Plaidoyer pour une culture de la solidarité

Journée mondiale du don et greffe d’organes

Ouardirhi Abdelaziz

L’organisation mondiale de la santé (OMS) promulgue le 17 octobre de chaque année, la journée mondiale du don et de la greffe d’organes.

Un évènement qui revêt une très grande importance pour l’ensemble de l’humanité eu égard aux enjeux que revêt aujourd’hui le don et la greffe. Grâce aux dons et aux greffes d’organes, des vies sont sauvées.

Le problème qui entrave la réalisation des greffes est lié à la disponibilité des greffons. Notre pays est en manque de donneurs d’organes, ce qui explique le retard de greffes d’organes en général et rénales en particulier.

On fait le point sur le don et transplantation d’organes avec le professeur Amal Bourquia, spécialiste en néphrologie, présidente de l’association Reins, auteur de plusieurs ouvrages qui traitent des maladies rénales, du don et greffes d’organes.

Dans le registre des greffes d’organes, le Maroc est un pays précurseur dans ce domaine, pour bien comprendre la véritable dimension et les enjeux scientifiques et thérapeutiques de cette pratique,  il y a le dahir du 15 juillet 1952. Mais il a fallu attendre l’année 1986, pour que soit réalisée à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca la première transplantation rénale avec un donneur vivant.

On pouvait espérer en toute bonne logique, que fort de  notre savoir, de notre  expertise dans le domaine des greffes, notre pays allait réaliser de nombreuses greffes d’organes (rein – foie – cœur – poumons – moelle osseuse …), qui naturellement permettraient de sauver des vies, et de soulager les douleurs de celles et ceux qui souffrent.

Malheureusement, il n’en fut rien puisque de 1986 à ce jour, le Maroc n’a pu effectuer que 600 transplantations rénales, dont 60 à partir de sujets en état de mort encéphalique, soit environ 17 greffes par million d’habitants depuis 1990, des chiffres dérisoires comparés à la demande. Il y a 7 centres autorisés tous dans le secteur public.

Le manque d’organes est mis en avant pour justifier le peu de transplantations qui sont réalisées. Sur le terrain, cette situation de pénurie aiguë d’organes se traduit par un écart important entre le nombre de personnes en attente de recevoir un organe et le nombre de greffons disponibles. Ce qui se traduit par le décès de nombreux patients. Cette situation n’est pas propre au Maroc, elle est vécue par d’autres pays, qui disposent de gros moyens, de ressources humaines, de gros budgets, et qui sont confrontés à une pénurie d’organes.

Un problème de communication

Cette situation de pénurie constitue un enjeu important de santé publique sur lequel, les acteurs principaux du don d’organes (responsables et décideurs sanitaires, médecins, sociétés savantes, associations de patients) tentent régulièrement d’alerter l’opinion publique sur l’importance du don d’organes.

Le lien entre le manque de donneurs et l’information à la population est une question récurrente dans les débats portant sur la pénurie d’organes et sur les moyens d’y remédier.

Il est nécessaire aujourd’hui que tout le monde soit impliqué dans ce combat. Il faut absolument travailler sur la sensibilisation des citoyens. Il faut communiquer sur ce sujet, expliquer avec un langage facile, montrer toute l’importance du don et de la greffe d’organes qui nous concerne tous, car personne n’est à l’ abri. Il est aujourd’hui essentiel de développer la culture du don chez nos citoyens. Ce travail n’est pas de tout repos, il demande une grande maitrise du sujet, un savoir être, et une grande dextérité.

Mais combien même il est difficile à réaliser dans un contexte tel le nôtre. Ce travail de communication doit absolument se faire de façon continue, et non occasionnellement, comme à l’occasion de la Journée mondiale du don d’organes, et c’est là à mon sens, une erreur à ne plus commettre. Car on ne peut réussir à relever le défi que si nous sommes toujours présents sur le terrain, sur les ondes de la radio, des reportages TV, des réseaux sociaux, la presse écrite, les conférences…..

Entretien avec le professeur Amal Bourquia, spécialiste en néphrologie, présidente de l’association Reins, auteur de plusieurs ouvrages qui traitent des maladies rénales, la dialyse et le don et greffe d’organes.

Propos recueillis par Ouardirhi Abdelaziz

AL BAYANE : Le Maroc a réalisé 600 transplantations rénales depuis 35 ans, pour ne citer que ces greffes. Comment expliquez-vous ce bilan ? Où se situent les obstacles ?

