Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi
Même si, lors du retour des Talibans aux commandes de l’Afghanistan, en Août 2021, les femmes avaient été contraintes de cacher leurs visages et leurs corps sous des burkas avant d’être progressivement chassées de l’espace public à telle enseigne que l’Organisation des Nations-Unies avait dénoncé un « apartheid de genre », nul ne pouvait croire que les Afghanes allaient être réduites à un profond silence et à une invisibilité totale ; autrement dit, à un effacement pur et simple.
C’est, pourtant, ce qui se passe depuis que, par un décret en date du samedi 28 Décembre 2024, le chef suprême des talibans, jugeant que le seul fait de voir les femmes, même drapées dans ces burqas qui leur donnent l’apparence de fantômes sans corps et sans visages, pouvait conduire à l’« obscénité », a ordonné d’obstruer et de ne plus construire de fenêtres qui donneraient sur des espaces résidentiels occupés par des femmes.
Lorsque des fenêtres avec vis-à-vis existent dans des logements édifiés avant la publication de ce décret, les propriétaires de ces habitations sont, désormais, obligés de construire, sans délai, un mur pour obstruer la vue et « éviter les nuisances causées aux voisins ».
Les mairies et autres services compétents étant, désormais, appelés à surveiller les chantiers de construction afin de s’assurer qu’il ne sera pas possible de voir ce qui se passe chez les voisins, il est clairement mentionné, dans le communiqué publié, ce samedi, sur « X » (ex-Twitter), par le porte-parole du gouvernement taliban, Zabihullah Mujahid, qu’en cas de construction d’un nouveau bâtiment, il faudra que celui-ci soit dépourvu de fenêtres d’où il serait possible de voir « la cour, la cuisine, le puits des voisins et les autres endroits habituellement utilisés par les femmes (…) car le fait de voir des femmes travaillant dans des cuisines, dans des cours ou collectant de l’eau dans des puits peut engendrer des actes obscènes ».
En s’insurgeant contre ce décret qui, non seulement relève d’un autre temps mais également d’un autre espace et que l’on pourrait aisément qualifier de « grand n’importe quoi » dès lors qu’il vise à dépouiller les femmes de leur condition même d’êtres humains, Eric Cheysson, président de l’ONG « la chaîne de l’espoir », dénonce « un enchaînement absolument effrayant » et « sans précédent » car, après l’interdiction, faite aux femmes, de « parler à voix haute, de chanter ou de lire de la poésie », d’étudier les métiers médicaux alors même qu’en Afghanistan « les femmes ne peuvent être soignées que par des femmes », voilà qu’on leur demande de s’effacer, purement et simplement, pour se soustraire aux regards des hommes.
Cette situation aussi incompréhensible qu’insoutenable devrait interpeler tous les défenseurs des droits humains car il est inadmissible que « ces mouvements de droit de libération de la femme s’arrêtent aux frontières de l’Afghanistan où il se passe ce véritable féminicide social » qui, au seuil de cette année 2025, réduit au silence et à l’invisibilité 20 millions de femmes afghanes.
Autant dire que la pire insulte que l’on pourrait, désormais, adresser aux femmes c’est de leur souhaiter d’être afghanes ; autrement dit, de ne pas être du tout, mais attendons pour voir…