Khalid Naciri
Mohamed Khalil
Très jeune, feu Khalid Naciri, dont sa famille et le Parti du progrès et du socialisme ont organisé une cérémonie, lundi dernier à l’occasion du 40ème jour de sa disparition, avait trouvé sa vocation de défenseur intransigeant des libertés et de la presse démocratique au Maroc et dans le monde.
Déjà, jeune avocat, il avait été mandaté par le parti, avec d’autres camarades avocats, dont notamment Me Abdelaziz Benzakour, pour le représenter pour entamer des discussions, en 1972, avec le « Comité national de lutte contre la répression » qui regroupait à l’époque de nombreuses personnalités nationales, de sensibilité politiques diverses. Ledit comité était composé de l’Union des Ecrivains du Maroc (UEM), de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM), de l’Union Nationale des Ingénieurs (UNI), du Syndicat National de L’Enseignement Supérieur (SNESup), de l’Union des Jeunes Avocats (UJA).
La culture politique de l’époque, dominée par le sectarisme, les tentatives d’hégémonisme et l’exploitation politique partisane, avaient, malheureusement, avaient fait échouer, après 3 mois de négociations, les discussions destinées à unir le mouvement des DH.
Avec d’autres événements liés à la démocratie et à la défense des libertés, Si Khalid a été un témoin privilégié d’une période des plus critiques de l’indépendance du Maroc et de l’édification d’une société démocratique.
Il était ainsi un produit politique des cinq années d’état d’exception (1965 – 1970) », fortement illustrées par une crise politique entre le palais et l’opposition (Istiqlal, UNFP et PCM) surtout depuis le boycott du Parlement de 1963. Depuis, suivra une période marquée par la multiplication des procès politiques et de la censure des journaux, ainsi que par les deux coups d’Etat en 1971 et 1972.
Aussi, avec la parution des journaux Al Bayane, fin novembre 1972, dont le défunt a été l’un des principaux initiateurs aux côtés de feu Ali Yata et de Si Mohamed Bennis, il utilisait souvent sa casquette de juriste, se forgeant ainsi la réputation d’être un ardent défenseur, à côté des libertés individuelles et collectives, de la liberté de la presse au Maroc. De mémoire de journaliste, je retiens sa présence, aux côtés de feus Me Mohamed Anik, coordinateur d’un collectif composé d’une cinquantaine d’avocats de divers horizons, pour défendre Al Bayane au procès intenté par l’ancien commissaire de police Archane.
Un militant de tous les combats
Il était, comme durant la décennie 1970, de tous les combats des droits de l’homme lors des décennies 80 et 90, tout particulièrement depuis le quarantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en 1988, quand il émergea du lot en défendant une vision singulière des droits humains.
Khalid Naciri faisait partie de ce noyau «pur et dur » qui voulait, contrairement aux tendances sectaires et hégémonistes, mettre sur les rails une nouvelle organisation des droits de l’homme, loin des tutelles politiques qui paralysaient le mouvement progressiste dans le pays.
En 1987, c’est Khalid Naciri qui est mandaté par la direction du PPS pour la création d’une organisation de défense des droits de l’Homme. Avec des juristes de l’USFP, de l’OADP, l’alliance était élargie à des militants des DH de sensibilité de gauche et à des personnalités du RNI.
Khalid Naciri était un redoutable visionnaire. Son souci principal résidait dans la crainte, à force de laxisme et de nonchalance, d’une situation complètement ingérable, et ce dans une conjoncture internationale où le mouvement des droits de l’homme avait le vent en poupe au niveau local et mondial.
Avec les professeurs Omar Azziman et feu El Mandjra et une trentaine de juristes marocains de renommée, Khalid Naciri a pensé une vision particulière qui, avec le temps, a fait son chemin, malgré de fortes oppositions. Pour lui, l’Organisation marocaine des droits de l’homme ne devait obéir à aucune vision politique étroite mais doit être un outil de défense du droit et rien que le droit.
Mêmes ses adversaires et concurrents politiques lui ont reconnu le mérite et la justesse d’avoir bataillé pour instaurer d’une vision rénovée des DH par la création d’une OMDH forte et fédérative de tous les courants de pensée, sans aucune exception. Il préconisait une indépendance totale de toute ligne politique partisane étroite qui fera couler le rêve de l’engagement politique, indépendant et efficace, au service des droits humains. Et que des droits humains !
Une sentinelle des DH perpétuellement en éveil
Son initiative échouera au début, après le départ de plusieurs membres fondateurs de l’organisation sans casquette politique. Et c’est Khalid Naciri qui émergera du lot, parmi un parterre de grands juristes et militants hors pair des DH, pour tracer la voie et prendre les responsabilités historiques qui s’imposaient, face aux tiraillements politiques.
Il assurera la présidence de l’OMDH en 1990 en parvenant à organiser un congrès exceptionnel qui lancera l’organisation. Avec ses amis et camarades de l’USFP, dont notamment Abdellaziz Bennani, qui occupait le poste de secrétaire général et deviendra président, ainsi que feu Si Mohamed Haloui (ex- président de l’UNEM), Khalid Naciri sortira agrandi de cette dure épreuve colossale. Il fera l’unanimité des courants progressistes et des défenseurs des droits de l’homme, qui lui reconnaitront son mérite.
Au Cabinet de Me Benzakour, il avait continué, entre 1986 et 1996, à défendre le droit, aux côtés de nos camarades feus Me Lahbabi et Mounir Rachid, ancien prisonnier politique ayant purgé dix années de privation de liberté…
La valeur de l’homme sera reconnue au niveau de la Ligue arabe dont il a été élu, à l’unanimité, président de la Commission Arabe Permanente des Droits de l’Homme, pendant trois mandats de 2000 à 2006…
Une voix retentissante de la justice sociale et politique
In fine, c’est un grand homme de loi et de droit qui nous quitte et auquel il faudra reconnaitre une audace sans précédent de transgresser les tabous et les sentiers battus…
Avec son départ, c’est une voix retentissante de la justice sociale et politique, sans compromission, un anticonformiste conséquent qui disparait et l’une des dernières figures sincères du droit qui laissera un vide de plus en plus grand par les temps qui courent.
Il laisse le souvenir d’un personnage intransigeant sur les valeurs du droit et un authentique défenseur de la pluralité politique, plus particulièrement lors des années de plomb marquées par la répression des opposants politiques.
Homme des médias, malgré lui, feu Khalid Naciri n’était pas un avocat médiatisé comme le furent d’autres avec beaucoup moins de compétence et de talent. Mais il forçait le respect.
Qu’il repose en paix.