 Professeur Amal Bourquia : Les obstacles sont innombrables. Ils sont très divers, mais tournent autour d’un point très important : celui d’une bonne coordination de gestion et d’une volonté politique. Par exemple, si on prend le côté législatif, bien qu’il y ait une loi en place, sa mise en œuvre n’est pas efficace, et pour y parvenir , il est nécessaire de rationnaliser  les procédures de déclarations de mort cérébrale, d’attribution des organes, de disposer d’un système de liste d’attente en ligne centralisé ,  transparent pour les receveurs et pas dans chaque structure hospitalière. On va connaitre qui va donner à qui.

Il faut sensibiliser et expliquer la mort cérébrale, encourager davantage les personnes à l’importance de s’inscrire au dons d’organes après la mort.

Quelles sont les actions que vous entreprenez ?

Notre association Reins a déjà entamé plusieurs actions continues dans le temps depuis plusieurs années, pour justement promouvoir le don d’organes. Nous le faisons en sensibilisant, en informant nos concitoyens. Nous avons de même organisé de nombreuses sessions de signatures des registres des dons d’organes au niveau des tribunaux de première instance.

Pourquoi ? Parce qu’il est très difficile pour quelqu’un de se réveiller un matin et de dire, moi je vais aujourd’hui signer le registre pour être donneur après ma mort.

Donc ce que nous faisons, c’est accompagner toutes celles et ceux qui désirent être donneurs chez le responsable du registre des donneurs afin de pouvoir être très bien informés. Apres c’est à chacun de décider s’il désire signer le registre ou non. Et même si le citoyen signe le registre, il peut se désister à tout moment.

Ces actions d’informations, de communication proches des citoyens sont nécessaires, et représentent une part très importante dans le succès de réussite. A cet effet, le pays qui a le plus dans cette voie, c’est l’Espagne, avoir le maximum de possibilités de prélèvements à partir de donneurs  en état de mort cérébrale, parce que l’Espagne entreprend des actions de communication et de stratégie performantes.

On attend toujours la journée mondiale du don et de transplantation des organes pour sensibiliser les citoyens. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de mettre en place un programme national du don d’organes ?

Absolument, je suis pleinement d’accord pour un tel programme de don et transplantation d’organes, ou tout le monde est impliqué.

Il est nécessaire de mobiliser les responsables, les décideurs, les scientifiques, amener tout le monde à se concerter, faire concorder l’ensemble des paramètres. Il est important de faire face à l’ampleur de la demande, à la défaillance des moyens logistiques.

Il faut assurer une bonne formation aux soignants, accorder une importance à l’information de la population, comme il faut que la dialyse ne reste pas la seule option.

Il est vrai que le don d’organes reste encore un sujet tabou pour un très grand nombre de nos concitoyens. Pour inverser cette tendance, on se doit de travailler constamment tout au long de l’année afin de changer les mentalités.

Sans un programme national du don et de transplantation des organes, rien ne sera fait.

Il nous faut réfléchir à une stratégie future qui tienne compte de nos conditions, de nos traditions, de nos moyens, pour encourager les citoyens à faire don de leurs organes, en instaurant une véritable culture de la solidarité.

La sensibilisation et l’information sont la base de la transplantation, qui est un acte médical qui fait appel d’abord à un organe qui provient d’un don d’un être humain, et sans ce point de départ, on ne peut envisager une transplantation d’organes.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de la campagne que l’association Reins vient de lancer ? 

En effet, notre association Reins, a initié le lancement de cette campagne, qui a démarre le vendredi 8 octobre 2021, à l’occasion de la journée mondiale du don et de la transplantation d’organes, qui comme vous le savez, est célébrée le 17 octobre de chaque année. Cette opération se fixe comme objectif, la motivation des citoyens pour le don afin d’aider à l’essor de cette solution thérapeutique.

La campagne vise également à sensibiliser davantage sur l’importance de cet acte de générosité et de solidarité qui sauve des vies en recourant au net pour mobiliser et soutenir toutes les composantes de la société marocaine, en particulier les professionnels de la santé et les médias afin de contribuer à ancrer la culture du don chez les citoyens marocains..

Depuis sa création, l’association Reins s’est fixée comme principal objectif de développer la transplantation rénale et de tout mettre en œuvre pour ce combat national. Une thérapeutique qui s’entoure d’un ensemble de représentations culturelles autour de la perception du corps, du don et de la mort.

Selon l’association, les citoyens montrent une attitude globalement favorable vis-à-vis du don et de la transplantation d’organes, mais un passage à l’acte très limité nécessitant encore plus d’efforts pour faire connaitre les valeurs de ce don.

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