Les accords atypiques dans les rapports collectifs du travail

Avis d’expert

Ahmed Bouharrou

Un accord collectif atypique est celui conclu entre un employeur et des représentants élus du personnel ou avec un groupe de fait de travailleurs sans le respect des règles applicables à la négociation collective. Il peut résulter de circonstances particulières dont l’inexistence de syndicats voire de syndicats représentatifs ou de syndicats les plus représentatifs ou de représentants de personnel ou en cas d’action spontanée menée par la collectivité de travailleurs sans instances d’expression.

Il peut revêtir la forme d’un accord donnant une consécration solennelle de satisfaction des revendications matérielles et morales, d’une convention collective atypique, d’un accord d’entreprise atypique ou de procès-verbaux de négociation atypiques, d’un accord de cessation d’une grève ou d’un lock –out.

« Le concept d’« accord atypique » est développé en doctrine française pour qualifier des ententes qui ententes qui ne rentrent pas dans le cadre des accords d’entreprise prévus par les textes. Il s’agit la plupart du temps d’accords qui transgressent le monopole syndical de négociation des accords d’entreprise, parce que convenus avec le comité d’entreprise, les délégués du personnel ou directement avec les salariés » , les délégués du personnel ou directement avec les salariés»[1].

Dans certains pays comme au Canada et aux Etats-Unis, il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel pouvant marginaliser les syndicats. En dépit de cela, il y a par exemple ,signature d’ententes qui ne sont pas des conventions collectives typiques[2]    .

Formes d’ententes.

Les accords atypiques peuvent avoir force obligatoire du contrat civil. Ils peuvent être fondés sur le consensualisme, l’autonomie de volonté, la convention est la loi des parties et sr le principe pacta sunt servanda.

L’insuffisante adaptation du système de négociation collective du fait de la position confiée aux syndicats les plus représentatifs, voire l’inexistence de syndicats au sein des entreprises est à l’origine de la pratique des accords atypiques.  Dans les rapports collectifs du travail, il existe une relation dialectique entre le légal et le conventionnel, l’oscillation entre l’application des règles du droit civil et du droit du travail, entre le formel et l’informel et il y a un certain partage entre le typique et l’atypique. Les accords atypiques qui marquent les rapports collectifs du travail se propagèrent également dans les relations individuelles du travail. D’où les contrats atypiques du travail qui se développent dans les nouvelles formes d’emploi et du travail[3] .

Si le contrat du travail à durée indéterminée est le principe et il est typique, il y a de nombreux contrats atypiques qui sont conclus dans toutes les formes d’emplois atypiques, c’est-à- dire, d (travail temporaire, travail à temps partiel, travail à distance, le contrat zéro heure …)

La convention collective en tant qu’accord collectif typique et parfois atypique ne monopolise pas le champ de la négociation. Elle coexiste avec des accords, des conventions, des procès-verbaux, des accords de reprise du travail, des protocoles d’accords et de conventions collectives atypiques.

Ainsi, il y a une diversité des accords atypiques (I) qui ne sont pas régis par des régimes juridiques homogènes et précis (II).

I)La diversité des accords atypiques

Dans la législation du travail, il est fait allusion à des accords non-encadrés qui peuvent être qualifiés d’atypiques. En outre, il y a développement d’une pratique des accords atypiques dans les relations du travail soit dans un cadre bipartite soit avec l’appui des services de l’inspection du travail. Ces accords atypiques portent essentiellement sur les conflits collectifs, l’élection des délégués des salariés, la négociation collective et les grèves.

A) Les accords atypiques et les conflits collectifs

Dans son action relative à la pratique de la conciliation des conflits collectifs, l’inspection du travail aide au règlement à l’amiable des conflits dont sont impliqués des syndicats, des délégués des salariés ou un groupe de salariés. Des solutions peuvent être apportées aux divergences existantes, satisfaire des revendications en cas de conflits sans grève.

Les solutions peuvent également mettre fin aux grèves et organisent les modalités de reprises du travail.

L’article 549 définit le conflit en précisant son objet, ses parties et son contexte. Les parties impliquées sont « une organisation syndicale ou un groupe de salariés », Un ou plusieurs employeurs ou une organisation professionnelle des employeurs ».

