A la recherche du «POLITIQUE»: L’interminable transition

Entre défiance, rejet, méfiance et sollicitude, l’action politique, en décrépitude presque partout dans le monde, est en perpétuelle mutation. La mondialisation de l’économie et la standardisation des mœurs, accélérée par les nouvelles technologies de l’information et de communication, et surtout la forte sédentarisation des sociétés sont, selon plusieurs politologues, à l’origine de cette crise du politique. Une crise qui affecte la démocratie et fait le lit de l’autoritarisme sous toutes ses formes :  populisme, nationalisme et religion. Le démographe, historien et essayiste français Emmanuel Todd n’hésite pas à pointer du doigt la domination de la structure familiale : la famille nucléaire affaiblit l’individu face au pouvoir et anéantit ses capacités de résistance et de lutte pour défendre ses droits.

En fait, si les arguments et les explications ne manquent pas, le constat est incontestable. Les corps intermédiaires classiques, notamment les partis politiques et les syndicats, ne fédèrent plus les citoyens, notamment les jeunes. Le messianisme de gauche des années 60, 70 et 80 a laissé place à la démagogie portée par les courants populistes et religieux. Ces derniers font peu de cas des valeurs universelles de la démocratie, des droits humains et de la liberté. Leur cheval de Troie est quasiment le même : le développement économique, la compétitivité et une bonne place au classement sont dorénavant les priorités sacrées. L’enseignement, la couverture sociale, la santé publique, le système de retraite, l’égalité des chances, la liberté d’expression,  la justice pour tous … toutes ses valeurs sont reléguées au second plan. Qu’en est-il du Maroc?

Pour esquisser une réponse à  cette question, Al Bayane a donné la parole à la rencontre à des politologues et des hommes politiques, de différents horizons. Ils sont unanimes à reconnaître que notre pays ne fait pas exception à cette mouvance mondiale et la transition démocratique s’y éternise.

Najib Amrani

Le politique au Maroc entre blocages et mutations

Lorsqu’on nous avons décidé de réaliser ce dossier au sein de la rédaction d’Al Bayane, notre objectif  fut de lancer le débat sur le champ politique national en décortiquant ses points forts et ses faiblesses, loin de toute subjectivité. Notre ambition fut également de réagir tous les acteurs du champ politique national, notamment les partis démocratiques. Certains ont  décliné notre invitation pour des raisons quelconques, d’autres n’ont même pas pris le soin de nous répondre, mais  qu’à cela ne tienne!

En fait, de l’avis quasi unanime des intervenants, notre champ politique est malade et plusieurs pesanteurs socioculturelles freinent son développement, à telle enseigne qu’on ait l’impression que le projet de démocratisation du pays est renvoyé aux calendes grecques.  D’ailleurs, c’est les acteurs politiques qui l’affirment. Abdelouahed Souhail, membre du Bureau politique du parti du progrès et du socialisme (PPS)  est on ne peut plus clairs. Pour lui, ce qui se passe maintenant au sein du champ politique laisser amplement à désirer. En témoigne le fait le fait qu’une une bonne partie du gouvernement qui se mettait vent debout, dès l’entame de la mandature, contre le Chef du gouvernement, afin de décider contre son gré, déclare-t-il en substance.  Et ce n’est pas tout, car d’autre facteurs de blocages  persistent encore et toujours  et ont eu pour effet des taux de participation faibles. Je fais allusion à l’achat de voix, l’utilisation de l’argent d’une manière massive lors des campagnes électorales…Il faut dire que telles pratiques ne font que redouter les citoyens, ajoute-t-il.

Même son de cloche pour Abdelhamid Jmahri, membre du Bureau politique de l’Union socialistes des forces populaires (USFP), soulignant de son côté, qu’on vit actuellement une véritable dégradation de l’action politique, telle qu’elle est exercée par  les structures traditionnelles notamment les partis. Cela témoigne d’une grave crise de confiance, note-t-il en substance.  Evoquant  le cas de la gauche, le militant de l’USFP considère que  la gauche est malade à cause de son émiettement pathologique. Elle connait de plus en plus  une nette régression et cela risque même de s’aggraver dans les prochaines échéances électorales.

Même constat pour Bilal Talidi, membre du Conseil national du parti de la justice et de développement (PJD), considérant que le rejet de l’action politique par les citoyens est dû au fait que   l’Etat  dispose d’une position monopolistique du pouvoir et que la compétition politique est régit par des règles implicite et qui se situent parfois  en dehors du champ visible. Pis encore ! L’implication du  citoyen dans l’action politique  demeure occasionnelle voire saisonnière et se limite seulement aux échéances électorales, comme si les répertoires de l’action politique se limitent seulement à l’acte du vote, fait-il remarquer.

