La 19ème édition du festival national du film

Le festival national du film dans sa 19ème édition est une autre opportunité permettant de reposer l’éternelle question «où va le cinéma marocain ?»… Dans le désert métaphorique d’un cinéma qui n’arrive pas à avoir un conquérant du cinéma international, la boussole ne fonctionne pas et chaque caravanier suit le mirage qu’il perçoit. Quels sont alors les thèmes et les enjeux artistiques qui habitent la nouvelle livraison du cinéma marocain?

Un sujet obsessionnel : le joug de l’injustice et son paroxysme la hogra.

Une récolte annuelle d’un cinéma national, offre plus que toute autre manifestation internationale, la possibilité de se pencher sur les questions qui habitent, consciemment ou inconsciemment, l’esprit des créateurs. L’observation montre que les deux tiers des longs métrages en compétition, cette année, abordent le thème de l’humiliation (la hogra)… Bien que très diversifiée dans les sujets traités, la forte présence du thème révèle un état d’esprit général probablement affecté par le climat de la revendication sociale dans le pays.

Six des dix films composant avec la thématique de la hogra, ont préféré l’aborder dans des histoires du Maroc d’hier. Les dépassements de l’Etat policier dans « le cri de l’âme » et « Tarentella » les effets secondaires de l’immiscion de l’Etat dans les pratiques socio-culturelles des citoyens dans « Jahilia »; la torture des prisonniers de guerre dans « Larmes du sable » et les centres  secrets de détention des prisonniers politiques dans « Kilikis, la cité des hibous ». « Apatride » est un autre film sur les humiliations d’hier, mais très démarqué des autres par sa cohérence, l’originalité de la situation dramatique qu’il propose et son discours toujours d’actualité…Ces six films présentent de multiples situations qui dénoncent l’injustice et le martyre de gens dans leur âme et chair… Mais, qu’y-a-il d’actuel pour faire ressortir les démons du passé ? Certains diront que les atrocités d’hier ne peuvent pas être dépassées où justifieront leur choix par sa pertinence socio-politico-historique ; d’autres, même n’ayant pas vécu les années de plomb, insisteront à vouloir exprimer la représentation qu’ils en ont ; d’autres encore, ostensiblement attirés par les préférences tacites de l’Etat et l’accessibilité financière qui en découle, refuseront à reconnaitre ce vice…

Les quatre autres films traitant, entre- autres, de l’injustice sociale et de l’abaissement des gens, ont été plus directs et plus incisifs et ont osé la dénonciation par rapport au Maroc d’aujourd’hui. Presque tous, partent dans leur écriture d’une analyse socio-économique qui ne fait que flirter avec la politique… Leurs discours politique restent superficielsse posant des lignes rouges que l’artiste, en principe, plus libre que le politicien, devrait s’en affranchir.La dénonciation est plus approfondie et plus ciblée chez Ken Loach, plus frontale dans les documentaire de Michael Moore et plus acerbe chez Nanni Moretti…

Dans le documentaire « Le silence des cellules », Mohamed Nabil tente de dévoiler les mécanismes de déshumanisation du milieu carcéral féminin au Maroc mais le censeur institutionnel étouffe toute tentative de montrance. L’art institutionnel du camouflage, leguet rapproché autour des cadreurs, la langue de bois des responsables…brident les yeux de la caméra. Seuls les trois cas interviewés à l’extérieur, arrivent à délier leurs langues et sauver le film… Dans « Burnout », « Volubilis » et »Razzia », apparemment des films de bonne facture,la dénonciation des institutions de l’Etat n’est que légèrement suggérée.Dans « Razzia »c’est l’administration qui empêche un instituteur, au fin fond du Maroc, de prendre sa liberté dans la façon d’enseigner. Dans « Volubilis » la dignité de gens simples n’est pas seulement la conséquence d’une mondialisation déshumanisée, mais surtout du désengagement de l’Etat des conflits de classes sociales.  Dans »Burnout », c’est des dérèglements institutionnels perpétuels qui minent les rapports sociaux et écrasent les petites gens.