Le groupe de salariés n’est pas affilié à un syndicat et n’a pas la personnalité morale pour conclure un accord de résolution du conflit ou de cessation du conflit, c’est-à- dire, de reprise du travail après la grève. Des travailleurs agissant de fait au nom du groupe de salariés peuvent conclure un accord atypique. Les différends articles du livre VI du code du travail concernant le « règlement des conflits collectifs » évoquent les parties qui doivent signer les accords de conciliation ou de non conciliation, c’est-à-dire, les syndicats, les groupes de salariés, les employeurs et les organisations des employeurs.

En dépit de l’institutionnalisation des modes de règlement des conflits collectifs, notamment la conciliation, la mise en œuvre des procédures et des règles en vigueur est assurée souvent de manière informelle. La conciliation des conflits oscille entre les modes formels et les modes informels et dépend souvent des rapports de force et des enjeux en présence.

S’agissant de la grève, dans la pratique des relations sociales et de l’action de l’inspection du travail, dans la plupart des cas, il y a signature d’accords de reprise du travail fixant les conditions de cessation de la grève et ce, sauf en cas de reprise sans condition. La négociation des accords ou protocoles de retour au travail (reprise du travail) après la fon des grèves ou des lock-out pratiqués par les employeurs en réaction aux abus des grèves ou pour raisons de sécurité des outils de production.  

B) Les accords atypiques et l’élection des délégués des salariés.

Dans le domaine de l’élection des délégués des salariés, le code du travail dispose par l’article 437 que « les délégués des salariés sont élus par les ouvriers et employés d’une part, et par les cadres et assimilés, d’autre part. Toutefois, ce même article prévoit dans son deuxième paragraphe que « le nombre et la composition des collèges électoraux peuvent être modifiés par les conventions collectives de travail ou par les conventions passées entre organisations d’employeurs et de salariés. ». A travers cet article, il convient de conclure que le nombre et la composition des collèges électoraux peuvent être modifiés par les conventions collectives qui sont des accords typiques ou par les conventions qui peuvent être conclues par les organisations d’employeurs et de salariés, c’est-à- dire, par des accords atypiques.

Par ailleurs, il est énoncé que « la répartition des établissements au sein de l’entreprise, des membres salariés entre les collèges électoraux et la répartition des sièges entre les collèges font l’objet d’un accord entre l’employeur et les salariés ou, si un accord ne peut être trouvé, d’un arbitrage de l’agent chargé de l’inspection du travail ». L’outil dédié à la réalisation de cet objectif est l’accord. Ledit accord n’est régi par aucune disposition du code du travail et ne peut donc n’être qu’accord atypique.

C)Les accords atypiques qui peuvent être signés dans le cadre du Comité d’entreprise

 Crée par l’article 464 du code du travail, le comité d’entreprise est composé de l’employeur ou son représentant, deux délégués des salariés élus par les délégués des salariés de l’entreprise, un ou deux représentants syndicaux dans l’entreprise, le cas échéant. Il exerce une fonction consultative dans le champ des questions suivantes prévues par l’article 466 du code du travail :

 Les transformations structurelles et technologiques à effectuer dans l’entreprise ; le bilan social de l’entreprise lors de son approbation ; la stratégie de production de l’entreprise et les moyens d’augmenter la rentabilité ; l’élaboration de projets sociaux au profit des salariés et leur mise à exécution ; les programmes d’apprentissage, de formation-insertion, de lutte contre l’analphabétisme et de formation continue des salariés.

L’examen de ces importantes questions par le comité d’entreprise qui est un organe représentatif comprenant du côté des salariés des délégués élus et des représentants syndicaux pourra aboutir à des accords par lesquels, les partenaires sociaux apportent des solutions aux différentes. Dans des entreprises, des accords ont été signés dans le cadre de certains comités d’entreprises. Leurs objets ont porté sur la mise en place des comités des œuvres sociales et sur les modalités d’atténuation des impacts de la pénurie de certains composants utilisés pour la fabrication de câbles à cause de Covid 19.

D)Les accords atypiques et la négociation collective

Le code du travail a créé un cadre légal de la négociation collective (article 92 à 100) et fait partie du droit de la négociation collective et a institué un régime juridique pour la convention collective du travail qui constitue la forme d’accord atypique la plus appropriée.

