Comme il n’existe pas une Internationale Fasciste, à l’instar de l’Internationale Socialiste, il n’y a pas, pourrait-on dire, une unicité des extrêmes-droites dans le monde ; ce qui, en l’absence d’une définition précise, rend difficile la possibilité d’appliquer cette étiquette sur un parti plutôt que sur un autre même s’ils comportent tous quelques traits distinctifs communs tels la préférence et la souveraineté nationales auxquelles chacun rajoute certaines spécificités résultant de son histoire, de ses réalités nationales avec notamment un rejet de l’immigration et/ou du multiculturalisme.
L’extrême-droite serait ainsi une sorte de champ politique avec plusieurs courants ayant, toutefois, comme point commun l’organicisme c’est-à-dire cette idée que la société fonctionnerait comme un être vivant. Véhiculant donc cette conception «organiciste» de la communauté, l’extrême-droite entendrait « reconstituer la société de manière homogène» tout en récusant le système politique en vigueur et en s’octroyant une «mission salvatrice».
Ainsi, même si les droites extrêmes et radicales sont diverses et multiformes – chacune étant le produit de son époque – elles ont toutes fini par s’adapter aux mutations géopolitiques du moment et par adopter des positions politiques que l’on pourrait qualifier de nationales-populistes ou de néo-populistes après s’être débarrassés de cette volonté de créer l’homme nouveau et la société nouvelle – en vogue au début du 20ème siècle – et s’être attachés à des revendications plutôt identitaires.
Depuis quelques temps, ces partis populistes qui, selon certains seraient devenus « à la mode », ont gagné du terrain dans quelques pays d’Europe comme la France, les Pays Bas, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, l’Autriche, la Hongrie et la Pologne pour ne citer que ceux-là.
I – Le Front National en France :
En France, la période 2001/2017 a été décisive pour le Front National puisqu’il a vu ses deux patrons, le père et la fille Le Pen, se qualifier au second tour des élections présidentielles et sa ligne politique redéfinie sous l’impulsion de sa nouvelle Présidente qui, dès sa prise de pouvoir, s’est attelée à une «dédiabolisation» du parti qui lui a permis, après l’éviction des éléments les plus radicaux, d’imposer subrepticement un grand nombre de ses thèmes de prédilection et même de les faire adopter par d’autres formations politiques qui se sont permis, dès lors, de venir à la «chasse aux voix» sur les terres du Front National. Il en va ainsi des questions de l’immigration, du souverainisme, de l’islam ou encore de l’eurosceptisme jadis tant décriées mais qui figurent, désormais, en très bonne place dans les programmes des autres partis; qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche…
Deux formations se sont même permis de contester l’hégémonie du Front National sur son propre « créneau politique » et d’essayer de lui faire de l’ombre sans y parvenir réellement. Il s’agit du Mouvement National Républicain fondé à la fin des années 1990, par Bruno Maigret, un dissident du F.N. et la Ligue du Sud formée par Jacques Bompart, un autre ancien cadre du FN qui s’était brouillé avec Jean-Marie Le Pen et qui est, tout de même, parvenu à décrocher aujourd’hui trois mairies et un siège de député occupé par Marie-France Lorho.
Pour rappel, durant la dernière campagne présidentielle de 2017, le Front National s’est trouvé au coude à coude avec La France En Marche d’Emmanuel Macron puis est arrivé second au premier tour en obtenant 21,30 % des voix ; un score qui, bien qu’inférieur aux 27,73% des voix obtenues lors des régionales, reste tout de même un succès car, en nombre de voix, il lui est supérieur de plus d’un million puisque la participation a y avait été plus forte.
II – Le Parti pour la Liberté (PVV) aux Pays-Bas
Quoique très aléatoires, à première vue, car en dents de scie, les résultats obtenus par l’extrême-droite aux Pays-Bas témoignent d’une réelle poussée populiste dans le paysage populiste néerlandais après avoir été tellement divisée pendant longtemps entre plusieurs formations qu’elle ne pouvait faire que des scores plutôt marginaux. Or, l’assassinat par un activiste d’extrême-gauche en 2002, de Pym Fortuyn qui avait fait notamment de la dénonciation de l’Islam la pierre angulaire de son discours a servi la cause de l’extrême-droite néerlandaise puisque avec l’arrivée, en 2006, de Geert Wilders et de son Parti de la Liberté, elle est devenue une pièce maîtresse dans l’échiquier politique du pays réalisant des scores dépassant les 10% en employant un discours très proche de celui défendu par Pym Fortuyn dénonçant principalement l’immigration et l’union européenne.
