Pour un encadrement législatif ou conventionnel

Le télétravail au Maroc

Ahmed Bouharrou

I) Définition du télétravail et du télétravailleur

Il n’existe pas de définition précise du vocable « télétravail « en raison de la diversité de ses formes et des  modalités de son exercice et des différences des lieux de sa pratique et la pluralité des situations auxquelles il pourrait s’appliquer. En dépit de ces obstacles à sa définition, le télétravail désigne en général, toute forme d’organisation et/ou de réalisation  du travail utilisant les technologies de l’information et les moyens de communication, dans le cadre d’un contrat de travail,  qui aurait également pu être effectué dans les locaux de l’employeur est  exécuté par un salarié hors de ces locaux. Le télétravail peut être exercé à domicile ou dans un télé centre près du domicile ou dans des locaux communs dits « co-working ».En fonction des circonstances, le télétravail peut être volontaire, imposé, saisonnier, à plein temps, à temps partiel, alterné ou inscrit dans des arrangements.

Le travailleur  accomplissant le télétravail dit «télétravailleur/euse» désigne  toute personne physique liée à un employeur, personne physique ou morale, soit dès l’embauche, soit ultérieurement,  par un contrat de télétravail.

Le télétravailleur  utilise les technologies de l’information et de la communication (ordinateurs fixes et portables, Tablettes,  téléphone portable…) pour effectuer son travail et qui lui sont remis par son employeur. Les activités « télétravaillables » sont limitées et sont liés aux travailleurs exécutables pour les technologies de l’information et la communication.

Le mode d’organisation du travail, le lieu de son exécution et les moyens technologiques utilisés peuvent être pris en considération pour la délimitation du périmètre du télétravail.

Le télétravailleur n’est pas « un salarié à domicile » tel qu’il est défini par l’article 8 de la loi n° 65-99 portant code du travail. Il n’est pas encore un « travailleur nomade » ou un « salarié mobile » ou un télétravailleur indépendant qui préfère travailler pour son propre compte dans le cadre d’un contrat civil qui n’est un contrat de travail de nature sociale.

La différence entre le travailleur et le travailleur à domicile réside dans le fait que le télétravail s’insère dans le domaine des technologies de l’information et de la communication alors que le travail à domicile peut concerner n’importe que travail (fabrication de chaussures, vêtements,…..).

 Pour bénéficier du  statut du télétravailleur, ce travailleur doit répondre aux critères de salarié   tels qu’ils sont fixés par la législation, la doctrine et la  jurisprudence. En outre, il doit travailler par  des moyens de  technologies de l’information et de la communication, exercer un travail régulier. Le travail effectué par le  télétravailleur chez lui doit également pouvoir être exécuté en interne, dans les locaux de l’entreprise, Le télétravail doit être exercé dans le domicile du télétravailleur, dans un lieu librement choisi par lui ou dans un lieu commun.

Si le télétravail s’exerce à l’intérieur d’un pays, il peut également revêtir une dimension  transnationale lorsqu’un un télétravailleur relevant d’un pays accomplit des travaux télétravaillables pour le compte d’entreprises installées dans des pays étrangers, c’est le »télétravail transnational ».

II) Les avantages et les inconvénients du télétravail

Le télétravail comprend à la fois des avantages et des inconvénients à la fois pour la société, le salarié et pour l’entreprise. Il peut constituer une solution pour désengorger les transports et l’encombrement, lutter contre la pollution et prévenir des risques comme le cas de  de propagation pandémie Covid 19 et il s’inscrit dans le sillage de transformation numérique et dans les objectifs du développement durable.

Le télétravail permet au salarié de bénéficier de la réduction des temps de déplacement, d’éviter la fatigue, de concilier entre la vie professionnelle la vie personnelle .il promeut aussi l’emploi des salariés handicapés de certaines catégories de personnes qui ne peuvent supporter les déplacements fréquents entre leur résidence et les locaux de l’entreprise.

En dépit de ses avantages, le télétravail comprend des risques et des inconvénients pour le télétravailleur dont l’éloignement et l’isolement par rapport à la communauté des travailleurs, les risques professionnels (risques physiques, psycho-sociaux, pathologie auditive, troubles visuels, troubles musculo-squelettiques, travail au détriment de la vie privée, imbrication des contraintes du travail avec la vie familiale ou personnelle. En outre, un brouillage s’instaure  dans les rapports entre les sphères temporelles et spéciales et la champ de la vie familiale/et ou privée et par conséquent un risque d’envahissement de la vie privée.

Pour l’entreprise, les avantages peuvent être l’amélioration de la productivité, l’économie d’espace, la réduction d’investissement immobilier .Toutefois, des problèmes de surveillance de la quantité et de la qualité du travail peuvent constituer des inconvénients pour elle. Lala question de la sécurité des données  et de la piraterie informatique constituent des risques pour l’entreprise.

III) la pratique du télétravail dans les pays étrangers

Le télétravail est apparu au début des années soixante-dix, c’est-à-dire, dans le contexte de la crise pétrolière. Pour économiser l’énergie, beaucoup de salariés ont acculés à exercer leur travail à partir de leur domicile. Le télétravail s’est développé par la suite, grâce à l’avancée de la technologie de l’information et la communication .l’accès au télétravail est devenu plus facile grâce aux moyens technologiques sophistiqués dont l’internet, l’intranet, les vidéo-conférences, les audioconférences et  les réseaux privés. Le télétravail qui couvre les travaux liés à ces technologies de l’information et de la communication s’étendà un autre domaine qui concerne les activités relatives à la technologie financière et qui s’accommodent bien ces outils technologiques.

Le télétravail est pratiqué depuis longtemps dans les pays développés comme les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni, les pays de l’Europe du Nord et dans ceux de l’Europe occidentale. Le pourcentage de nombre de télétravailleurs par rapport au total des salariés varient d’un pays à l’autre. Au Royaume-Uni les télétravailleurs sont surtout des travailleurs indépendants non-salariés. Les formes du télétravail sont protéiformes. Certains télétravaux sont réguliers, d’autres sont occasionnels, alternés, ou supplémentaires.

En France, selon la publication Dares, nov.2019, n° 051,(ministère du travail),le nombre de télétravailleurs est environ, 1,8 millions de travailleurs, ce qui représente 7% des salariés. Le télétravail est pratiqué essentielles par les cadres et les femmes dans le champ de la technologie et de la communication.

L’investissement dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la révolution numérique,  l’innovation technologique, la digitalisation, la dématérialisation et la technologie financière (fin-tec) sont des déterminants de la promotion du télétravail.  Le télétravail se développe également dans les pays émergents. Dans le contexte de la pandémie générée par COVID 19 un grand nombre d’entreprises y ont recouru partout dans le monde.D’où l’actualité et la pertinence de la question de la valorisation du télétravail.

IV) le télétravail dans le contexte marocain

Au Maroc, la législation du travail (celle applicable avant 2004), c’est-à-dire, avant l’entrée en vigueur du code du travail, à l’instar de beaucoup de législations, régissait exclusivement le travail permanant et stable effectuée dans les locaux des employeurs et dans une certaine limite le travail saisonnier. Avec le code du travail, il y a règlementation du travail temporaire que ce soit le travail à durée déterminée ou le travail temporaire exercé par le biais des entreprises d’emploi temporaire. Toutefois, il y a omission de réglementation et d’encadrement des autres formes d’emploi émergents dont le  télétravail et  le travail à temps partiel.

Ainsi, il y a donc inexistence d’une réglementation du travail dédiée au télétravail. Cependant, dans la pratique des relations sociales et du travail, des contrats de travail ont été complétés par des avenants les transformant en contrat de télétravail en accord entre les employeurs et les salariés concernés. Des entreprises appartenant au domaine des technologies et informatiques le pratique car, cette forme d’emploi leur  permet de répondre aux attentes de leurs  clients à travers le monde à tout moment.

Dans les rapports collectifs du travail, certaines conventions collectives  commencent à régir le télétravail en prévoyant la possibilité d’y recourir volontairement et provisoirement.

Dans les circonstances exceptionnelles  de Covid 19, le ministre de l’économie, des finances et de la réforme administrative  a envoyé une circulaire n° 3/2020 du 15/4/2020 aux différents départements ministériels pour les exhorter à organiser le télétravail pour prévenir la contamination par le virus coronavirus.

 Dans le secteur privé, beaucoup d’entreprises ont recouru, dans ces circonstances de pandémie généralisée, au télétravail. Ainsi, il y a pratique du télétravail  sans cadre juridique précis, approprié  qui encadre la relation du télétravail. Ce type d’emploi est exercé dans un cadre peu voire non formalisé. D’où la nécessité de l’élaboration d’une loi ou d’une convention collective  pour l’organiser.

III) les éléments de la réglementation du télétravail

L’encadrement du télétravail qui est appelé à se développer à l’ère numérique, en cas de circonstances exceptionnelles ou à la demande est devenu une condition pour la mise en place d’un statut social pour le télétravailleur garantissant sa protection, la fixation d’un cadre relationnel contractuel précis et englobant les droits et les obligations   réciproques des parties contractantes. Ainsi, il s’agit d’étendre le périmètre du droit du travail au télétravail.

L’encadrement juridique  et l’organisation du télétravail  sécurisent les relations du travail flexibilisent les conditions d’emploi dans l’intérêt économique et social. Un tel encadrement renforce la protection juridique et sociale du télétravail grâce à un statut social fondé sur le principe de l’égalité et la non-discrimination dans l’emploi et la protection et le renforcement de la lutte contre les divers risques engendrés par le télétravail.

En Allemagne des conventions collectives sur le télétravail ont été signés en 1995.en Russie le télétravail est régi par le code du travail en 2013.En France l’article L122-9 du code du travail régissant le télétravail  a été modifié par la loi n° 2018-771 du 5/9/2018. En Belgique une loi du 5/3/2017 organise le télétravail. A l’échelon européen les partenaires sociaux ont conclu un accord sur le télétravail le 17/5/2005.

