L’Arche de Noé version 2.0
Jadis, l’humanité apprenait des années après, voire des décennies ou des siècles, ce que certains peuples ou contrées ont connu comme cataclysmes, apocalypses ou épidémies. Historiens et grands voyageurs, du type de notre tangérois Ibn Battouta, rapportaient ces épreuves de l’espèce humaine comme de lointains drames dans le temps et dans l’espace par rapport au temps présent de leurs contemporains ou pour les générations de bien après ces récits.
Sur la couronne du « Coronavirus » (Covid-19) d’aujourd’hui, il y a une deuxième couronne, bien visible et bien bruyante celle-là : la couronne de la communication. Le Covid-19 nourrit à lui seul, à longueur de nos journées et nuits, la communication et s’en nourrit tout autant. Paradoxe : le terrasser, le faire disparaitre, cela dépendra, pour une grande part, de la communication, la communication 2.0 planétaire entre les hommes (gouvernants et gouvernés), comme entre savants et scientifiques…Comme si le matériel génétique des virus émergents ces dernières années (VIH, H1N1, SRAS, Ébola, Zica…) comportent désormais une séquence de communication intégrant, en plus des informations qui leur sont nécessaires pour phagocyter ou détruire nos cellules, une extension de capacités de communiquer vers l’extérieur du corps humain. Le paradoxe est que de cette communication « exogène », virale s’il en faut, du Covid-19, dépend aussi bien la vie que la mort de ce coronavirus. Une communication planétaire, instantanée, sans frontières de langues, de classes sociales, de cultures, de conditions de vie ou de survie, de connaissances de spécialistes ou d’ignorants.
Tous, nous sommes dans le besoin d’une communication basique et conséquente sur cet être lugubre, le Covid-19 en l’occurrence, et, tous, nous avons besoin de communiquer nos faits, gestes et décisions, les partager à large échelle entre nous, à travers le monde, pour espérer le terrasser. Notre survie dépend de cette communication. Le Coronavirus nous pousse et nous booste dans la communication tous azimuts entre nous, des milliards d’humains, sa large cible. S’informer n’a jamais été aussi vital et fatal, tant pour chacun que pour toute notre espèce… Le droit à l’information, à la communication, trouve là une inespérée amplification parmi les droits de la personne humaine brandis universellement, en 1948, comme lueur de sagesse et d’humanité au lendemain de l’épisode d’extrême déchéance humaine révélée par le second conflit mondial du siècle dernier.
Avec le Covid-19, tout membre de notre espèce doit être isolé pour ne pas succomber. Mais nul ne doit être isolé de la communication, de l’information. Notre lutte comme notre salut en dépendent… Merci à l’ère numérique ! Qu’aurait été l’hécatombe sans le digital ?!
Oui, mais force est de constater que la communication, la classique, verticale et surveillée/censurée, comme aussi l’actuelle, l’horizontale, la numérique, libre et sans obstacles majeurs, n’ont pas toujours volé au secours des victimes de conflits asymétriques dans certaines régions, depuis la guerre d’Indochine, dans les années 50, jusqu’aux fléaux du terrorisme au Moyen Orient et ailleurs, en passant par les génocides et violences ethniques en Afrique, en Europe centrale, en Asie, en Amérique Latine… La communication a même, dans certains cas, servi de complice dans ces folies, meurtrières pour l’espèce, accumulées sans cesse depuis la 2ème guerre mondiale.
Dans cet ordre d’idées, ne pourrait-on pas craindre qu’au lendemain de l’enterrement du Coronavirus dans une immunisation collective durable, la communication reviendrait instinctivement à son pêché de complicité dans les conflits humains destructeurs de la cohésion et du bien-être des individus, voire de la survie de notre espèce ? Elle le pourrait, hélas, fort bien, si l’information, via les banques de données, le Big Data et l’intelligence artificielle, sert comme arme destructrice, ou usurpatrice, des économies, des droits et libertés individuels, des cultures et leurs patrimoines, des équilibres dans les échanges, des égalités d’accès aux inventions et leurs bénéfices… La communication 2.0 (…5.0…) changera-t-elle son ADN, ou pour le moins, renoncera-t-elle à l’avenir, à laisser libre cours à ses négatives potentialités porteuses de graines de discordes, de conflits, d’affrontements, de discriminations, de guerres, d’inféodations et manipulations, d’obscurantismes et d’ostracismes, pour n’ouvrir le champ de ses actes et impacts qu’à ses potentialités favorables aux droits et libertés individuels, aux pratiques de solidarité humaine entre les individus et entre les peuples, aux féconds et paisibles dialogues et échanges entre les cultures, les croyances et les religions..? Est-ce une utopie?
Cela a toujours été utopique, avant comme après l’ère numérique. Sauf qu’avec cette menace de finitude de l’espèce humaine, annoncée par le Covid-19, et qui peut évoquer chez certains l’image qu’il se font du « Grand déluge » décrit par les saintes écritures de diverses religions, il serait, pour le moins, intelligent de la part de l’Homme de ne concevoir et de n’user de la communication que dans ce sens de survie de l’espèce humaine. Une espèce, la plus intelligente de l’univers croyons-nous à ce jour, qui est si aisément menacée maintenant d’extinction par un microscopique avatar à couronne parmi d’autres semblables à couronnes présents sur cette planète.
Un grand déluge est en cours. Et la communication 2.0 est comme un GPS indispensable pour que toute l’espèce humaine, cette fois, atteigne l’Arche de Noé et y embarque, pour le salut de tous, pour faire vivre et prospérer une nouvelle humanité… Noé avait la mission de sauver les espèces vivantes sur terre de la folie meurtrière de l’Homme. Notre semblable contemporain, ciblé par le Covid-19, a comme contrat vital avec lui-même, de sauver son espèce, comme de sauver les autres espèces partageant sa vie sur terre. Il a, comme grande voile pour que vogue son arche salutaire, la communication. A condition qu’il la hisse et la déploie avec prudence, exactitude, rigueur et conscience…En somme, selon ces règles d’airain, bien connues, qui doivent guider le gouvernail de l’acte – exclusivement humain – d’informer les humains.
Jamal Eddine Naji