Est-on dans un nouveau phénomène du cinéma marocain où émerge un engagement artistique contre les injustices dans les rapports de domination?… Ou s’agit-il seulement d’une nouvelle affluence artistique vers ce thème de l’humiliation comme l’était, par la passée, d’autres thèmes ; ou est-ce encore l’expression spontanée d’un malaise social généralisé?

Quant-est-il des cinq autres longs métrages en compétition. Sans prétention au sérieux « Lahnech » et « Korsa » puisent aussi les éléments de leur semblant de trame dans le micmac social… Le loufoque et le burlesque de ces films acculent toutes les questions sociales sérieuses à un énième plan, et normalisent avec les situations déplorables qu’ils présentent.

« Papillon », est plus centré sur un imbroglio de relations familiales où la corruption est plutôt dans les âmes de personnages qui aiment, se lient et se délient dans des rapports de tensions cachées.

Deux films de cette édition ont choisi de parler de gens simples avec un minimum d’intrigues secondaires. Il y à d’abord Le documentaire « House in the fields », captant la vie d’une famille du Haut Atlas au fil de trois saisons successives. Un projet de mariage et l’envie d’une cadette d’aller à Casablanca étant le fil conducteur… « Les voix du désert »; loin de l’embrouillement urbain a travaillé sur une trame où se croisent trois quêtes affectives réunies dans des espaces désertiques.

Les enjeux artistiques de la nouvelle livraison : ambitions et déceptions

Sans casse-tête ni aspirations artistiques « Lahnech » et « Korsa « ont choisi d’aller droit vers le grand public marocain, celui apprivoisé par l’offre des chaines de la télévision nationale… Une tendance qui s’installe de plus en plus dans le temps surtout que la mécanique de soutien ne cache plus son encouragement et que les chiffres d’affluence du public encensent les promoteurs de ce genre de films.

Un festival national de cinéma, partout dans le monde, récompense et motive l’originalité de la création artistique dans un film. L’attitude d’épouser le discours officiel est illusoire sur cette voie. C’est le mirage du désert qui déroute les caravaniers du cinéma marocain… L’accès facile aux divers soutiens de l’Etat, avarie le processus de création… Les chefs d’œuvres artistiques commandés par l’église et les régimes totalitaires d’hier se faisaient dans un autre contexte… Les questions nationales et idéologiques ont forcément besoin de la fibre artistique et optique pour donner des ailes internationales à leurs plaidoyers.

Le film « Larmes du sable » campé sur un discours pathétique, ne réussit pas à assembler les fils de sa trame et n’achève pas son récit dans les règles des codes du genre : des intrigues secondaires abandonnées, des personnages réduits à des silhouettes, un climat servi par des personnages secondaires loin du personnage principal… Le discours du film, bien qu’humain dans sa singularité, ne joue pas avec le doute des bons et méchants personnages, et par conséquence perd les possibilités d’aller vers l’international.

Trois longs métrages ont choisi d’aborder à nouveau les dépassements et la répression de l’Etat pendant les années de plomb. Quelle originalité et quels regards ont-ils apportés?

« Kilikis, la cité des hibous », tente d’apporter un nouveau regard sur les prisons secrètes des prisonniers politiques pendant les années de répression. Un regard focalisé sur les électrons qui gravitent autour du noyau et non le noyau en lui-même…Les habitants du douar avoisinant la prison, les agents de sécurités qui le surveillent de l’extérieur et les gardiens qui y travaillent sont affectés par le noyau du déshumanisant qui reste hors-champ… Le film est un autre exemple des risques e la fiction adoptant la reconstitution historique. Les efforts d’imagination de la diérèse de l’époque est une entreprise qui disperse l’auteur et le déconcentre de l’essentiel, qui est la trame et les personnages… Ici, le conflit est classique avec une deuxième moitié où les codes usagés du cinéma d’action trouvent place sans pour autant convaincre. Les efforts du réalisateur dans la création d’un espace original n’ont pas suffi à élever les ambitions du film. Le regard de l’enfant qu’était Alarab aux alentours de la prison dans la réalité, aurait peut-être été un meilleur enjeu scénaristique pour le film.