Dans la sphère des normes internationales du travail, il n’y a pas d’instrument dédié spécifiquement au télétravail .Toutefois, en dépit de l’existence de la convention internationale du travail n° 177 sur le travail à domicile et la recommandation n° 184 adoptées en 1996 contiennent une définition du travail à domicile susceptible d’englober la notion de télétravailleur. Mais les divergences sur le travail à domicile et le télétravail  subsistent encore.

L’organisation d’un cadre pour la pratique du télétravail peut prendre soit une vêture collective, c’est-à-dire, une formalisation collective par voie d’une charte nationale tripartite ou une convention collective, soit par le biais d’une réglementation par des textes juridiques (loi et textes d’application) d’origine étatique.

Cet encadrement doit être précédé d’un dialogue social entre les partenaires sociaux pour la fixation  des conditions et les modalités de mise en œuvre du télétravail, les postes éligibles pour le télétravail, les formes du télétravail (télétravail régulier, saisonnier  télétravail alterné, télétravail dans les circonstances exceptionnelles, le télétravail imposé, le télétravail volontaire). Un tel encadrement est indispensable pour répondre aux divers besoins des travailleurs, des travailleurs et de la société.

La configuration de cette réglementation, qu’elle soit  négociée ou étatique) pourrait comprendre des éléments susceptibles d’en faire un cadre juridique  cohérent. Le périmètre du  télétravail doit être délimité et distingué de certaines formes qui s’en apparentent. La fixation de critères d’identification du statut de télétravailleur s’impose pour la délimitation du champ d’application personnel du cadre juridique à mettre en place.

Les préconisations d’une telle réglementation portent aussi sur les conditions d’emploi du télétravailleur (télétravailvolontaire, télétravail imposé dans certaines circonstances), les conditions particulières et spécifiques du contrat d’emploi du télétravailleur, les modalités et les conditions du passage du  » travail en présentiel« au télétravail.

La fixation de certains aspects des conditions du travail notamment la prévention des différents risques professionnels auxquels sont exposés les télétravailleurs, la durée du télétravail(pour qu’il n’y ait de durée plus longue que celle pratiquée dans l’entreprise), le remboursement des frais engagés par le télétravailleur( tel , internet, toner, papiers…), les modalités du contrôle du télétravailleur, la protection de ses données personnelles notamment ses images au travail qui peuvent être captées par vidéoconférences , la formation du télétravailleur , la protection de ses  données personnelles , la protection des données de l’entreprise contre la piraterie informatique.

S’agissant de la réglementation du télétravail effectué au-delà des frontières, elle pourrait être de dimension internationale par le biais d’accords bilatéraux ou multilatéraux.

En conclusion, la réglementation du télétravail s’impose dans le contexte actuel marqué par son impact à la fois sociétal, social et économique pour l’établissement d’un statut social pour le télétravailleur d’une part, et afin de mettre à la disposition des entreprises un nouvel outil d’organisation du travail et faciliter sa mise en pratique en cas de circonstances exceptionnelles.

Bibliographie consultée

Ouvrages

Flichy Patrice, les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique, Paris, Seuil, 2017.

Rosier Karen (sous-direction), le droit du travail à l’ère du numérique : les technologies de l’information et de la communication dans les relations de travail, édition Anthémis, 11/2011.

Documents spéciaux

OIT, Forum de dialogue mondial sur les difficultés et les avantages pour les travailleurs et les employeurs dans les secteurs des technologies de l’information et la communication et des services financiers .24-26 octobre 2016. Rapport final;

OIT, difficultés et avantages du télétravail pour les travailleurs et les employeurs dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication et des services financiers, 2016.

Thèses et mémoires

FSJES, Souissi, le télétravail, répercussions socio-juridiques, master marketing et management commercial.

Sourbes Boris, la situation juridique du télétravailleur, thèse de doctorat en droit privé, Université de Bordeaux, Ecole doctorale de droit .Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 18/12/2017.

Articles

Bairgan, G .Quel droit du travail à l’ère des plateformes numériques ? .Lien social et Politique  n° 8, 2018.

Dhimene Abdelghni, le nouveau code du travail est-il applicable au télétravail,  Revue de droit et d’économie, n° 24-2009.

Di Martino, V, télétravail: un nouveau mode de travail et de vie, Revue internationale du Travail, Genève, vol .129, n°5 , 199.

Les législations/réglementations

Loi n° 65-99 relative au code du travail, promulguée par dahir n° 1.03-194 du 11/09/2003

Loi n° 65-00

Dahir du 12/9/1913 formant code des obligations et des contrats.

Loi n° 12-18 relative à la réparation des accidents du travail, promulguée par le dahir n° 1-14-190 du 29/12/2015. BO n° 6328 du 22/1/2015, édition arabe.

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