La mosquée de Tinmel, un chef-d’œuvre en ruine…

DNES à Tinmel : Mohamed Nait Youssef

Reportage photos Redouane Moussa

Un chef-d’œuvre architectural. La mosquée de Tinmel, un joyau situé au pied de la montagne, a été gravement touchée par le tremblement de terre qui a frappé les régions d’Al Haouz dans la nuit du 8 au 9 septembre. Pas loin d’Ighil, l’épicentre du violent séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter, ce monument historique et patrimonial important, édifié dans la région du Haut-Atlas à la mémoire de Mehdi Ibn Toumert, fondateur de la dynastie Almohade (XIIe siècle), a subi des dégâts majeurs.

Nous sommes arrivés à ce bout de paradis sur terre à 11h du matin. Un trajet de 4 heures depuis la ville ocre. C’était un beau samedi ensoleillé. Il fallait alors traverser la fabuleuse vallée de Oued N’Fiss (Assif Ounfis) pour arriver au magnifique village dormant au cœur des montagnes du Haut Atlas marocain. Le paysage était déduisant, mais le cœur était alourdi de peine et de chagrin. Les habitants sympathiques, modestes et humbles pansent leurs blessures et plaies. Le silence enveloppe les lieux. Visiblement, tout se lit sur les visages fatigués et tristes des villageois. Tinmel est ruiné. Tinmel est endeuillé. Les images tristes des maisons détruites donnent froid dans le dos. En flânant, l’odeur de la mort est partout, le désastre est le maître-mot. Que des vestiges. 

«Il est 23h15. La terre a tremblé sous mes pieds. Mes chiens m’ont alerté de ce danger étrange. J’ai voulu fuir ce désastre en essayant de me cacher dans la mosquée, mais la fumée m’a empêchée. Du jamais-vu.», nous raconte Lahcen Matallah, gardien de la grande mosquée de Tinmel gravement touchée par le séisme. Imprévisible, le tremblement de terre a tué, selon ses dires, trois travailleurs de ladite mosquée qui  ont trouvé la mort. Les gens ne se sont pas encore réveillés des longs cauchemars des nuits passées. Or, le temps a la capacité d’arranger les choses. Patience et résilience !

Berceau de la dynastie almohade…

La mosquée de Tinmel, berceau de la dynastie almohade, n’a pas été épargnée non plus des effets dévastateurs du séisme. Sur le terrain, on a croisé un groupe d’architectes qui s’est déplacé pour faire le point et diagnostiquer les dégâts. Un condensé d’émotions! Leur chagrin était immense en méditant d’en haut les dommages. Désolant, déchirant…

«On a pris Marrakech très tôt pour arriver jusqu’ ici. Nous avons fait toute cette vallée ;  de Tinmel jusqu’à Marrakech. Nous avons constaté les dégâts. Je suis très ému et très touché par ces images que j’ai vues. Je suis même bouleversé parce que ça me rappelle le séisme  de 2004 qui a frappé la région d’Al Hoceima. C’est presque les mêmes images, les mêmes émotions.», nous confie Mohamed Cheikh, président du conseil régional de l’ordre des architectes à  Nador -Al Hoceima.

Cheikh Mohamed a fait le déplacement avec un groupe d’architectes représentant l’ordre des architectes. Ils sont en effet venus pour faire le point sur ce qui a été touché par le tremblement de terre.

«On a déjà ouvert une liste d’architectes pour qu’ils viennent contribuer avec leurs connaissances à reconstruire ce qui a été démoli, mais avec l’action de l’Etat. On a été touchés par cette information dès vendredi. Le lendemain on a fait une réunion.», a-t-il déclaré. Et d’ajouter: «Sa majesté a donné la feuille de route très tôt où il a bien spécifié les choses. À vrai dire, on doit construire en sauvegardant l’architecture  locale, et nous en tant que techniciens, on va ramener le parasismique afin d’éviter d’autres drames.», a-t-il affirmé.

Tinmel est connue, a-t-il rappelé, par sa mosquée qui a été construite au 12ème siècle par les Almohades, et qui a été repérée et rénovée il y a des années par Feu Hassan II.  «Malheureusement cette mosquée a été durement touchée. Elle est démolie alors qu’elle vient d’être rénovée ;  il y a encore les échafaudages à l’intérieur de ce bâtiment. Mais ce qu’on constate, c’est qu’il n’y a pas de parasismique parce que personne, même les experts les plus affutés, n’a imaginé qu’un jour un séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter allait frapper cette région. Évidemment, les gens n’ont jamais réfléchi au parasismique y compris les Almohades pendant la construction et la rénovation de ce monument.», a-t-il fait savoir.

Une merveille reflétant le génie architectural marocain…

La mosquée Tinmel est symbolique, vu sa conception parce qu’elle reflète la culture et l’architecture marocaines. Elle représente également la tradition architecturale arabo-andalouse où la touche fine et esthétique est mêlée aux techniques de construction locale.

«Depuis l’arrivée de l’islam, le marocain a conçu la mosquée à la manière de sa culture. Cette mosquée reflète cette vision et culture. En effet, c’est essentiel parce que l’ensemble des architectes nationaux tiennent beaucoup à la reconstruction à l’identique. C’est-à-dire on ne va pas venir amocher ni la façade ni la mosquée toute entière, mais on vient rajouter une structure parasismique. Bien évidemment, la mosquée va rester comme elle est. Maintenant, on va travailler avec l’Etat, la main dans la main, et on va concevoir une feuille de route pour la reconstruction.», a révélé Mohamed Cheikh.

Dans le cas de la mosquée de Tinmel, nous explique Ahmed Skounti, Professeur d’anthropologie à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine et consultant auprès de l’UNESCO, elle a connu au moins deux opérations de restauration en 1994 et 1995, et tout récemment. La preuve : il y a un nouveau chantier de restauration qui a été lancé au début de cette année par le ministère des Habous et des affaires islamiques et le ministère de la Culture.

Maintenant, il faut faire le constat très précis et à chaud de ce qui a été touché pour documenter l’état de la mosquée après le séisme, a-t-il insisté. «Il faut faire une description détaillée et une couverture photographique du monument. Après, la question de la restauration est une question qui reste ouverte.», a-t-il affirmé à Al Bayane.

Une valeur universelle importante…

Il faut d’abord rappeler que la mosquée de Tinmel est un monument qui figure sur la liste indicative que le Maroc a déposé auprès de l’Unesco dans l’intention de préparer un dossier pour l’inscription sur la liste du patrimoine mondial. «Les informations qui circulent sur son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco sont fausses. Et le fait que cette mosquée figure sur la liste indicative veut dire que le Maroc considère que c’est un monument important qui a une valeur universelle, exceptionnelle, potentielle et qu’elle mérite d’être inscrite au patrimoine mondial.», précise le consultant auprès de l’UNESCO.

La restauration de la mosquée : une question ouverte…

Selon Ahmed Skounti, il est urgent de protéger le monument par une structure réversible ou tout autre dispositif approprié en attendant de le restaurer car si les pluies arrivent, dit-il, il faut craindre qu’elles n’achèvent ce qui reste encore desstructures fragilisées par le séisme. La question de la restauration de la mosquée de Tinmel reste ouverte.

«Il faudrait mettre tous les scénarios et avis sur la table et trancher avec un arbitrage précis.», a-t-il indiqué à Al Bayane. En matière de restauration, poursuit-il,  il y a ceux qui disent qu’on laisse la trace des événements que le monument a connus et d’autres  qui appellent à reconstruire à l’identique. «Entre les deux scénarios, il  y a une multitude d’avis. Il faudrait les prendre tous en considération et faire un arbitrage et trancher. La restauration doit se faire avec les populations qui connaissent l’architecture de terre.», a-t-il expliqué.

Ahmed Skounti, consultant auprès de l’UNESCO

« Il est urgent de protéger le monument par une structure réversible ou tout autre dispositif approprié en attendant de le restaurer car si les pluies arrivent, dit-il, il faut craindre qu’elles n’achèvent ce qui reste encore de ses structures fragilisées par le séisme. »

Mohamed Cheikh, architecte 

« La mosquée va rester comme elle est. Maintenant, on va travailler avec l’Etat, la main dans la main, et on va concevoir une feuille de route pour la reconstruction.»