Ayant obtenu 15% des voix en 2010, le Parti de la Liberté est devenu la troisième force politique du pays. Aussi, bien que ne participant pas au gouvernement minoritaire dirigé par Mark Rutte, le PVV le soutient au Parlement s’octroyant, dès lors, un moyen de pression inédit qui durera jusqu’à la chute de cette alliance en 2012. Les élections qui suivirent furent un échec pour Geert Wilders et il va falloir attendre celles de 2017 pour le voir réapparaitre en tête des sondages alors que ses idées portant sur l’interdiction de la vente du Coran, la sortie de l’Union Européenne, la fermeture des frontières avec la réduction drastique de l’immigration sont au centre du débat politique.
Mais bien que les résultats des urnes aient été échec pour Geert Wilders qui n’obtient que 13,1% des voix dans la mesure où il avait obtenu plus de 17% des voix aux élections européennes de 2009, le Parti de la Liberté reste, tout de même, la seconde force politique au Parlement avec 20 sièges.
III- Le Parti National-Démocrate (NPD, néo-nazi) en Allemagne
Même l’Allemagne, que l’on croyait épargnée par une poussée populiste du fait qu’elle était restée longtemps électoralement fermée à l’extrême-droite à cause notamment du poids de son passé, a fini par être rattrapée par la fièvre extrémiste. Pour preuve, le score de 1% réalisé par le Parti national-démocrate néo-nazi aux élections européennes de 2014 lui a permis d’entrer pour la première fois au Parlement européen et les juges de la Cour Constitutionnelle allemande ont, par deux fois, en 2003 et en 2017, rejeté des demandes de dissolution le concernant au motif qu’il n’avait un poids pouvant conduire à son interdiction.
Il y a lieu de rappeler, au passage, que l’extrême-droite allemande a longtemps été constituée de petits groupes d’ultras très souvent violents mais sans poids réel au sein de l’échiquier politique.
Ce n’est qu’entre la date de la chute de l’ex-U.R.S.S. et le début de la réunification du pays que la vague extrémiste allemande s’est développée avec l’apparition du fameux mouvement des Skinheads ; ces «crânes rasées» qui ont vu leurs rangs grossir principalement à cause fossé énorme qu’ils ont découvert «entre la richesse de l’Ouest et la pauvreté de l’Est». C’est à ce moment-là que le néo-nazisme allemand est apparu notamment dans les régions industrielles de l’Allemagne réunifiée. On a même assisté à une radicalisation sans précédent concrétisée par l’assassinat de neuf immigrés et d’une policière perpétré par des membres du Parti National-Socialiste souterrain (NSU).
L’absence en Allemagne d’un parti d’extrême-droite d’envergure pouvant accueillir les votes contestataires a ainsi permis l’explosion du fameux mouvement Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident) qui avait réuni en 2015 plusieurs dizaines de milliers de manifestants durant plusieurs semaines. Mais si, au bout d’un certain moment, ce mouvement s’est essoufflé, sa dynamique restée présente au sein de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui a pu faire un score de 7% aux élections européennes de 2014 avec un programme essentiellement économique et un anti-européanisme clairement affiché. L’islam et l’immigration restent, tout de même, la cible principale de l’AfD…
IV – Le Mouvement 5 étoiles en Italie :
Bien que défaite lors de la seconde guerre mondiale, l’Italie n’a pas connu de période réfractaire au néo-fascisme et le MSI (Mouvement social italien) crée sur les cendres du parti fasciste a toujours été présent au sein de la chambre des députés même si, dans les années 1990, il s’est transformé en un parti de droite classique à l’instigation de Gianfranco Fini avant de fusionner avec le mouvement de Silvio Berlusconi alors que la flamme néofasciste a été entretenue par une multitude de petites formations telles Forzanuova, Alleanza Nazionale, Frontenazionale et tant d’autres encore mais sans, toutefois, parvenir à des résultats probants.