« Tarentella » et « Cri de l’âme », offrent un autre retour sur les années de l’Etat policier. Dans le premier c’est presque un huis clos où la mise en scène n’a pas réussi à dépasser la dramaturgie de la pièce de théâtre d’origine… Le dialogue est resté, ennuyeusement, le terrain de l’évolution de la tension dramatique… L’enjeu artistique de puiser au fin fond de la culture marocaine pour raconter de façon originale la répression policière des années soixante-dix, est une ambition de taille. C’est le cas du film « Cri de l’âme ». Mais de l’imagination romanesque aux intentions cinématographiques à la représentation sur l’écran le décalage est énorme…Ce qui reste sur l’écran est une suite accélérée d’évènements, avec des silhouettes de personnages qui apparaissent et disparaissent de façon furtive, et un rapport sans corrélation convaincante entre l’histoire de Cheikh Rouhani et l’histoire de Driss. Le chapitrage du film à l’image d’El Aita, enjeu principal du film, ne semble pas fonctionner. Il est lourd et sans relation organique avec le fonctionnement du récit… Le film est vainement surchargé de références historiques, politiques et culturelles…La construction des personnages et l’acheminement des situations dramatiques ont en pâtit.

« Jahilya », est nouvelle extension de l’univers de Lasri. Le regard qu’il y apporte, sur le bigbrother et les cafards qui rêvent de mourir naturellement sans être écrasés par les humains, est un comme un regard dans un miroir brisé en plusieurs morceaux, où l’assemblage des images peine à restituer avec clarté la construction du récit dans sa temporalité et ses rapports dramaturgiques… Une sorte de bande dessinée avec de longues élisions et des moments amplifiés ou remâchés… Si le film confirme l’intransigeance de Lasri par rapport à son univers et son style, ça ne lui a pas pour autant permis de faire aussi bien que dans Headbang Lulabby.

Les deux documentaires, bien que différents sur leurs sujets, s’ils n’ont pas déçu, ils ont au moins apporté une autre façon de faire le documentaire marocain. « Le silence des cellules », mi- reportage mi-documentaire, situé entre la télévision et le cinéma, intéresse sans pour autant fasciner. « House in the fields » est un joli bijou qui enrichit l’expérience documentaire marocaine. Après Belabbes et Essafi et bien d’autres Hadid apporte un autre style… celui où la façon de filmer les visages, la mise en scène  des certaines séquences des filles dans les vergers, et la poésie des images et du montage donnent une fluidité et une fraicheur au récit évoluant à travers trois saisons. La musique de Richard Horowitz se confondant avec les bruits de la nature vierge et les chants et rites enveloppe doucereusement le tout avec grand professionnalisme.

Il y a aussi de l’originalité dans « Apatride » et «Les voix du désert».  Le choix de Najar s’est porté sur un cas humain fort intéressant… Celui de Hénia qui condense le martyr de la femme. La femme comme proie à une meute affamée de trois hommes impuissants. Cet enjeu est doublé de choix esthétisants dans la composition du cadre et le mouvement de Hénia. Avec son faciès faussement impassible, son silence les différents coloris d’un voile juste posé sur la tête c’est une «Madone» subissant les cruautés du viol et du déchirement qui nous est présentée…La fin du film n’a, cependant, pas exploité jusqu’au bout les rapports de la trame d’où le sentiment d’une fin précipitée… C’est aussi le cas du film « Les voix du désert ». Sa fin est venue abréger l’errance de l’auteur du film. Comme dans la mosquée le développement de l’histoire ne trouve pas son point d’orgue… Cependant, le travail d’Oulad Sayed  sur l’image est un retour payant aux sources. L’usage du plan séquence et la composition de l’image dans son mouvement présente de beaux tableaux animés, avec une profondeur de champ infinie où le désert, le ciel et les personnages colorés et animés flattent les yeux et prolongent leur errance intérieure.

