Eté 2016, suite à l’invitation d’E.B, ami originaire de La ville de Langon, j’ai eu l’occasion rarissime de visiter Malagar. Visite qui m’a permis de remonter le temps et d’accéder à l’univers intime de l’écrivain. Malagar, terme signifiant «mauvaise Garenne».
Ce dernier mot veut dire «domaine de chasse réservé». Ainsi entendu, la signification de ce terme laisse entendre que c’était là que l’écrivain, pour une chasse d’un autre genre, venait tendre ses attrapes-idées. La maison et ses environs donnent à voir un site exceptionnel qui domine la vallée de la Garonne, la ville de Langon et la forêt des landes. L’auteur bordelais, pour se ressourcer, s’inspirer et respirer l’air pur, s’y installait pendant, plus ou moins, de longs séjours.
Malagar représentait, pour lui, un havre de paix dans un cadre naturel, majestueusement, accueillant pour lire, méditer et écrire. Après le décès de de l’auteur, prix Nobel de littérature, les autorités françaises ont fait de sa demeure un centre culturel. Il se visite toute l’année. On y donne des conférences et on y tient des expositions. Les visiteurs de Malagar, dit aussi centre François Mauriac, accueillis en touristes littéraires, toujours assistés par un guide, s’y laissent transporter, en voyage à travers les méandres de la mémoire de l’écrivain. Au rez de chaussée, comprenant la cuisine et la salle à manger, on peut toujours voir certains objets que l’écrivain avait l’habitude d’utiliser.
Parmi les éléments qui permettent le plus d’évoquer la présence à l’auteur de L’agneau (1954), on peut voir aussi le canapé sur lequel il s’installait tout en simplicité. Outre les ustensiles de cuisine, la maison abrite une exposition dans la grande salle. On y fait étalage d’une grande partie des archives personnelles et familiales : Manuscrits, documents divers, lettres, pages de journaux, photos… Et enregistrements audio-visuels qui diffusaient quelques extraits de films des moments forts de la vie de l’écrivain.
Pour les amoureux des lettres, la visite de Malagar offre une belle opportunité pour se ressourcer, et de redécouvrir le parcours, dans le siècle, de l’auteur de Thérèse Desqueyroux (1927). Ainsi Malagar, maison de l’écrivain, demeure, non seulement, lieu de promenades et de flâneries, mais aussi, un vrai pole de documentation. Elle sert aussi d’outil pédagogique de médiation aux étudiants, français et étrangers. A l’issue de cette visite, deux détails restent marquants, pour moi. En premier lieu, parmi les objets et documents, exposés dans la grande salle, il y’a eu, tenu dans un cadre sans éclats, le portrait authentique du feu roi Mohammed V, à son coté, une médaille (sans doute avec laquelle le sultan avait décoré l’écrivain ), et, aussi, une page jaunie, du journal L’express, affichant, en gros caractères, ce titre «Faure a 24 heures pour dénouer la crise du Maroc».
En deuxième lieu, le moment singulier où je me suis assis sur le fameux banc de F. Mauriac. Dans un coin, retiré, ouvert sur une vue panoramique, donnant sur un paysage splendide où l’écrivain avait l’habitude de se retirer pour méditer. S’asseoir sur le banc du prix Nobel de littérature, s’avère un moment très symbolique. Ce grand homme de lettres, à la vie, apparemment tranquille à la surface, mais fortement agitée en profondeurs, incarnait ce qu’est coutume de nommer, dans la tradition littéraire arabe «Al Adib», une catégorie d’écrivains en voie de disparition, si ce n’est déjà, totalement, disparue.
L’originalité rarissime de ces écrivains disparus émane du fait qu’ils faisaient de la littérature leur «raison d’être» et non leur «raison d’avoir». Deuxième moment, Revisite de «l’image du marocain» dans les écrits de F. Mauriac. Hiver 2019, j’ai reçu de la part du même ami, E.B de Langon, le tome XIX, intitulé Bloc-Notes (1952-1957). L’un des volumes relevant de la série «Les chefs d’œuvres de F. Mauriac». La reliure simple et sans brillance de cet ouvrage lui donne l’apparence d’un livre saint.
Or, pour tous ceux qui ont lu les autres œuvres de l’auteur du Nœud de Vipère (1932), chez cet écrivain engagé : la sainteté, c’est la littérature, et vice versa. En guise d’ouverture, l’auteur mentionne que: «Ce bloc-Notes est né d’humbles circonstances». Ces propos laissent entendre, sans ambigüité, qu’il ne s’agit pas d’un travail de pure fiction, mais plutôt, d’écrits relevant du journal-mémoire de l’écrivain. Il ajoute : «Je notais tout ce qui occupait chaque jour un peu plus ma pensée. Avec mes idées, mes gouts, mes humeurs, les conditions d’une vie ordinaire, et chaque semaine, je réagis à l’histoire telle qu’elle se fait sous mon regard. Cet affrontement de l’individuel et de l’universel, c’est tout le Bloc-Notes». p. 3.
En effet, au sein de cet affrontement entre l’écrivain et le monde, l’histoire du Maroc, peuple et roi, a eu la part du lion. Ce Bloc-Notes retrace l’évolution de l’actualité qui avait prédominé tout au longs des années (1952-1957) au Maroc. Période marquant la phase la plus cruciale dans l’histoire de ce Maroc-là, en devenir. A travers, donc, ces notes retenues par la mémoire de F. Mauriac, le lecteur d’aujourd’hui peut revoir, d’un autre angle, les événements qui ont marqué, à fond, le Maroc d’hier. Cet examen doit procéder par un aller-retour, via le prisme intellectuel de l’écrivain, entre le présent et le passé.
Ce bloc-notes donne à lire beaucoup de renvois et de références au Maroc de cette époque. En priorité les noms de personnages historiques. Ce sont, dans leur majorité, des figures symboliques qui, naguère, dominaient et occupaient une place prépondérante dans l’actualité. Parmi ces noms, ceux de Mohammed Ben Yousef, Ben Arafa et Lyautey incarnaient les rôles de héros et anti-héros, tout au long du feuilleton, en noir et blanc, portant le titre de « Problème marocain ». F. Mauriac, depuis Malagar, recevait les échos de l’actualité autour du dit «Problème marocain».
A cette époque, Casablanca foyer des attaques et contre-attaques, entre marocains et colons français, vivait sous haute tension. Intellectuel indépendant, homme de lettres de convictions ayant pris parti pour la cause marocaine. F. Mauriac n’a pas échappé aux feux des offensives verbales, venues de son propre camp, quelques colons, dits aussi Français de Casablanca. Dans son bloc-notes, l’écrivain n’a pas hésité à publier certains extraits de ces missives qui le ciblaient. Dans ce bloc-notes, la partie la plus longue et significativement profonde, où l’auteur évoquait largement et le Maroc et le marocain, s’étalait sur les pages 19, 20 et 21.
Elle est datée du 6 Avril 1953. Les extraits qui suivent en sont des échantillons significatifs : «Seul à Malagar, dans un silence surnaturel, j’affronte enfin le courrier accumulé. Que de timbres du Maroc…».
Rachid Fettah