De son côté, Abdellatif Ouahbi, membre du Bureau politique du parti  authenticité et modernité (PAM), souligne qu’au Maroc, l’action politique a pour finalité la préservation de l’Etat. Il s’agit d’un préalable pour les décideurs.  Comme quoi, la mission des partis consiste juste à  meubler le décor. Comme quoi, la démocratie a été considérée comme une simple présence des élus dans l’enceinte parlementaire avec une marge d’action très limitée.

Quant à Najib Mouhtadi, politologue et professeur universitaire, le Maroc est dans une situation transitionnelle où il y a un peu de démocratie et un peu d’autoritarisme, une image reflétant une réalité alambiquée. En fait, persiste et souligne-t-il, la réforme du champ politique passe par des institutions fortes, responsables et comptables de leurs actes, des citoyens qui se prennent totalement en charge, en réapprenant la mission véritable de l’Etat, le respect de l’intérêt général, et surtout en accédant à la connaissance à la fois du fonctionnement de la société et du fonctionnement normal des institutions politiques.

Pour le politologue, Mustapha Sehimi, la réforme du champ politique passe par une pleine application de la Constitution et l’exercice par les différents organes de la plénitude de leurs attributions. Mais le plus important, affirme-t-il, c’est d’avoir volonté politique réformatrice et structurante…

Cela commande aussi que les nombreuses instances consultatives et de bonne gouvernance puissent assumer leur mission alors qu’elles sont marginalisées. Cela exige aussi davantage de démocratie interne au sein des partis où prévaut, ici et là, un modèle rentier, clientéliste, clanique aussi. Enfin, les partis doivent recouvrer leur autonomie de décision, assumer leurs décisions en toute responsabilité. C’est à cette aune-là que l’on pourra engager les profondes réformes attendues, avec des partis et des responsables justifiant d’une capacité d’incarnation et de portage. Retour à la politique: voilà le challenge. Elle seule assure et permet le nécessaire soutien populaire !

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Najib Mouhtadi, politologue et professeur universitaire

«Redéfinir les grands paramètres du système politique»

Professeur de science politique, Najib Mouhtadi souligne  que pour que l’action politique ait un sens dans le Maroc d’aujourd’hui, nous avons besoin d’une redéfinition des grands paramètres du système politique dans son ensemble. Et de souligner que la réhabilitation de l’action politique par la réforme de l’éduction, la redéfinition des bases de la socialisation de manière à forger de nouveaux citoyens qui rompent avec les avatars du passé et s’arment de nouveaux idéaux. Autrement dit, il faut que les citoyens sortent de la sphère du dénigrement et du déni, pour être dans la construction, le vivre ensemble et l’appartenance.

Al Bayane : L’action politique a-t-elle aujourd’hui un sens en l’état actuel du champ politique?

Najib Mouhtadi : Evidemment,  l’action politique a toujours un sens.  Elle demeure toutefois le résultat de l’interdépendance de variables multiples qui sont à la fois d’ordre endogènes et exogènes.  Ainsi, est-elle tributaire de plusieurs facteurs plus ou moins déterminants, notamment  les normes et règles régissant le jeu politique ou la culture imprégnant les élites politiques, entre autres. Autrement dit, le contexte socioculturel est une variable d’une importance cruciale pour appréhender le sens de l’action politique. D’ailleurs, ceux qui négligent la dimension politique dans l’analyse de tout système social quel qu’il soit, ont tort, car tout bonnement l’action politique est au cœur de tout système social, et détermine, d’une manière ou d’une autre, l’économique, le technologique, l’éducationnel, le social.  Dans la conjoncture particulière du Maroc, la raison recommande une redéfinition du politique en général et une nouvelle ingénierie de la répartition de l’autorité politique en particulier. Par autorité politique, il ne faut pas entendre seulement le chef de l’Etat ou du gouvernement ou le parlement. Il s’agirait là d’une grille de lecture simpliste, car en fin de compte, il y a imbrication d’autres «acteurs» tout aussi influents de la société politique. Pour que l’action politique ait un sens dans le Maroc d’aujourd’hui, nous avons besoin d’une redéfinition des grands paramètres du système politique dans son ensemble.

Selon vous, qu‘est ce qui explique le rejet de l’action politique par les citoyens?

