Gênes

Carnet de voyage

Par M’barek HOUSNI

Pour y parvenir, il faut traverser une série de tunnels et survoler une série de ponts. On a l’impression de se déplacer en s’accrochant aux flancs d’une montagne densément habitée, entre des habitations et des bâtiments, parmi les rochers et les arbres, tout près du ciel. On ressent un mélange d’étourdissement et d’effroi, mais malgré tout, la paix s’installe et l’âme s’élève. En jetant un regard autour, on peut également apercevoir la mer à proximité, la mer Méditerranée depuis l’Italie. Cependant, on se demande, un peu confus : est-ce une mer ou un immense lac ? On se souvient alors que Gênes a été pendant des siècles une république de marins et de navigateurs, ce qui en a fait l’une des régions les plus riches d’Europe pendant longtemps. L’un de ses citoyens les plus célèbres est Cristoforo Colombo, qui a découvert l’Amérique au nom de la reine Isabelle d’Espagne en 1492, l’année même de l’expulsion des musulmans de la péninsule ibérique. Sa statue imposante se dresse dans le centre historique de la ville, non loin du portail de la gare de la ville, à la Piazza Aquaverde, une place bouillonnante de mouvements et de vie.

Une fois que l’on se retrouve à Gênes, on réalise à quel point la platitude est terne lorsqu’elle est hors de sa place ! Gênes est une ville suspendue, constituée d’immeubles adjacents et même perpendiculaires, ainsi que d’une multitude d’escaliers, connectés et prolongés, se tordant et s’épaississant, et de ruelles sans fin, les « caruggi », d’une étroitesse étonnante. C’est une géométrie d’intrication optimale. Chaque immeuble s’appuie sur un autre de manière semblable, comme s’ils se soutenaient mutuellement pour éviter tout effondrement, ce qui n’est pas susceptible de se produire, car ici et là, on trouve des bâtiments d’architecture médiévale, immenses et solidement établis. Avec leurs hautes colonnes encadrant les grandes et imposantes portes, construites en albâtre, en marbre et en pierres polies. Cependant, ce qui rend l’accès peu évident au premier regard, ce sont les escaliers : on ne peut pas se déplacer sans avoir des jambes solides. Découvrir Gênes nécessite un véritable effort musculaire.

Au premier contact, tout semblait imprégné d’une certaine négligence, d’un manque d’entretien. De vieux murs, à la peinture vieillie, des portes écaillées, des fenêtres aux carreaux brisés, des trottoirs encombrés de divers objets empilés sur les côtés. Même la petite plaque de marbre portant le nom de l’hôtel familial Bernhof où j’avais réservé une chambre, semblait négligée, peut-être depuis qu’elle avait été fixée au mur. J’ai dû l’observer attentivement pour la déchiffrer.

Heureusement, cet hôtel est situé à proximité de la gare routière internationale, dans la rue Balbi, nommée d’après l’une des illustres familles aristocratiques de la ville. J’étais épuisé après un voyage de vingt-quatre heures, en train depuis Grenade en Andalousie, puis en bus depuis Barcelone en Catalogne. En entrant, je n’ai d’abord pas prêté attention à l’architecture ancienne de la chambre. Elle dispose de deux lits, d’un lavabo et d’une télévision. Tout est d’un blanc qui s’est effacé peu à peu avec le passage du temps. Mais elle était spacieuse et propice au repos.

Le lendemain, je me suis mêlé à la foule et j’ai été captivé par les nombreux et merveilleux monuments. Cependant, l’impression d’abandon persistait, et je me suis à nouveau demandé : n’y a-t-il pas là un acte délibéré de ne pas toucher à l’ancien, de peur qu’il ne perde sa véritable essence, que son caractère antique soit altéré ? C’est une question légitime, car je me trouve en Italie, le berceau de la Renaissance, où de nombreuses manifestations de cet héritage sont visibles partout.

Soudain, j’ai trouvé la réponse à ma question. À un moment donné, l’apparence de la fenêtre de ma chambre m’a intrigué. C’était ce type de fenêtre à volet unique que l’on pousse vers l’avant. J’ai regardé dehors. Devant moi, il y avait la façade d’un immeuble de quatre étages, entièrement couverte de barres de fer et d’un grand filet de protection qu’on utilise lors de travaux de construction ou de rénovation de bâtiments. À y regarder de plus près, il ne m’a pas semblé conçu pour un renouveau, mais plutôt pour un sauvetage.

En bas, à ma droite, il y avait le toit d’une terrasse de café, et en dessous, une table autour de laquelle deux amoureux dînaient dans la pénombre. Ils chuchotaient, s’échangeaient des regards et des gestes passionnés. Étrange ! Tout cet amour au milieu de ce laisser-aller urbain ! Ensuite, je me suis tourné vers la droite en me penchant. J’ai aperçu un escalier aux briques rouges élimées, flanqué au début de deux colonnes en marbre s’élançant vers le ciel, suivies de deux autres colonnes en retrait, de même hauteur mais d’épaisseur moindre. Au-dessus d’elles, un arc abritait un mascaron, et un second arc, au-dessus, encadrait la statue de Santa Brigida, dont j’ai découvert l’existence le lendemain matin.

Là où il y a de l’art, il n’y a pas de place pour un acte d’abandon, ni pour ce qui peut sembler être de la négligence ou du laisser-aller. C’est simplement que les murs portent les marques du temps lorsqu’ils sont des œuvres. J’ai entrepris de me pencher sur la vie de Santa Brigida, qui a fondé le monastère en ces lieux, dont une partie était un lavoir, Trugoli, qui existe toujours, comme cela est mentionné dans un article publié dans le journal « La Voce di Genova. » Tout s’est imbriqué pour enfin corriger l’impression première ! Parti de l’idée de l’abandon, j’ai fini par découvrir la vue légendaire du linge qui sèche sur des cordes et un « Trugoli », un lavoir qui date du Moyen Âge !

*Écrivain, poète et chroniqueur d’art

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