C’est l’art de la narration qui capte l’intérêt de Basket dans « Papillon ». L’art de montrer mais aussi l’art de cacher l’information dramaturgique qui est à l’épreuve dans le film. Un exercice rarement aussi bien réussi dans le cinéma marocain. Une trame saisissante qui ne se fait pas d’illusion et ne caresse aucune autre ambition. L’insertion du personnage de la chanteuse d’opéra apporte plus à la bande son lyrique qu’au caractère d’une diva tant convoitée.

En plus de Narjiss les trois autres films tant attendus sont ceux des espoirs internationaux du cinéma marocain : Lakhmari, N. Ayouch et Bensaidi.

« Burnout » garde le niveau et les ambitions artistiques de Lakhmari sans atteindre la cohérence de « Casanégra ». Le burnout tel qu’il est défini n’existe pas dans le film. Aucun personnage n’y souffre du syndrome d’épuisement professionnel. Ce n’est que dans une acception métaphorique que le titre pourrait être transposé au malaise généralisé de la société marocaine.Un regard modernisant est séduisant est ici apporté à un Casablanca où la laideur viendrait d’intériorités malades, pourries, corrompues et hypocrites… Les faiblesses du film sont dans la légèreté mélodramatique de l’histoire racontée. Une légèreté que nous trouvons également dans « Volubilis » et que Bensaidi adopte sciemment. Bien que le film est l’un des plus achevés de cette édition, le tournant de l’humiliation de Abdelkader marque un grand changement dans le récit. Du réalisme sobre de la première partie, il passe à une surprenante légèreté, où le conflit principal est dans la situation socio-économique presque informelle de Abdelkader passe après son humiliation, à un conflit personnel…La fantaisie du personnage joué par Bensaidi; la fête mondaine où les invités se ruent pour voir sur un portable la vidéo de l’humiliation; le plan où la femme joué par Fettou flirte avec un homme alors que son mari est dans une autre pièce de l’immense résidence toute en lumière ;l’agression commise par Abdelkader et son ami ;la naïveté non justifié de cet ami, qui prend rendez-vous avec sa victime… sont des éléments qui ont fait basculé cette partie du film vers la légèreté mélodramatique…

La façon de filmer le personnage joué par Nadia Kounda fascine le spectateur aussi fort qu’il a probablement fasciné Bensaidi. De très gros plans de face, latéraux et de profil qui dessinent inlassablement les contours et la sculpture faciale de la jolie frimousse de Nadia. Quant à N. Ayouch, il continue à explorer et à parler de ses convictions. « Razzia »peine à boucler le récit. L’instituteur des deux bouts du film ne donne aucune cohérence aux discours sur les diverses questions posées dans le film. L’enjeu de la narration en puzzle est un exercice à la mode que N. Ayouch réussi mais le regard du film sur la société marocaine n’est pas convaincant.

L’impasse à craindre

Comme l’année dernière la livraison de 2018 a apporté une diversité de tendances dans un cinéma qui cherche encore sa voie et sa marque. La vivacité même conflictuelle et parfois décevante de ce jeune cinéma, augure de bouleversements positifs… La crainte majeure est de voir le bouleversement aller dans le sens contraire… au point de voir des réalisateurs comme Oulad Sayed, Salmi, Azlarab, Jouhari et autres abandonner leurs ambitions artistiques et pencher vers le pastiche de comédies caressés par l’indicateur nombre d’entrées… Un peu moins de certitudes dans les propos des réalisateurs accompagnant leurs films apaiserait probablement le réflexion.

Damir Yaqouti

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