C’est l’incompréhension de l’action politique auprès du grand public qui est à blâmer, elle engendre un hiatus abyssal entre les citoyens et l’univers politique. En fait, une large majorité de la population ne comprend rien aux véritables fonctions du gouvernement, ni quelle est la mission exacte de l’institution législative, quels sont les objectifs concrets d’une politique publique, etc. Il se trouve que le pays est embarqué sur un vaisseau de la démocratie chantée par tous, mais sans mode d’emploi !

On vit une grave crise de socialisation politique, synonyme d’incapacité des acteurs concernés, plus particulièrement les partis, à mener à bien leur mission ; à savoir, celle d’encadrer les citoyens. C’est l’incompréhension qui entraine souvent le rejet dont il est question. A cela s’ajoute un autre facteur, celui du déficit communicationnel dont font preuve les acteurs politiques et les médias autour de l’exécution des politiques publiques. Cela nous renseigne au moins sur les limites de la capacité d’action des partis politiques qui n’ont plus une emprise sur la réalité qui souvent les dépasse, révélant au grand jour le dysfonctionnement du système. Autre point non moins important, celui de la mobilité des élites au sein des partis politiques, qui laisse à désirer. Lorsque à titre d’exemple, un militant ambitieux cherche à devenir un acteur politique influent, ce qui est  d’ailleurs légitime, il se rendrait compte bien vite que son appartenance n’a aucun sens quant à sa promotion, au regard de facteurs de blocages structurels, dus à une culture politique autoritaire, patriarcale et clientéliste régissant le fonctionnement des partis politiques. Là, il remettra en cause sa propre adhésion et cherchera tout naturellement à emprunter d’autres parcours, d’où la filière technocratique qui a ses propres codes, ses propres protocoles et intermédiaires.

D’autre part, il faut reconnaître que les partis politiques n’ont aucune emprise sur la gestion du pouvoir politique. De ce fait, ils ne peuvent rien promettre à leurs adhérents et encore moins à leur base militante. C’est à partir de là, qu’on peut s’expliquer pourquoi ça coince souvent dans les instances partisanes.

 Pour cela, les partis qui se réclament d’émanation du pouvoir, ont plus de chances d’avoir un maximum d’adeptes dans leurs rangs, au contraire d’autres qui campent dans l’opposition classique. L’alternance s’apparente alors à un accident de parcours. On se rappelle à cet égard, comment ce principe a été malmené en 2002, et comment il peine depuis à s’ancrer dans les mœurs des uns et des autres.

Voulez-vous dire que l’offre des partis politiques n’est pas à la hauteur des attentes des jeunes?

Pour des raisons liées à leur existence précaire et indigente, les partis produisent un discours politique complètement désuet aux yeux des jeunes et ne va nullement de pair avec les mutations profondes que connait la société. Toutefois, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, car on ne peut pas adosser toute la responsabilité aux partis qui sont eux-mêmes victimes d’une évolution pas toujours saine. Ils se doivent néanmoins de mettre en œuvre de nouvelles approches idéologiques, de nouveaux modes d’action plus mobilisatrices, plus en phase avec les réalités nouvelles. Ils sont appelés à plus de présence sur le champ politique et socioculturel, plus d’implication dans le réel, en vue de formuler un discours smart qui réponde à l’air du temps, un discours intelligent  qui fédère et mobilise.  Comment faire ?  La tâche est ardue. L’idéologie capitaliste n’a plus le pouvoir de séduction aujourd’hui, vu sa férocité et ses effets pervers sur le bien-être collectif, d’autant plus que ses adeptes ne courent plus les rues. Le socialisme comme idéologie connait lui aussi, une régression depuis la chute du bloc socialiste, hormis quelques réussites de la social-démocratie… Que reste-t-il ? Le discours religieux qui ratisse large en instrumentalisant un langage accessible aux masses et auquel les partis conventionnels ne peuvent faire face.  Dans tout cela, les partis se doivent de se mettre en harmonie avec les nouveaux changements en élaborant un discours attractif et pragmatique. Malheureusement, ce travail n’est pas encore fait.

N’estimez vous pas que ce rejet s’explique également par une crise de représentation politique?

