Valorisation des produits de la mer : Les conserveurs en mal de visibilité

Assurément, tout le ramdam créé autour de Halieutis, la stratégie ministérielle déclinée pour le développement de la pêche n’a pas suffi à évincer les inquiétudes des industriels. Les conserveurs qui viennent de tenir leurs 3èmes assises, à El Jadida, l’ont exprimé haut et fort devant les représentants de l’administration en charge de gérer la mise en application de la stratégie de développement de toutes les filières liées à la pêche (département de tutelle, INRH, etc). Mohamed El Jamali, Président de l’UNICOP, a tenu à souligner la singularité du rendez-vous fixé par les industriels. En cherchant «la meilleure approche» qui soit pour assurer la pérennité d’un secteur d’activité dont la longévité est tributaire des approvisionnements aléatoires. Et en investissant, cela va de soi, «les niches de compétitivité».
Bien entendu, cette démarche ne saurait être conséquente sans l’organisation de l’accès à la ressource. Et c’est la raison pour laquelle, opportunément, Zakia Driouech, responsable au ministère de la pêche, a tenu à dévoiler les grandes lignes sur lesquelles repose Halieutis, notamment dans sa dimension d’aménagement de la pêcherie des petits pélagiques. Cette «vision globale» qui a été déclinée, devant SM le Roi le 29 septembre 2009, à Agadir, reste axée sur la durabilité et la valorisation du patrimoine halieutique. L’objectif recherché étant de doubler le PIB sectoriel à l’horizon 2020. L’affaire est loin d’être anodine à l’heure où la FAO tire la sonnette d’alarme sur tout ce qui est surexploitation de la ressource. Et où les acteurs exigent plus de visibilité. C’est la raison pour laquelle la représentante de la tutelle n’a pas manqué de rappeler les cinq lignes directrices et transversales sur lesquelles s’articule le plan stratégique : un cadre juridique clair, la traçabilité via un contrôle effectif, l’amélioration de l’attractivité, la convergence des intérêts de l’interprofession et la gouvernance publique. L’objectif du plan reste, dans son ensemble, basé sur un autre aménagement des pêcheries sur la base de quotas. Et lorsqu’on sait que 80% de l’effort de pêche concerne le petit pélagique, c’est le stock «C» qui se trouve entre Cap Boujdour et Cap blanc qui est principalement visé. C’est une «chance» que de constater que ce gisement là est sous-exploité… Ce qui fait que l’intérêt qu’il suscite déjà se traduirait par la valorisation des provinces du Sud devant concentrer l’effort de pêche, la création de la richesse devant s’accompagner aussi par celle de l’emploi.
Mais entre le souhaitable et le réel, un hiatus existe. Les groupements encouragés par Halieutis dans le cadre d’un partenariat entre armateurs et industriels posent problèmes. Et c’est d’ailleurs ce qui incite nombre d’opérateurs à suggérer à la tutelle de mettre en place une «prime de mariage». En tout cas, si les uns et les autres traînent des pieds sur cette voie, c’est bien parce que les conditions d’exploitation optimum ne sont pas réunies. Ni en termes d’infrastructures viables, ni en termes d’incitations au partenariat. Et si le Taux admissible des captures (TAC) prévus pour 2010 atteint quand même les 1,8 million de tonnes, les 60% restent concentrés dans la zone «C». Et c’est là où l’affaire se complique davantage. Car la taille des pélagiques pêchés dans la zone, la sardine en tête, n’offre pas le meilleur moule pour les conserveurs. Ce qui exige des aménagements technico-industriels. Cela sans parler de la politique des débarquements qui souffre de l’inexistence d’infrastructures idoines tant à Boujdour qu’à Dakhla. Le premier port ne sera opérationnel qu’en 2015 alors que l’élargissement du deuxième n’est programmé que d’ici 2020.
Face à tout cela, les conserveurs n’en démordent pas. A leurs yeux, le meilleur moyen d’aller de l’avant consiste en une optimisation de l’accès à la ressource dans les traditionnelles zones «A» et «B». Là où la fragilité des stocks des pélagiques s’est particulièrement illustrée durant l’année 1999, comme l’ont rappelé les experts de l’INRH. Les changements hydroclimatiques étant mis en avant pour expliquer une telle situation. Alors que l’optimisation de l’effort de pêche est laissée, elle, en plomb. Les pêcheurs n’arrivant pas à équilibrer leurs prises. Ce qui transparaît soit par une surpêche, et la qualité du pélagique débarqué s’en ressent, soit par des filets… vides. Et pourtant, que de bateaux sont équipés en sonars susceptibles de guider les pêcheurs vers les bancs de poisson. Dès lors, les industriels ont eu raison de soulever la question primordiale : quid de la biomasse ? Comment se fait-il que l’INRH, disposant de bateaux scientifiques qui lui permettent d’évaluer la ressource, résiste à communiquer avec les professionnels ? Majid El Joundy qui fait partie du staff dirigeant de l’UNICOP n’a pas mâché ses mots. Sur l’état de la biomasse, jugé critique au point qu’il nécessite une réduction drastique des prises de 700.000 t à 300.000 t, comme le recommande la FAO. Mais aussi sur l’échec de l’approche parteneuriale industrie/armateurs, à l’instar du système d’agrégation adopté dans l’agriculture. Et sur ce dernier volet, la complexité de l’action de la tutelle a été étayée à l’aune de la seule surabondance d’associations (plus de 360 associations en présence) qui complique toute action devant être scellée par des accords.
Au cours de cette manifestation, les questions ont débordé le seul cadre d’Halieutis pour toucher à d’autres problèmes qui s’avèrent des plus cruciaux pour le devenir d’un pan entier de l’industrie de transformation. D’abord, il est question pour le Royaume d’assurer une veille constante au niveau des diverses institutions commerciales internationales, le CODEX alimentarus en tête, pour que les batailles menées autour de l’espèce de sardine Pilchardus Walbum ne se soldent pas par une défaite. A ce niveau-là, la mobilisation public/privé qui avait permis de remporter quelques batailles doit rester de mise. Et last but not least, il est aussi important de batailler sur le dossier des règles d’origine qui emprisonnent le Royaume dans les 12 miles sans pour autant lui permettre de jouir pleinement de ses Zones économiques exclusives (ZEE)… Comme sur le dossier de la labellisation des produits fabriqués au Maroc. Les normes MSC qui se réfèrent à la pêche responsable risquant de faire perdre au pays des marchés traditionnels comme ceux de l’Allemagne et de la Grande Bretagne.
Déjà, le Portugal avance sur ce chantier là, à grande vitesse. Ce qui incite le pays à faire de même. Car il est difficile de regagner une place perdue sur un marché pour lequel beaucoup d’efforts ont été faits. Enfin, une bonne nouvelle pour les conserveurs. Le dossier du cadmium qui risquait d’évincer les conserves marocaines du marché européen n’est plus d’actualité. Les analyses certifiées qui ont été communiquées aux instances européennes placent les produits marocains en-dessous de la barre de l’interdit.

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