Deux mouvements originaux sont nés en Italie ces dernières années ; à savoir au nord la Ligue du Nord qui adopte la chemise verte et fonde son discours sur l’essor de la Padanie (une entité imaginaire qui regrouperait tout le nord de l’Italie) et sur une critique de l’immigration et, en face, le Mouvement 5 Etoiles néo-populiste au vu notamment de ses positions anti-immigrés même s’il se rapprocherait aussi de la gauche de par ses idées sur l’augmentation du salaire minimum ou par d’autres propositions comme la mise en place de mesures anti-corruption, l’aide à accorder aux PME, un système de démocratie directe ou encore la sortie de l’euro.
Aux législatives de 2013, le Mouvement 5 Etoiles a remporté 25% des suffrages soit 109 sièges de députés sur 630. En 2014, il réalise 21% aux élections européennes et, en 2015, 15% aux élections régionales avant de remporter, en 2016 et à la surprise générale, les Mairies de Rome et de Turin.
Mais la mauvaise gestion municipale de la capitale et des soupçons de corruption obligent son leader Beppe Grillo à geler, quelque peu, sa participation et à mettre en place un Directoire de 5 personnes pour le remplacer.
En Juin 2017, les municipales sont un échec total pour le Mouvement et septembre dernier a vu l’arrivée à la tête de la formation du jeune Luigi di Maio qui le représentera aux prochaines législatives alors même que beaucoup d’italiens voient en lui un conservateur sans réelle expérience politique.
V- L’Aube dorée (XA) en Grèce :
Tombée en désuétude après la chute du régime dit «des Colonels», l’extrême-droite grecque a fait une remontée spectaculaire au cours de ces dernières années concrétisée notamment par la participation en 2011 du parti Alerte Populaire Orthodoxe (LAOS) à une coalition gouvernementale avec la gauche à la suite de laquelle cette formation extrémiste obtiendra un portefeuille ministériel, celui des Transports qui sera attribué à un ancien membre du parti néo-nazi et trois postes de vice-ministres dont l’un d’eux – celui en charge de l’Agriculture – a été confié à quelqu’un qui avait collaboré durant des années avec le régime des Colonels.
Mais outre leurs positions nationalistes, les militants de ce parti avaient des idées plutôt difficiles à accepter telles cette sévère austérité économique qu’ils prônaient sans cesse ou encore cette fantaisiste idée de vouloir que toute la population s’exprime en ancien grec.
Des idées qui font très vite perdre à ce parti les postes de députés nationaux et européens qu’il détenait et qui ouvrent la voie à l’émergence d’une formation d’inspiration néo-nazie dite Aube dorée (XA) qui deviendra rapidement le troisième parti politique du pays.
Soucieuse de créer une société formée d’hommes nouveaux, cette formation entend mettre en place un système de démocratie directe et une planification de l’économie au service de l’Etat tout en rejetant toute forme d’immigration au motif que la société doit être constituée de personnes ayant « le même héritage biologique ». Et voilà que le fameux concept de «race aryenne» né en Allemagne au milieu du siècle dernier refait surface dans une autre partie de cette Europe qu’il avait ravagé sans ménagement au nom de la pureté de la race ! Pas pour longtemps, heureusement, car en 2014 Aube dorée a subi un important revers après l’arrestation de son leader Nikos Michaloliakos et de 69 de ses membres dont des députés nationaux pour «appartenance à une organisation criminelle».
VI – Le parti de la Liberté (FPÖ) en Autriche :
En Autriche, l’extrême-droite se maintient au-dessus de la barre des 15% depuis une quinzaine d’années déjà.
Crée en 1956 sur les décombres d’un parti regroupant d’anciens nazis, le Parti de la Liberté qui avait été dirigé à l’époque par un ancien officier SS, a su attirer à lui des libéraux au début des années 1980 et est entré pour la première fois au gouvernement en 1983. Mal lui en pris, si l’on peut s’exprimer ainsi, du moment que cette participation ne semble pas avoir été apprécié par tous les autrichiens. Aussi, aux élections de 1986, le FPÖ ne réalise que très difficilement un score quasi-insignifiant en obtenant 1,2% des voix.
C’est alors qu’apparait Jörg Haider, ce leader charismatique grâce auquel le parti renaitra de ses cendres en alliant économie libérale et rejet des étrangers.