Comme je l’ai dit,  il y a un grave problème de socialisation. Pour être un peu plus clair, je dirais que beaucoup de gens ne savent même pas à quoi sert l’acte de voter ou le sens de l’opération électorale, confondent entre un parlementaire et un élu local. D’autres, en connaissance de cause affirment qu’ils ne sont point concernés par le jeu électoral ni par ses résultats, ni les institutions qui en sont issues, ce qui est un grave problème de société. La représentation de la société est  biaisée au départ. A cela s’ajoute un autre handicap institutionnel, celui de la faible représentativité de plusieurs catégories sociales. Je fais allusion aux jeunes et aux femmes… A titre indicatif, et malgré les progrès normatifs, on a du mal à  accepter l’idée de l’égalité des genres. Il faut dire qu’au Maroc, la conception du politique s’abreuve des valeurs culturelles dominantes qui se trouvent être conservatrices. On ne peut pas avoir une vision politique progressiste avec des valeurs passéistes et donc figées. Il en est de même en ce qui concerne les jeunes, une catégorie sociale souvent reléguée au second plan et qui restent foncièrement tournée vers le passé, au contraire d’une jeunesse progressiste des années 70. Que dire alors, si toute société a besoin de la fougue de sa jeunesse pour se développer!

Certains politologues estiment que la marge d’action du gouvernement est limitée et sa véritable responsabilité consiste à gérer un temps court contrairement  au temps long qui est stratégique, dévolu au roi. Qu’en pensez-vous?

Il faut admettre que la réalité est complexe, parfois têtue parfois insondable. Il y a eu énormément de changements dans le fonctionnement de notre système politique, mais également économique, religieux et moral… Les aléas structurels requièrent des politiques qui jalonnent un espace temps visible certes, néanmoins requérant plus d’anticipation, ce qui donne à la monarchie la capacité d’étaler toute sa lucidité et sa perspicacité à forger le temps. Le gouvernement en revanche, dispose d’une marge de manœuvre, certes limitée, mais conditionnée par des projets qui lui échappent en partie. Est-ce un handicap ?  S’il n’est pas souvent porteur d’un projet à long terme, il se doit au moins de corriger les manquements, les insuffisances et les lacunes des politiques publiques. Or, on constate que l’Exécutif étale au grand jour son incapacité à défendre ses idées, et qui manquent de  projets et de programmes concrets. Il a certainement du mal à accompagner des politiques publiques auxquelles il n’a pas participées, sachant qu’il dispose d’atouts pour le faire. Je fais allusion à plusieurs chantiers, tels le Plan Vert ou celui de Halieutis où plusieurs problèmes ont été soulevés, sans que cela ne suscite la moindre réaction de l’Exécutif, se contentant du rôle de spectateur, alors que rien ne lui interdit d’apporter au moins des correctifs, voire des solutions de dépassement…

L’anthropologue Abdellah Hammoudi a déclaré récemment que la transition démocratique a pris fin et qu’on est maintenant face à ce qu’il a désigné par autoritarisme gestionnaire »,  qu’en pensez-vous?

D’un point de vue académique, la transition démocratique ou transition tout court, c’est le passage d’un état A à un état B. Or, si on connait l’état A on ne connait pas l’état B, et il n’est pas dit qu’une transition se déroule en X temps. Affirmer que  la transition est finie n’a aucun sens à mon avis. Et d’abord, elle a commencé quand cette transition ? Le Maroc a connu depuis l’indépendance plusieurs phases de démocratisation du système politique, à commencer par les réformes politiques consécutives à la marche verte en 1975, puis les élections de 1977 en passant par les années 90 où le pouvoir a entamé un grand virage pour plus de démocratisation en adoptant une nouvelle Constitution par deux fois en quatre ans (1992-1996), et au final le gouvernement dit d’alternance consensuelle piloté par Abderrahmane El Youssoufi et qui devait ouvrir la voie à une ère nouvelle qui tarde à pointer du nez…

La transition démocratique n’est pas un processus linéaire et peut prendre fin en 20 ans ou 30 ans, selon les cas, mais ce n’est pas une règle. La transition n’est pas datée ni n’est-elle programmable. Elle dépend de plusieurs facteurs, et ne peut être que globale. Elle s’opère à plusieurs étages concomitamment, culturels, politiques, économiques,  éducationnels…

Si l’on prend uniquement le volet politique à titre d’exemple, nous sommes en mesure d’affirmer que la transition monarchique s’est passée dans des conditions optimales. Pour autant le système politique n’a pas vécu la transition tant attendue comme en Espagne ou au Chili, et on attend toujours une rotation normale des formations politiques et des élites, sur la base d’un texte constitutionnel et ses pratiques consacrées, qui favorisent l’alternance par les urnes.

