Tahar Benjelloun: de grands moments chocs/chics!

Il y a de ces rencontres historiques qui ne se répètent pas dans le parcours d’une ville. Des figures de proue et des instants émouvants qui restent gravés dans à tout jamais. L’histoire se renouvelle dit-on, mais ne se ressemble, peut-être pas, en dépit de certaines similitudes dans le lieu et le temps. Pour illustrer sans doute, ce sentiment, on citera l’un des moments phares de la série d’éditions du festival d’Agadir de cinéma de migration dont la pléiade de prodiges d’art et de culture a façonné d’une manière substantielle.

On ne présente plus Tahar Benjelloun. Lors d’une rencontre médiatique tenue dans le cadre dudit festival et à laquelle se sont joints les participants de cette noce annuelle du cinéma marocain et d’ailleurs, s’est vite transformée en espace de débat sur les questions migratoires, en corrélation avec les vicissitudes de l’industrie du septième art. Au-delà du thème central qui constituait, en fait, le cordon ombilical de cette entrevue, le déferlement de la luxuriance littéraire de l’invité du jour exerçait sur le monde du cinéma en nombre une certaine emprise conviviale.

«Vous savez, la transformation d’une production littéraire en œuvre de cinéma n’est pas toujours évidente. C’est le cas du roman fabuleux d’Albert Camus intitulé «l’étranger» dont le passage au cinéma a été, il faut bien le dire un réel échec. Généralement, les scénarios sont initialement destinés et consacrés aux réalisations de cinéma. Chaque création s’inscrit dans une logique de pensée et de montage bien spécifique», disait Tahar Benjelloun, tout en rendant un vibrant hommage au niveau fort étoffé atteint par le cinéma marocain. Partisan de la sobriété et la simplicité, il affirme que la créativité n’a jamais été une ébauche aisée. Elle est constamment le fruit d’une longue endurance, voire une souffrance avant d’enfanter une œuvre. Aussi bien que cela pourrait paraitre anodin, il n’en demeure pas que l’auteur a du froisser des feuilles et des feuilles avant de tomber sur le verbe ou l’expression les plus adaptés l’idée, cumuler des centaines de mètres de pellicules avant d’opter pour telle image la plus expressive et répéter plusieurs fois le même geste pour choisir le plus porteur.

Dans un autre registre, abordant le volet migratoire, l’hôte de marque n’avait pas caché son agacement de constater qu’en Europe, l’image de l’Islam est soumise à des matraquages épouvantables. Cette religion monothéiste, dépositaire des valeurs de  modération et de tolérance, est toujours synonyme, chez l’autre, de terrorisme et de violence. Nombre de détracteurs véhiculent sans cesse cette connotation de phobie au point de s’ancrer, malheureusement, dans les esprits les plus mondains. Certes, le problème d’intégration est d’acuité, mais, il va sans dire pareillement que l’acception est de plus en plus de mise.

S’agissant de la problématique de la fermeture des salles de cinéma au Maroc, bien que l’évolution des films marocains ait connu une ascendance notoire, Tahar Benjelloun faisait savoir que ce phénomène comme étant d’une résultante logique d’un déficit criard au niveau des effets éducatifs depuis le foyer à la rue. Les parents ne lisent pas, leur progénitures non plus, les adultes ne vont pas au cinéma, comment veut-on que les jeunes y aillent ? On est passé aujourd’hui de plus de 250 à 50 salles obscures. Naturellement, on ne peut imposer aux propriétaires le fait de continuer à ouvrir leur salle en raison des pertes qu’ils ne cessent pas de concéder. à cause des boutades répétitives. Il va donc falloir reconsidérer le phénomène dans sa dimension pédagogique, avec l’entrée en lice du département de la culture, convié à se positionner en tant que pourvoyeur des valeurs éducatives et morales dont regorge la société marocaine.

«Il est vrai que le Maroc aura bien investi dans l’édifice démocratique national, sous toutes ses formes. Aujourd’hui, on ne peut qu’en être fier, d’autant plus que le concept de la dignité est vivement sollicité. Il m’est arrivé, une fois, moi qui ai fait à peu près le tour du monde, de rencontrer, dans un snack aux Etats Unis, une serveuse brune d’origine marocaine, bien charnue et vêtue à l’américaine. Elle paraissait joviale et bien dans sa peau.

«J’aime mon pays de source, mais je vis ici et je m’y intègre. Tu sais ce qui me retient le plus ici : deux choses. Il est formellement interdit de tuer un chat et de…frapper une femme» me dit-elle et cela veut tout dire, n’est-ce pas ?», concluait Tahar Benjelloun devant une audience fort admirative de ce moment de partage. Des moments pareils qui appartiennent maintenant au passé, quoique récent, bourdonnent encore dans les oreilles et chatouillent toujours les mémoires.

Saoudi El Amalki

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