Café Hafa: joyau de Tanger… victime de la mal gouvernance

La démolition d’une terrasse construite sans autorisation par le propriétaire du Café mythique Hafa à Tanger défraie la chronique. L’information a fait un tollé non seulement dans la ville du détroit, mais également sur les réseaux sociaux. L’histoire de ce café imaginé et construit en 1921 par son «architecte», Ba M’hamed, est impressionnante. Un endroit qui a été minutieusement et poétiquement créé.

Contacté par Al Bayane, le propriétaire du café, Abderrahim Laakel, nous explique que les responsables de la mairie ont enlevé une partie de la terrasse après la réalisation d’une étude. Cette partie de l’édifice a été détruite parce qu’elle aurait été construite sans autorisation. Le café reviendra donc à son ancien look, avance-t-il. «C’est un lieu où les écrivains et les artistes d’hier et d’aujourd’hui se rencontrent. C’est une adresse très connue de tous les gens d’ici et d’ailleurs», ajoute le propriétaire.

En effet, le café Hafa n’est pas un simple lieu pour savourer un thé, un café ou une «bissara»; c’est un joyau architectural où des figures de proue du monde de la littérature, du cinéma, de la musique… venaient méditer à la vue de la mer, des vagues, et échanger autour des sujets à la fois d’ordre culturel, politique et social. Parmi les grandes signatures habituées à se rendre dans ce lieu mythique, on peut citer Paul Bowles, Jean Genet, Jack Kerouac, Antoine de Saint-Exupéry les Beatles, Mohamed Choukri et Sean Connery… La notoriété de ce lieu a dépassé les frontières marocaines. Revenons sur l’histoire singulière de ce café.

C’est en 1921 que le café a été fondé par Ba M’hamed. Un jeune pêcheur tangérois qui descendait au pied de la falaise pour pêcher ses poissons. Il la remontait et chaque fois, se disait : pourquoi ne pas créer un lieu pour permettre à ses amis de se rencontrer. C’est ainsi qu’il pensa à construire des terrasses sous forme d’escaliers et installa par la suite un café de pêcheurs. «C’était une petite niche pour les amis sous forme de ‘’chiringuito’’», comme on le dit en espagnol. C’était un café improvisé; au début, il n’y avait que deux terrasses. Petit à petit, le café a commencé à être connu et fréquenté par l’intelligentsia de l’époque, surtout dans les années 30», explique l’écrivain et dramaturge tangérois, Zoubeir Ben Bouchta.

A l’époque, Tanger était internationale. Il y avait beaucoup d’étrangers et de Marocains. Selon le dramaturge tangérois, à ce moment-là, différentes nationalités visitaient le café parce qu’il était un peu isolé de la ville. Un vrai refuge. «Le café Hafa représente une mémoire très riche et enrichissante tant au niveau culturel que politique. Tout le monde parle des visites et fréquentations du café par des écrivains étrangers, mais on oublie souvent d’évoquer la présence de l’intelligentsia marocaine arabe dans ce lieu», nous explique Zoubeir Ben Bouchta.  «Les nationalistes s’y retrouvaient pour organiser et coordonner la résistance nationale. Tout le monde se rappelle de la fameuse visite de Chakib Arslan au café Hafa avec les nationalistes en 1930», se souvient-il.

Le lieu a une mémoire intellectuelle et musicale. Le café, d’après Ben Bouchta, était une ruche de musiciens d’Andalousie. Il faut rappeler que les musiciens et artistes comme Moulay Ahmed Loukili, Mohamed Ben Larbi Temsamani, Chrif de Ouazzane qui présidait la célèbre association des amateurs de la musique arabe qui a été installée à Dar Dmana, y sont passés, souligne-t-il.

Le café est fascinant, tout d’abord par sa simplicité et son emplacement stratégique qui invitent à un voyage de méditation et de contemplation.  «Hafa est connu par son calme ; à l’époque, il était isolé de la ville, étant niché sur la colline de Marchen. C’est un lieu ouvert sur un autre monde. Il donne directement sur le détroit. Il se situe juste en face de toute une palette de patelins que l’on retrouve du côté espagnol. Ainsi, du Café Hafa, quand il fait beau et clair, on peut contempler à la fois «Djebel Moussa» et «Djebel Tariq». «Le café a une vue panoramique et stratégique. Quand on est au café, on oublie tout. C’est un lieu de méditation par excellence», fait-il savoir.

Zoubeir Ben Bouchta, qui est une figure culturelle de la ville, fréquente ce café depuis le début des années 80. A ce moment là, il y avait encore Ba M’hamed qui servait ses clients. «A l’époque, le café était une improvisation de la nature. Il y a un travail humain et artisanal.  Ba M’hamed a travaillé dans ce café et l’a créé à partir de ce qu’il a pu trouver. Il a joué sur les arbres et la verdure pour le plaisir des yeux. Il a utilisé la nature pour mettre en valeur ce lieu», indique-t-il.

«Aujourd’hui, quand je veux me rendre sur les lieux, j’y vais toujours le matin tôt pour prendre un thé, pour méditer et savourer le café Hafa de l’autre fois», confie-t-il. Le Café Hafa était un lieu privilégié par sa simplicité, sa modestie, ses tables et ses chats. Il ne faut pas oublier que cet endroit était rempli de chats. Chaque client qui s’y rendait le soir ou le matin ramenait quelque chose à donner aux chats. Il y avait également «lhssira lkbira» qui était réservée aux artistes jouant de la musique andalouse ou gharnati, nous explique-t-il.

Lieu artistique par excellence…

Des scènes de films et des documentaires ont été tournés dans ce café. «J’ai travaillé sur plusieurs documentaires et films de fiction qu’on avait réalisés au café Hafa avec Paul Bowles, Mohamed Choukri, Zefzaf, Mohammed Berrada Hamri le peintre, Arbi Yaakoubi. «Il ne faut pas limiter la liste des personnes qui visitaient Hafa à une classe spécifique. C’est un lieu qui était ouvert à tout le monde», affirme-t-il. Les écrivains arabes faisaient également partie des visiteurs prisés de ce café. «J’ai fait visiter le café Hafa à l’homme de lettres égyptien Youssef Idriss, le grand romancier égyptien Édouard Al-Kharrat, à Émile Habibi, avec Latifa Tijani et le poète égyptien Ahmed Chihaoui, à Hijazi et bien d’autres. Certains écrivains étaient attachés à cet espace comme Paul Bowles et les auteurs de la Beat Generation, William Burroughs, Mohamed Lmrabert», conclut-il.

Pour Stéphanie Gaou, créatrice de la librairie «Les Insolites» à Tanger, le café Hafa avait le don de réunir la jeunesse tangéroise et étrangère. Il mettait au même pied d’égalité autant les touristes, les gens qui connaissent bien Tanger et ceux qui ne la connaissent pas, explique l’auteure de «Capiteuses».  «C’est agréable de trouver un réel lieu de vie où les gens vont pour se décontracter, admirer la mer avec ce côté un peu de briques et de broc, mais joli. C’est un lieu de rendez-vous et d’inspiration», se réjouit-elle.

Le café Hafa comme bien d’autres sites et bijoux architecturaux font le prestige de la ville du Détroit et du Maroc tout entier. Mais leur protection et préservation font généralement défaut.

Mohammed Naît Youssef

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