Nous sommes dans une situation transitionnelle où il y a un peu de démocratie et un peu d’autoritarisme, une image reflétant une réalité alambiquée. S’agissant de « l’autoritarisme gestionnaire » évoqué par Abdellah Hammoudi, je pense qu’il a vu juste, puisque la société a montré ses limites, et les partis ont démissionné ou y ont été forcés de le faire. Peu importe, ils n’assument plus ou pas leurs fonctions. C’est pour cette raison que le pouvoir politique c’est-à-dire la monarchie s’est transformée en Manager en chef qui occupe une place centrale sur l’échiquier politique et économique invariablement. A tel point qu’aucun ministre n’est aujourd’hui capable d’assumer entièrement le fonctionnement de son département, revendiquer ses attributions, sans en référer aux instructions royales ! Bref, les partis politiques en l’état, ne disposent pas de la capacité de se transformer en de véritables acteurs politiques, à la fois autonomes du centre d’impulsion monarchique qui poinçonne la centralité au cœur du système, et de l’idéologie dominante laquelle minore à dessein le rôle des partis politiques et sape leur crédibilité.

Actuellement on parle d’un nouveau modèle de développement, alors que pour certains observateurs, la réforme politique est une condition sine qua non pour mettre en place un modèle de développement global et inclusif…

La panacée consiste avant tout, à redéfinir le sens de l’action politique. C’est vrai qu’il y a urgence d’un nouveau modèle de développement, mais il ne faut pas omettre qu’il s’agit d’une initiative royale, sachant que ce sont les partis politiques, la société civile qui devaient normalement le faire… Pour moi,  un nouveau modèle de développement se conçoit de manière globale qui prend en compte aussi bien le politique, le social que l’économique et le culturel. Ceux qui estiment que la réforme passe d’abord par le champ politique ont raison. A cet égard, il y a les tenants de la monarchie parlementaire qui voudraient plus de pouvoir entre les mains des représentants de la nation, et il y a les autres qui pensent que ce modèle ne convient pas au Maroc ou que la société n’y est pas encore préparée. Faut-il rappeler que la répartition des pouvoirs a été la pomme de discorde entre la monarchie et le mouvement national depuis l’indépendance. C’est dire que cette question reste en suspens.

Le plus important aujourd’hui, c’est de trouver une ligne médiane en l’adaptant au cas du pays, car, en fin de compte, le Maroc a sa propre histoire et nous nous sommes suffisamment outillés pour mettre en place notre propre modèle aussi bien politique (parlementarisme) qu’économique (industrialisation) et social (laïcité, égalité). Au lieu de se focaliser sur le modèle de développement avec une vision principalement techniciste, il faudrait commencer par le commencement c’est-à-dire redéfinir les bases de la participation politique et de la représentativité individuelle et spatiale.

Comment doit-on procéder pour opérer une véritable réforme du champ politique?

Il faut réformer l’éduction, redéfinir les bases de la socialisation de manière à forger de nouveaux citoyens qui rompent avec les avatars du passé et s’arment de nouveaux idéaux. Autrement dit, il faut que les citoyens sortent de la sphère du dénigrement et du déni, pour être dans la construction, le vivre ensemble et l’appartenance.

Toute réforme n’a de sens que lorsqu’elle aboutit à l’émergence d’un nouveau citoyen conscient de ses droits et de ses obligations, et cela commence à l’école. La réforme du champ politique passe par des institutions fortes, responsables et comptables de leurs actes, des citoyens qui se prennent totalement en charge, en réapprenant la mission véritable de l’Etat, le respect de l’intérêt général, et surtout en accédant à la connaissance à la fois du fonctionnement de la société et du fonctionnement normal des institutions politiques. Enfin réhabiliter le politique, c’est réhabiliter les partis et l’action citoyenne multiforme.

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Mustapha Sehimi, Professeur de droit, politologue

«Les partis doivent recouvrer leur autonomie de décision»

Pour le politologue, Mustapha Sehimi, la réforme du champ politique passe par une pleine application de la Constitution et l’exercice par les différents organes de la plénitude de leurs attributions. Mais le plus important, persiste et signe-t-il, c’est d’avoir une volonté politique réformatrice et structurante…

Al Bayane : Quels sont les facteurs déterminants qui expliquent aujourd’hui le désintéressement des citoyens à l’action politique?

Mustapha Sehimi : C’est vrai: la désaffection est certaine à l’endroit des partis politiques. Plusieurs facteurs cumulatifs poussent dans ce sens. Le premier a trait à l’insuffisance de l’encadrement qui se vérifie chez les jeunes, les femmes et dans d’autres forces vives.

Intervient aussi un autre facteur : l’offre partisane. Celle-ci est sans doute plurielle et on peut ici distinguer entre celle faite par des partis progressistes (USFP, PPS, PSU et FGD) et celle des partis dits « administratifs » (RNI, UC, MP et PAM). Les parcours historiques et militants des premiers les rendent-ils pour autant plus attractifs par rapport aux seconds ? C’est une question.

Un autre facteur doit être mis en relief: il porte sur la nature et la portée de l’action politique. Celle-ci pèse-t-elle réellement dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques ? Les véritables centres de décision ne sont-ils pas ailleurs, là où le contrôle démocratique fait défaut ? Référence est faite notamment à des centres de fait qui ont la haute main sur la vie économique nationale. Qui a contrôlé depuis plus de soixante ans la CDG qui n’a qu’un conseil de surveillance et qui n’est pas doté d’un conseil d’administration ? Qui a la haute main sur des offices et des entreprises publiques dont les conseils d’administration sont présidés par le chef de l’exécutif ? Le ministère des finances – avec les directions des impôts et du budget – n’exerce-t-il pas des attributions débordantes sur pratiquement les secteurs, le Chef du gouvernement ne pouvant pas arbitrer grand-chose?

La perte de la crédibilité des partis n’est-elle pas due à l’ingérence de l’Etat dans leurs affaires internes?

L’Etat peut-il rester neutre par rapport aux partis ou encore dans leur vie organique ? Difficile de le croire. Au Maroc, la pratique institutionnelle depuis l’indépendance est intéressante à rappeler. Globalement, elle tient à ceci : contrecarrer et réduire les partis issus du mouvement national (PI, UNFP/USFP, PPS) en mettant sur pied des partis dits « administratifs ». Ce fut le cas avec le FDIC, puis du RNI d’Ahmed Osman (1978), de l’UC de Maâti Bouabid (1983).

Cet interventionnisme de l’Etat dans la vie partisane s’est de nouveau prolongé avec le nouveau règne alors que l’hypothèse d’une non -immixtion était attendue et espérée, en rupture donc avec le précédent règne. Tel ne fut pas le cas partant avec la création du PAM en août 2008 par fusion de cinq petits partis. Voilà déjà de quoi s’interroger sur plusieurs points: cette fusion n’était elle pas le résultat d’une pression? N’est-ce pas l’expression, brut de décoffrage si l’on ose dire c’est-à-dire mal façonnée, d’une approche directive d’un certain agencement partisan. Par la suite, cette méthodologie s’est prolongée d’abord lors des élections communales de juin 2009 puis de celles de 2011, 2015 et 2016. Au fond, l’on a retrouvé dans la « recette » PAM un mode d’emploi du passé sans doute mais avec moins de traitement, de savoir-faire surtout que la société avait changé et que les réseaux sociaux aidaient à amplifier et à critiquer de telles pratiques.

Mais il y a plus. Référence est faite ici à un autre domaine où l’Etat est intervenu dans la vie interne de certains partis. Au RNI, comment ne pas citer le coup de force qui a destitué Mustapha Mansouri, alors président, en janvier 2010 pour le remplacer par Salaheddine Mezouar ? Pourquoi ? Parce qu’il était rétif, opposé même, à la mainmise du PAM sur son parti. Dans cette même formation, eut lieu une autre opération pratiquement comparable, le 12 octobre 2016, avec la « démission » du même Salaheddine Mezouar et son remplacement le jour même par Aziz Akhannouch qui avait suspendu son adhésion le 2 janvier 2012 et qui avait même déclaré en mai 2016 qu’il allait quitter la scène politique…

Pareille ingérence se retrouve encore du côté d’une autre formation de ce même lot des partis « administratifs », avec le Mouvement populaire. Mohand Laenser a été reconduit secrétaire général pour un neuvième mandat – il avait été élu en octobre 1986 – alors qu’il avait déclaré et bien avant le 11ème  congrès (juin 2010) qu’il ne serait plus candidat… Faute de profil consensuel au sein de la direction harakie, il n’y a pas d’autre option que son maintien. Preuve que l’Etat préfère gérer le statu quo faute d’avoir préparé le changement…

L’interventionnisme de l’Etat se limite-t-il à ce seul périmètre ? Pas vraiment. Ainsi une formation comme l’UC n’a pas d’autre latitude, semble-t-il, que d’être à la remorque du RNI, Aziz Akhannouche étant de fait mandataire, avec de pleins pouvoirs de négociation en son nom lors des tractations de représentation au gouvernement et partant contraint de s’aligner.  Il y a bien des états d’âme et de l’amertume dans les rangs des parlementaires de l’UC de Mohamed Sajid mais pas jusqu’à nourrir une fronde…

Enfin, il faut mentionner les rapports entre l’Etat et deux partis du mouvement national, le PI et l’USFP. Pour ce qui est de la formation istiqlalienne, la propulsion de Hamid Chabat à sa tête, en septembre 2012 durant cinq ans, jusqu’à octobre 2017, s’est-elle faite avec la « neutralité » de l’administration ? Personne ne peut sérieusement le soutenir.

Un tel casting devait faire pièce au populisme d’Abdelilah Benkirane, alors secrétaire général du PJD et Chef du gouvernement (janvier 2012 – octobre 2016). La même opération « populiste » ne s’est-elle pas faite en direction de l’USFP avec l’élection de Driss Lachgar, élu premier secrétaire, en décembre 2012. Réélu en mai 2017, des incertitudes se présentent quant à son statut au XIème congrès prévu en 2021. L’hypothèse de la mise sur orbite d’un profil comme celui d’Ahmed-Réda Chami, ancien ministre et président du CESE, est pour l’heure mise en avant sans que les conditions opératoires de sa réalisation soient certaines.

Avec le PAM, c’est pratiquement un concentré d’ingérence de l’Etat qu’il faut examiner. Ce parti a été créé par le pouvoir… Ce parti se heurte encore au moins à trois gros problèmes : le déficit de leadership avec cinq dirigeants depuis 2009; son contre-emploi en ce sens qu’il a été  rejeté depuis 2012 dans l’opposition alors qu’il devait avoir une vocation gouvernementale appuyée; enfin l’identité et la lisibilité de son offre programmatique, corsetée entre le PJD, le PI, le RNI, l’USFP et le PPS. Il s’est volontiers baptisé « Parti de l’authenticité », ce qui fait référence à des valeurs et des traditions lesquelles sont au cœur du référentiel de formations comme le PJD, le PI ou le MP et ce suivant des déclinaisons propres à chacun de ces partis. Il a aussi accolé à ce terme celui de « modernité »; mais là encore, ce socle est assumé et porté notamment par deux partis aux références historiques que sont l’USFP et le PPS. Quelle peut être la valeur ajoutée du PAM dans ce champ-là ? Dix ans après sa création, ce parti du tracteur a-t-il pu capitaliser peu ou prou quelque apport particulier dans la défense et illustration d’un projet de société moderniste ? Au lieu de renforcer les forces progressistes, son bilan n’est-t-il pas plutôt celui de la division et du brouillage ?

L’anthropologue Abdellah Hammoudi a déclaré récemment que la transition démocratique a pris fin et qu’on est maintenant face à ce qu’il a désigné par autoritarisme gestionnaire», qu’en pensez-vous?

La Constitution de 2011 a constitué de grandes avancées, mais la pratique institutionnelle depuis neuf ans a-t-elle permis de consolider ces acquis consacrés dans le texte constitutionnel?

Le « nouvel autoritarisme gestionnaire » évoqué par Abdellah Hammoudi n’est pas à écarter. Qui décide? Qui arrête les grands chantiers? Qui priorise les réformes ? Et qui les accompagne par des impulsions, des recadrages et le cas échéant sanctionne les responsables publics chargés de leur mise en œuvre? C’est le Roi! Mais pourquoi le système fonctionne-t-il ainsi alors que les acteurs ont des responsabilités et des mandats tant au niveau national que local?

De fortes pesanteurs culturelles et politiques poussent certainement dans ce sens lesquelles font une large place encore à un principe prégnant de verticalité :  » On attend un signe d’en haut, une directive… » Une retenue qui se conjugue à de la frilosité. Du côté du méchouar, on explique volontiers l’interventionnisme et l’autoritarisme si nécessaire parce que les acteurs institutionnels sont défaillants… Une équation fermée qui ne permet pas d’intégrer un cercle vertueux où ceux-ci assumeraient la plénitude de leurs attributions. En somme, c’est le primat d’une régulation arbitrale et s’il y a lieu décisionnaire : elle fonctionne dans le système partisan – on l’a évoqué – mais aussi dans le système étatique et ses multiples démultiplications dans le secteur public et semi-public.

A maintes reprises, vous avez critiqué l’action du gouvernement, mais plusieurs analystes considèrent qu’il y a deux temps de la politique au Maroc Un temps long, stratégique, dévolu au Roi et un temps court, celui du gouvernement. Peut-on asserter que la marge d’action du gouvernement demeure limitée par des contraintes institutionnelles?

