Pour faire face à la dégradation de l’écosystème océanique, une gouvernance mondiale s’impose.

Par Abdeslam Seddiki

« L’océan : enjeu mondial et solution planétaire », tel est l’intitulé du rapport stratégique 2022-2023 que vient de publier l’IRES (Institut Royal des Etudes Stratégiques). Le titre choisi est significatif et traduit parfaitement les préoccupations du moment. L’Océan recèle des richesses incommensurables qui pourraient être exploitées dans l’intérêt de l’humanité à condition d’en faire un usage rationnel, de les protéger et de les considérer comme un bien commun.

Le rapport a mis en évidence les difficultés méthodologiques à procéder à une évaluation exhaustive du potentiel maritime mondial. Une évaluation purement monétaire des actifs a démontré que 63% de la valeur mondiale totale des services écosystémiques provenait des écosystèmes marins, soit 20.9 trillions de dollars/an.

L’océan couvre 71% de la surface du globe, génère plus de 50% de l’oxygène mondial, absorbe, chaque année, 25% du carbone d’origine anthropique et représente 95% de la biosphère. Son équilibre, dont dépend sa bonne santé, est essentiel à notre survie. Cependant, trois grands enjeux existentiels dessinent l’évolution future de l’océan : un réchauffement grandissant, de nouvelles conditions environnementales et une altération de la biodiversité marine.

Le réchauffement climatique impactera lourdement et l’océan et la vie des humains. La montée du niveau des océans provoquera des inondations côtières plus fréquentes et plus graves dans les zones basses ainsi que leur salinisation tout en accélérant l’érosion côtière.  Ainsi, d’ici 2050, la moitié de la population littorale de basse altitude (inférieure à 10 m) pourrait être sinistrée du fait de la montée des eaux, soit plus de 300 millions de personnes, trois fois plus qu’aujourd’hui.  Selon le scénario du GIEC, sans adaptation côtière, 48% de la superficie terrestre mondiale, 52% de la population mondiale et 46% des actifs mondiaux seraient soumis au risque d’inondations d’ici 2100. Au total, 68 % de la zone côtière mondiale inondée sera causée par des marées et des tempêtes, dont 32 % par l’élévation prévue du niveau de la mer.

En plus des impacts du réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique, l’océan est soumis à une pollution multi-sources et multiformes, résultant des activités humaines, qui modifient substantiellement le milieu océanique.

Cette pollution provient du transport maritime et des marées noires. Elle est liée, également, aux rejets (gazeux, liquides et solides) d’origine urbaine, industrielle et agricole. Ces déchets sont transportés par les vents, la pluie et les cours d’eau ou tout simplement rejetés directement dans l’océan. Rien que pour les plastiques, on estime que 11 millions de tonnes de déchets plastiques finissent chaque année dans l’océan mondial (2020), un chiffre, qui double chaque décennie (soit 30 millions de tonnes par an d’ici 2040 ou 50 kg de plastique par mètre de littoral mondial), sans compter les 8 millions de tonnes supplémentaires et imprévues de déchets plastiques générés par la pandémie de la Covid-19 (masques, flacons, seringues, …)

 En 2021, la flotte marchande mondiale comptait entre 74.500 et 100.000 navires et transportait 9 milliards de tonnes de marchandises, acheminant 90% du commerce mondial. Cette flotte devrait augmenter de 6,4% à l’horizon 2025, les méthaniers et les paquebots connaissant la plus forte croissance.

Depuis les années 1950, l’extraction pétrolière et gazière des fonds marins n’a cessé de se développer : l’exploitation offshore représentait un tiers de la production mondiale en hydrocarbures en 2019. En outre, dans la perspective d’une transition énergétique, l’éolien offshore, qui a émergé au début des années 2000, est aujourd’hui concurrencé par l’éolien flottant, qui réexploite les flotteurs et les systèmes d’ancrage des plateformes pétrolières.

Face à cette dégradation continue de l’écosystème maritime mondial que faire pour concilier les deux impératifs de croissance économique et de préservation de l’environnement. L’équation est difficile reconnaissent les rédacteurs du rapport : « même lorsqu’il existe une véritable prise de conscience de la situation, …, ce sont les alternatives qui font défaut. Comment ne pas pêcher de poissons interdits lorsqu’il faut nourrir une famille ? Comment ne pas construire/acheter en bord de mer quand la vie y est plus douce qu’ailleurs ? Comment ne pas poursuivre l’urbanisation littorale quand la demande touristique est si forte ? Face à ces questions sans réponses et à défaut de solutions rapides, viables et financièrement raisonnables, les changements nécessaires peinent à s’opérer » (p.136).

Un renversement de perspective est donc nécessaire : face à l’urgence de la situation de l’océanosphère, la question n’est plus de savoir ‘’comment tirer des bénéfices de l’océan au profit de l’humanité’’, mais ‘’comment protéger l’océan pour que l’humanité puisse survivre’’.

Un tel renversement de perspective requiert un changement radical des politiques.  Lequel changement passe par l’adoption d’un nouveau modèle de développement. En effet, le modèle de développement actuel est fondé sur la prédation, c’est-à-dire un prélèvement des ressources naturelles supérieur à la capacité annuelle de renouvellement de ces ressources. Ainsi, chaque année, le Jour du « dépassement » arrive un peu plus tôt. Cette pression anthropique ne peut que s’accroître, avec l’augmentation de population attendue d’ici 2050, la trajectoire de croissance des pays développés (principaux pollueurs de la planète) et en développement (premières victimes du changement climatique) ainsi que l’accession de pays de plus en plus nombreux aux modes de vie des économies avancées.

A l’échelle de la gouvernance mondiale de l’océan, le premier pas en faveur de cette rationalisation est la mutualisation qui découlerait de la reconnaissance juridique de l’ensemble de l’océan comme bien commun de l’humanité et de la mise en place d’une gestion communautaire mondiale de ce bien commun.

Dans cette dynamique de renversement de perspective, le Maroc, est appelé, eu égard à l’étendue de son littoral (3500 km) et de sa zone économique exclusive (plus de 1 million de km2), à   devenir une grande nation maritime du 21ème siècle. Il a besoin de renverser  son paradigme d’industrialisation rapide et massive de ses activités maritimes au profit d’une vision plus orientée vers la protection de l’océan et l’utilisation soutenable, équilibrée, de ses ressources. Pour cela, il doit affronter trois grands enjeux :

-Opérer une révolution des mentalités, en renouant avec ses racines maritimes, en valorisant son patrimoine archéologique, historique, culturel et naturel, en développant une littératie de l’océan dès le plus jeune âge et en assurant le développement et la promotion des sciences et de l’ingénierie de la mer.

– Coordonner un programme national, qui viserait l’amélioration de la gouvernance maritime, ainsi qu’une meilleure articulation entre science et gouvernance, notamment, dans la prévention des risques (élévation du niveau de la mer, érosion, climat).

– Enfin, développer la coopération régionale et internationale et faire du Maroc un acteur reconnu en matière de diplomatie océane.

Notons enfin que  ce rapport de 300 pages contient énormément d’informations et de suggestions. Le dernier chapitre consacré au Maroc, dresse une véritable feuille de route et une stratégie de développement de notre potentiel maritime.

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