formé humainement à Derb Assaltane, à nous guider dans la lecture de ces visages si révélateurs de l’identité de cette communauté de Marocains, de ce «petit peuple» des quartiers dits «populaires» du «Casablanca» vu et vécu par Noureddine… Non le «Casablanca» de Humphrey Bogart pastiché, de loin, dans les studios de Hollywood par Michael Curtiz.

Que le regard soit d’un vieux, d’une vieille, d’un enfant ou d’un adolescent, l’âme, que seul le sacré prétend reconnaître dans le visage, comme dans un livre, se donne à voir dans ce Casablanca de Noureddine. Grâce au fusain photographique, fixateur, de cet enfant de notre rue 17, nous, ses voisins d’enfance, nous nous retrouvons dans notre lointain imaginaire. Quand nos premières années de vie s’inspiraient de ces visages avenants, si photogéniques, si expressifs de par leur âme et de par celle, quasi intacte dans ces clichés, de leurs pénates à Derb Assaltane.

Pr. Jamal Eddine NAJI

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