Mais même si son leader se fera alors élire gouverneur de Carinthie en 1989, ce dernier sera contraint de démissionner deux années plus tard pour avoir fait l’apologie de la politique de l’emploi préconisée par le IIIème Reich. Ceci ne l’empêche pas en 1995 de rendre un vibrant hommage à laWaffen-SS, un escadron de l’ancienne armée d’Hitler. Il retrouvera son siège de gouverneur quatre années plus tard et en faisant un score honorable aux législatives entrera au gouvernement l’année suivante en s’alliant aux conservateurs. A la mort, en 2008, de Jörg Haider dans un accident de circulation, c’est Heinz-Christian Strache qui prend les rênes du Parti en en évinçant peu à peu les éléments les plus radicaux.
Lors des législatives d’Octobre 2017, le FPÖ qui axe sa campagne sur un rejet de l’Islam arrive en troisième position avec 26% des voix alors que la droite en obtient 31,5% et que le SPÖ en recueille 27%. Le vainqueur Sebastian Kurz n’a d’autre choix que de se tourner vers l’extrême-droite pour former un gouvernement de coalition. Le FPÖ décroche alors trois postes clefs au sein de ce gouvernement; à savoir les portes-feuilles des Affaires étrangères, de l’Intérieur, le département de la Santé, des Affaires Sociales et des Transports et, enfin le Secrétariat d’Etat au ministère des Finances. Autant dire que l’extrême-droite autrichienne représentée par le Parti de la Liberté (FPÖ) a fait une entrée en force dans la conduite des affaires en Autriche rehaussée principalement par la présence de son leader, Heinz-Christian Strache, ancien sympathisant nazi durant sa jeunesse, au poste de vice-chancelier. Mais malgré ce retour en force de l’extrême-droite en Autriche, il y a lieu de soulever que l’Europe, contrairement à la fois précédente, a fait cette fois-ci profil bas et n’a cherché à prendre aucune sanction diplomatique à l’encontre de l’Autriche.
VII – Le Fidesz sous la pression du Jobbik en Hongrie
Le rêve de cette «Grande Hongrie» qui, à l’époque de l’Empire austro-hongrois regroupait des territoires se trouvant aujourd’hui en Autriche, en Croatie, en Roumanie, en Serbie, en Slovénie et en Ukraine hante encore de nombreux hongrois et ouvre, ainsi, la voie à la montée de l’extrême-droite.
La politique menée par le premier ministre Viktor Urban qui a pris des largesses à l’égard de l’Etat de droit fait dire à Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite, que bien qu’ayant «une conception moins libérale de la démocratie que peuvent l’avoir les formations politiques occidentales» le Fidesz de Viktor Urban «n’en reste pas moins un parti conservateur assumant son ancrage à droite» qui a su capitaliser sur la fierté nationale des hongrois mais qui reste, toutefois, sous la pression de cet authentique parti d’extrême-droite qu’est le Jobbik qui stigmatise les Roms et propose de rétablir la peine capitale et de solder l’héritage communiste en lançant en pâture les noms des anciens collaborateurs de l’ancienne police secrète.
Ce parti souhaite, également, organiser un référendum sur l’entrée de la Hongrie dans l’Union Européenne et même former un axe avec la Pologne et la Croatie pour concurrencer la domination des «pays de l’Europe de l’Ouest».
VIII – Le Parti Droit et Justice (PiS) en Pologne
Mené par le Parti Droit et Justice (PiS) le gouvernement Polonais pose les mêmes interrogations que le parti de Viktor Urban en Hongrie «en développant des pratiques autoritaires sur des bases très conservatrices» et en n’hésitant pas, parfois, à bousculer l’Etat de Droit.
Ainsi, le gouvernement polonais cherche à mettre définitivement un terme au pouvoir d’une partie des anciennes élites « communistes » qui sont parvenues à maintenir des positions politiques et économiques et à fomenter «une seconde révolution» – après celle de 1989 – qui reposerait, cette fois-ci, sur des bases conservatrices.
Enfin, même si les bons scores réalisés par la droite polonaise lui ont permis de maintenir l’extrême-droite à de faibles résultats, rien ne semble pouvoir empêcher les populistes polonais de réaliser une notable percée lors des prochaines élections ; qu’elles soient municipales ou législatives.
Nabil El Bousaadi