Le droit de la négociation détermine les parties négociatrices qui sont en vertu de l’article 92 « les organisations syndicales les plus représentatives » un ou plusieurs employeurs ou les « organisations professionnelles des employeurs ».

Une des conditions donc de l’accord de la typicité de la négociation est le caractère représentatif de l’organisation syndicale des salariés. A fortiori, tout accord signé par un syndicat non représentatif est atypique.

Par ailleurs, la négociation doit être menée conformément au processus légal. Ce processus régit la désignation des représentants de chaque partie négociatrice par écrit (art 93), l’échange d’information entre les parties (art 94), la fixation de la périodicité de la négociation. (Art 96), la notification d’un préavis par une partie à l’autre partie par lettre recommandée avec accusé de réception (art 97), la réponse de l’autre partie dans un délai de 7 jours (art 97), la  libre fixation du début de la négociation dans un délai de 15 jours suivant la date de la réception de la première partie du consentement de la deuxième (art 98), la  fixation en commun de la date de clôture des négociations sans dépasser 15 jours. (Art 98), l’information de l’autorité gouvernementale chargée du travail par l’envoi de copies des accords communs (Art 98) et du conseil de la négociation collective en lui adressant les résultats des négociations (procès-verbal, accords.).

La formalisation des résultats des négociations collectives peut revêtir selon le code du travail différentes formes dont l’accord, le procès-verbal, la convention collective. En fonction des circonstances. Pour que ces différents instruments ne soient pas considérés comme atypiques, ils doivent aux conditions de validités et de conformité à la loi.

Outre ce cadre formel et typique fixé par le code du travail, dans les négociations collectives, il y a développement dans les relations professionnelles de la pratique des protocoles d’accords qui contiennent des avantages notamment matériels et parfois moraux pour les salariés. Cette s’inscrit dans le sillage de la prévention des conflits.

II) Le régime juridique des accords atypiques

La typologie des accords atypiques dans les rapports collectifs comprend trois catégories :

L’accord atypique prévu par le code du travail et qui a une valeur juridique, les accords prévus par le code de travail sans précisions de leur régime juridique et les accords pratiqués dans les rapports collectifs sans qu’ils soient prévus ou cités par la législation du travail. Certains accords typiques peuvent devenir atypiques lorsqu’ils ne sont pas conclus conformément à la loi. Tel est le cas de la convention collective du travail qui est typique lorsqu’elle est conclue conformément et elle est atypique lorsqu’elle est conclue en méconnaissance du cadre légal la régissant.

L’accord atypique prévu par le code du travail et qui a une valeur juridique

Le code du travail a institutionnalisé deux modes de résolution du conflit, la conciliation et l’arbitrage. Il a fixé les règles et les procédures, les délais et les niveaux de la conciliation.

Le règlement à l’amiable des conflits pratiqués de manière informel avant 2004 (date d’entrée en vigueur du code du travail) posait beaucoup de problèmes quant à son effet exécutoire et à sa validité juridique. Le législateur a régi de cette situation. L’article 581 du code du travail dispose à cet effet que les accords pouvant être issus de la conciliation selon ses différents niveaux force exécutoire, conformément aux dispositions du code de procédure civile.

Dans ce même ordre d’idées, il est prévu que « les dispositions du présent livre (livre VI relatif au règlement des conflits collectifs du travail) ne font pas obstacle à l’application de procédures de conciliation ou d’arbitrage fixées par une convention collective de travail ou des statuts particuliers ».

En dépit de cette institutionnalisation établissant le régime et la validité juridique de l’accord de conciliation, sur le plan pratique, il y a déviation du cadre formel à un autre informel, notamment en ce qui concerne les parties au conflit, le respect des procédures et délais. L’accord qui en est issu peut donc devenir atypique.

Par ailleurs, la convention collective du travail dont le code du travail la dote d’un régime juridique peut être elle aussi convention collective atypique qui apporte des acquis aux travailleurs.

Les accords atypiques prévus par le code du travail et sans régime juridique

Le code du travail prévoit la possibilité de conclusion d’accords pour encadrer certains aspects, combler certaines lacunes ou apporter des solutions adaptées à certaines situations. Il convient de rappeler que ces accords auxquels le code fait allusion se rapportent à l’élection des délégués des salariés. Ils modifieront le nombre et la composition des collèges électoraux qui sont fixés par la loi, par le biais de conventions collectives ou de conventions à conclure entre les chefs d’entreprises et les travailleurs /les syndicats. Les outils pouvant être utilisés sont de deux catégories selon l’article 437: l’une est formelle la convention collective, l’autre est informel ou atypique.

