Au Brésil où le vote est obligatoire, ce sont 147 millions d’électeurs qui se sont rendus aux urnes ce dimanche pour élire leur nouveau président avec l’espoir que ce scrutin apportera «le changement tant attendu» dans un pays que la corruption, le clientélisme et le népotisme ont plongé dans une profonde crise politique, une débâcle économique sans précédent qui a fait 13 millions de chômeurs et une spirale de violence endémique.
A l’issue du dépouillement de plus de 99% des urnes, les premiers résultats annoncés par le Tribunal Supérieur Electoral (TSE) ont donné la victoire au candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro, 63 ans, un ancien capitaine de l’armée devenu un «phénomène électoral» depuis qu’il avait échappé de justesse à la mort le 6 Septembre dernier quand un «envoyé de Dieu» – le Parti des Travailleurs, diront certains – s’était jeté sur lui un couteau à la main.
Bien qu’étant résolument « anti-establishment», nostalgique de la dictature militaire, raciste, misogyne et homophobe – ce qu’il n’a cure d’afficher – ce dernier a recueilli 48,12%. Et si ce score le place en tête lors de ce premier tour, il ne s’agit, pour ses partisans, que d’une victoire en demi-teinte puisqu’ils étaient pratiquement assurés qu’il allait obtenir une victoire écrasante dès le premier tour et qu’il ne sera pas besoin d’organiser une seconde manche. Persuadé de sa victoire il avait lui-même déclaré peu avant de glisser son bulletin dans l’urne : «Le 28 Octobre – date du 2ème tour – on va à la plage… ça va se terminer aujourd’hui». Erreur puisqu’il a été appelé à revenir devant les électeurs pour ce second tour fatidique qui l’opposera à Fernando Haddad, le candidat du Parti des Travailleurs (gauche) ayant recueilli 29,24% des voix. Ayant du mal à «avaler la pilule», Jair Bolsonaro évoquera des «problèmes avec les urnes électroniques» allant même jusqu’à déclarer: «Je suis certain que si çà n’avait pas eu lieu, nous aurions eu, dès ce soir, le nom du Président de la République (…).
Nous ne pouvons pas rester sans rien dire. Nous allons réclamer au Tribunal Supérieur Electoral des solutions». Il n’en fallait pas plus pour que ses partisans aillent en masse devant les bâtiments du TSE à Brasilia pour dénoncer la «fraude». Mais leur candidat les a appelé au calme, à la retenue et, surtout, à «rester mobilisés».
De son côté, le candidat de la gauche, Fernando Haddad, 55 ans, a déclaré qu’en soutenant le candidat d’extrême-droite le «Brésil court le risque de fouler au pied 30 ans de conquêtes sociales et démocratiques».
Mais il y a lieu de reconnaître, toutefois, que si le candidat de l’extrême-droite est parvenu à cultiver cette image d’«outsider» malgré sa longue carrière dans les rangs de l’armée et d’«homme providentiel» c’est parce qu’en «profitant» de l’exaspération des brésiliens qui ont soif de changement face à la corruption qui gangrène le pays, il lui a été possible de «surfer», avec une facilité déconcertante, sur la vague anti-PT, ce Parti des Travailleurs jugé responsable de tous les maux qu’a connu le pays et dont sont issus aussi bien l’ancien président Lula da Silva que sa protégée Dilma Roussef qui avait vu son mandat présidentiel écourté au profit de son vice-Président l’actuel chef de l’Etat Michel Temer.
Mais pour les électeurs de gauche, une victoire de Jair Bolsonaro «serait une catastrophe». «Beaucoup de jeunes qui votent pour lui ne savent pas ce qu’a été la dictature» s’émeut un vieil électeur du PT alors qu’un partisan du candidat d’extrême-droite dira que «le Brésil a besoin d’un changement. Il y a beaucoup de choses à faire que les autres n’ont pas faites, surtout dans le domaine de la santé».
Chico Alencar, candidat au Sénat pour le Parti Socialisme et Liberté (PSOL, Gauche) estime que celui que ses partisans surnomment «Bolsomito» (Bolso le mythe) et qui suscite engouement inédit et «un culte quasi-religieux» de la part de ses partisans, représente «l’opportunité pour l’extrême-droite ultra-réactionnaire et nostalgique de la dictature militaire, de sortir du placard et même de prendre le pouvoir !».
Ainsi, après que la gauche ait mis fin, en 1985, à la dictature militaire qui avait tenu le pays d’une main de fer depuis le coup d’Etat de 1964, il semble qu’un vieux capitaine nostalgique du pouvoir des « galonnés » soit sur le point de les y faire retourner. Y parviendra-t-il ? Rien pour l’heure ne permet d’en douter mais attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi