L’écoute de la médina

La canicule refait son remake et les pétarades des motos qui circulent dans la médina de la ville ocre ajoutent à l’atmosphère leur échappement qui se trouve bloqué par ce revêtement imperméabilisé laissant passer la lumière.

On étouffe par l’effet de la chaleur et par l’effet de cet air vicié, artificiellement provoqué.

Cela n’empêche pas la population de vaquer à ses occupations et aux groupes de touristes de circuler pour admirer le patrimoine du bâti et retrouver l’endroit idoine pour déguster cette cuisine où la sapidité s’associe aux senteurs.

La médina vit et fait vivre. Malgré ses blessures pansées au sparadrap uniformisé (du lexan, au pavé et la devanture des échoppes « normalisés » pour toutes les médinas du royaume !), on arrive à ne pas se tromper de lieu par l’écoute de la clameur et l’interpellation des multiples invites.

De patrimoniale, elle est devenue l’objet d’une industrie touristique qui se remarque. Le tourisme, sous tous ses aspects, de la culture à la gastronomie, est plus intense dans la médina que dans les nouveaux quartiers de la ville. Patrimoine universel millénaire, elle porte la marque du royaume, cet « arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe ».

Certes, la médina a bénéficié du programme royal de réhabilitation et de mise en valeur des médinas, et on ne peut que se féliciter des réalisations effectuées. L’appréciation à sa juste valeur de l’effort mené par l’action publique dans ce cadre nécessite aussi d’en faire le bilan et d’en tirer les leçons pour pouvoir l’étendre à d’autres médinas qui souffrent de la négligence, de l’anarchie et qui menacent ruine au désespoir de la population et dans l’accablement de ses élites.

Que l’on se comprenne, il ne s’agit pas de « maquiller » la médina pour la rendre plus intégrée dans un environnement urbanistique qui l’exclut du développement qui lui convient. Il s’agit, encore plus dans ces temps d’incertitude, d’affirmer l’identité patrimoniale de la médina, dans le respect des règles de la restauration, et de se réapproprier son espace en le faisant vivre, non comme agglomération d’habitats délaissés aux démunis mais comme le creuset de la civilisation locale et de ses prolongements interactifs vers des espaces proches ou lointains.

C’est à l’occasion de Samaa Marrakech dans son onzième édition, organisée par l’association Al-Muniya de Marrakech, que le débat sur la médina a pris le temps de se faire. Rencontres scientifiques agrémentées  de musique soufie, pour l’utile et dans l’agréable, rénovant la tradition du « sabbouhi » cette matinale à l’écoute de la musique andalouse dans les jardins de la Ménara, ce colloque international a renouvelé l’alarme : le patrimoine est en danger. 

« La globalisation massive des échanges commerciaux depuis plusieurs décennies a permis la diffusion mondiale de nouveaux modèles spatiaux et constructifs au détriment de préservation et de la pérennité des paysages et villes historiques. L’agressivité et le caractère disruptif d’une esthétique moderne fondée sur une tabula rasa faisant fi du passé tendent à accélérer l’abandon (et la dégradation qui en découle)des structures traditionnelles existante, voire à favoriser leur disparition à plus ou moins long terme. Ce phénomène massif semble irrésistible puisqu’il est perçu dans la plupart des pays concernés comme l’expression d’une évolution et d’un progrès « naturel », donc incontestable. ».

Si les responsables gouvernementaux semblent prêter l’oreille à l’argumentaire développé par la société civile, par le Conseil Economique Social et Environnemental et par la Cour des Comptes à ce sujet, il reste à actualiser l’arsenal juridique dans ce sens pour se doter d’une stratégie nationale visant la protection, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine dans tous ses aspects.

Les collectivités territoriales, de la commune à la région, devront aussi se mettre au diapason en considérant le patrimoine comme une richesse et non comme une charge budgétaire stérile. L’investissement dans ce domaine ne peut être que productif par son impact sur la population et son intégration dans la transformation sociale entreprise.

Soyons vraiment à l’écoute de la médina, « espace de vie et de voisinage épanouissant, ce ferment cognitif le plus productif du nouvel horizon urbain espéré par les citadins. ».

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