Les accords auxquels le code du travail fait allusion sans préciser le régime juridique peuvent poser problème en cas de leur non-application par une des parties contractantes. Cette situation

devient manifeste en cas de signature d’un accord par un groupe de travailleurs non mandatés officiellement. Devant la non-règlementation desdits accords par la législation du travail qui est en quelque sorte contraignante, les dispositions du code des obligations et contrats régissant les rapports contractuels s’appliquent.

Le code du travail fait allusion dans l’article 100 aux instruments de consignation des résultats des négociations en citant le procès-verbal et l’accord. Ces deux instruments peuvent donc comporter des avantages et des acquis sociaux dont doivent bénéficier les salariés et constituent des sources de droits pour eux. Cependant le code du travail n’établit aucun régime juridique pour ces deux instruments l’accord et le procès-verbal.

Les accords atypiques développés dans les rapports du travail sans que

La législation leur   fasse allusion

Dans les rapports collectifs du travail et pour raisons dont notamment l’absence de syndicats les plus représentatifs, ou de syndicats même non-représentatifs, au sein des entreprises des accords sont conclus par des syndicats qui n’ont pas la capacité juridique, ou par des délégués du personnel qui ne sont pas juridiquement habilités à signer des accords puisqu’ils n’ont pas la qualité de personne morales.

Ces accords qui ne sont pas prévus par le code du travail connaissent une pratique importante dans les rapports collectifs du travail. Ce sont des protocoles d’accords de satisfaction de revendications, de prévention des conflits et de reprise de travail après les grèves et les lock-out.

Les statistiques du travail reflétant l’action des services de l’inspection démontrent l’importance quantitative et qualitative de ces accords atypiques et non réglementés par le code du travail.  Ces accords impactent positivement les rapports du travail, contribuent à l’amélioration du climat social et à l’évolution des relations du travail.

Conclusion

Les accords collectifs prennent diverses formes : conventions collectives atypiques, accords sociaux, procès-verbaux issus des négociations collectives, conventions prévues par le code du travail sans encadrement juridique prévus par le code du travail pour réglementer certaines situations par voie d’accords. D’autres formes d’accords atypiques peuvent s’y adjoindre. Il s’agit de protocoles d’accords donnant satisfaction à des revendications professionnelles, fixant les conditions de reprise du travail après les grèves ou les lock-out.

Certains accords sont soit encadrés par la loi mais ils peuvent devenir atypiques en cas de non-respect de la loi, d’autres sont cités dans le code du travail ne sont régis par aucune disposition légale, d’autres n’ont aucune existence légale mais se sont développés dans les rapports collectifs du travail.

Cette diversité de situations n’a pas eu de réglementations propres et précises. En dépit de leur non-réglementation et de leur informalité, les accords atypiques ont souvent les mêmes effets et le même impact positif que les accords typiques et revêtant un caractère légal.

Bibliographie

D’Aoust Claude et Leclerc Louis, les protocoles de retour au travail : une analyse juridique. Ecole de relations industrielles, Université de Montréal, Monographie n° 6, 1980.

Guitton Christophe, Emplois atypiques et négociation collective, Revue Travail et Emploi, n° 42-04/1989.

Freyria Charles, les accords d’entreprises atypiques, Revue Droit social, janvier 1988.

Savatier Jean, Accords d’entreprises atypiques, Revue Droit social, janvier 1988

Toutain Jacques, les contrats atypiques, Revue Droit Ouvrier, Mai 2006.

Vallée Guylaine, les accords « atypiques » et le droit des rapports collectifs du travail, Revue Relations industrielles, vol .44, n° 3, 1989.


[1] Vallée Guylaine, les accords « atypiques » et le droit des rapports collectifs du travail, Revue Relations industrielles, vol .44, n° 3, 1989, p 680.

[2] D’Aoust Claude et Leclerc Louis, les protocoles de retour au travail : une analyse juridique. Ecole de relations industrielles, Université de Montréal, Monographie n° 6, 1980.

[3] Toutain Jacques, les contrats atypiques, Revue Droit Ouvrier, Mai 2006.

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