Mehdi Qotbi, président de la FNM

« Nous avons ce souci de donner la possibilité d’ouvrir les musées pour enrichir l’offre touristique de la ville.»

Abdelaziz el Idrissi, Directeur du MMVI

«Heureusement, les collections n’ont pas été touchées. Dans deux mois ou un mois et demi, deux musées seront prêts pour reprendre leurs missions principales. »

Dans la ville ocre, des monuments touchés à des degrés divers…

Les monuments historiques et patrimoniaux n’ont pas échappé au désastre. À Marrakech, à Taroudant, à Tinmel, à Talat N’Yaaqoub, ainsi que d’autres régions d’Al Haouz, de très nombreux sites ont été fragilisés et touchés par le tremblement de terre. À la ville ocre, l’une des meilleures destinations touristiques mondiales, des sites et des bâtiments tels le Palais de la Bahia, les Tombeaux saâdiens,  Dar el Bacha, Dar Si Saïd, le minaret de la Koutoubia, le minaret de la mosquée Kharbouch et bien d’autres n’ont pas été épargnés par le séisme.

«Les musées qui sont sous la responsabilité de la Fondation nationale des musées ont souffert comme tous les bâtiments touchés par le séisme. En effet, le musée du patrimoine immatériel Jamaa El Fna a eu quelques fissures qu’on va essayer de réparer rapidement, et qu’on va ouvrir le sitôt possible parce que nous avons aussi ce souci de donner la possibilité d’ouvrir les musées pour enrichir l’offre touristique de la ville.», nous déclare Mehdi Qotbi, président de la Fondation Nationale des Musées (FNM).

Les musées qui ont  beaucoup souffert, ce sont  Dar Si Saïd et Dar el Bacha, a-t-il rappelé.

D’après lui, la FNM était l’une des premières institutions à se rendre sur place le lendemain du tremblement de terre pour faire le point et désigner un bureau d’études pour ce faire. 

Certes certains musées ont subi des dégâts, mais il faut se rassurer que les collections soient « saines et sauves ». Et tant mieux…

«Heureusement, les collections n’ont pas été touchées. Dans 2 mois ou un mois et demi, deux musées seront prêts pour reprendre leurs missions principales. Il faut dire aussi que les musées ont été fermés pour élaborer le diagnostique et éviter tout problème.», rassure Abdelaziz el Idrissi, Directeur du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain (MMVI), dans une déclaration au journal.

L’heure est au bilan, à l’action…

Pour Ahmed Skounti, le bilan reste à faire. «À mon avis, c’est l’information qu’il faut transmettre aux décideurs. On sait à peu près ce qui s’est passé à Marrakech ; les monuments qui ont été touchés dans la médina.», a-t-il souligné.

Selon lui toujours, il paraît qu’il y a des fissures dans le minaret de la Koutoubia, le Palais de la Bahia, les Tombeaux saâdiens, tous les monuments qui sont inscrits au patrimoine national et qui font partie de la médina de Marrakech en tant que patrimoine mondial de l’Unesco ont été plus au moins touchés à des degrés divers.

Dans la région, a-t-il précisé, il faut aller voir en particulier les sites de gravures rupestres à Ghmate, la ville qui a précédé Marrakech. Sans oublier bien entendu les sucreries de Chichaoua, les greniers collectifs (igoudar) et tous les villages où il y a une architecture ancienne. «Le bilan reste à faire de ce qui a été touché parce que c’est ce bilan qui va faire l’inventaire des dégâts qui peut permettre d’élaborer une stratégie de conservation et de restauration. », a-t-il indiqué.   

Certes, un long chemin reste encore à parcourir, mais l’espoir est toujours là afin que certains monuments reprennent leur éclat d’antan et revivent même de leurs cendres. Certainement, une nouvelle naissance sera tant attendue. Patience et résilience !

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