Il y a effectivement, à un premier niveau d’analyse, un temps long et un temps court dans la vie politique nationale. Le temps est celui de la monarchie, du règne ; le temps court, lui, relève du calendrier électoral, législatif, lié à une mandature. La marge d’action d’un gouvernement est-elle limitée parce qu’elle s’insère dans une législature de cinq ans comme c’est le cas aujourd’hui ? Ce n’est pas évident. Pour revenir à l’histoire, le cabinet Abdellah Ibrahim avec Abderrahim Bouabid n’a duré que dix huit mois (décembre 1958 – mai 1960) et il a entrepris de grandes réformes pour doter le Maroc indépendant de grands leviers économiques. Le cabinet El Youssoufi, pourtant à l’étroit dans une formule gouvernementale particulière, a aussi marqué des changements éligibles à un processus de transition démocratique resté cependant inachevé. Les gouvernements Jettou et Abbas El Fassi ont eux aussi, engagé des réformes contrariées cependant par la crise financière 2008-2009.

En ce début 2020, y-a-t- il de nouveaux termes de référence quant à la latitude d’action du gouvernement ? Tout paraît se passer comme s’il y avait une double grille de lecture et d’évaluation. La première a trait à l’action royale, la seconde regarde le gouvernement. Les grands chantiers structurants ont été entrepris par le Souverain. Il est reproché au gouvernement de Benkirane et d’El Othmani de n’avoir pas réussi à les accompagner dans des conditions optimales. Mais a-t-on doté l’Etat des moyens et des leviers efficients pour assurer l’optimisation des politiques publiques d’une année sur l’autre?

Selon vous, quelle est la porte d’entrée principale pour réformer davantage le champ politique au Maroc?

Réformer le champ politique ? Il faut du volontarisme ! Est-ce le cas ? Cela passe par une pleine application de la Constitution et l’exercice par les différents organes de la plénitude de leurs attributions. Cela commande aussi que les nombreuses instances consultatives et de bonne gouvernance puissent assumer leur mission alors qu’elles sont marginalisées. Cela exige aussi davantage de démocratie interne au sein des partis où prévaut, ici et là, un modèle rentier, clientéliste, clanique aussi. Enfin, les partis doivent recouvrer leur autonomie de décision, assumer leurs décisions en toute responsabilité. C’est à cette aune-là que l’on pourra engager les profondes réformes attendues, avec des partis et des responsables justifiant d’une capacité d’incarnation et de portage. Retour à la politique: voilà le challenge. Elle seule assure et permet le nécessaire soutien populaire !

Mais de quelle politique faut-il parler en dernière instance ? Ni les règles de jeu ni les formes d’action actuelles ne paraissent être les plus opératoires. La fonction traditionnelle des partis est d’encadrer les citoyens, de prendre en compte la multiplicité de leurs demandes, de leurs attentes et de leurs aspirations; puis de les agréger et de les structurer pour en faire des propositions de politiques publiques pouvant peser sur l’action gouvernementale. De deux façons : soit au sein d’une majorité, soit comme opposition pour en faire un domaine d’interpellation voire de censure. Un tel schéma est disons « institutionnel », décliné autour du suffrage, de résultats, d’alliances majoritaires de soutien à un gouvernement. Mais si ce modèle est toujours valable, il fonctionne à côté – voire même en face ou contre ? – d’un univers digital qui, lui, est régi par d’autres règles, Qu’y trouve-t-on ? Un cadre d’expression d’internautes à travers les réseaux sociaux – on en compte quelque 18 millions… Avec quel contenu? De tout et n’importe quoi, sans doute, mais aussi un nouveau statut d’un citoyen digital, généralement anonyme, qui s’exprime, dénonce…

Les partis sont pratiquement décalés par rapport à cette nouvelle forme de communication ; ils sont souvent à la remorque des réactions du monde numérique, peu réactif donc et partant considérés comme défaillants dans la représentation des droits et des intérêts des citoyens. Combien d’affaire ont été médiatisés dans les réseaux sociaux et réglées d’une manière ou d’une autre par les partis politiques formant la majorité! C’est dire que les partis doivent s’adapter à ces changements. Comment ? En utilisant eux aussi tous les moyens du numérique, en activant et en actualisant le flux de leurs sites électroniques, enfin en élargissant leur base électorale. Mais il y a plus encore dans la perspective d’une réforme du champ politique. L’ossature devrait être la qualité, la représentativité et la dimension du système partisan. Une restructuration s’impose à l’évidence à cet égard. De temps à autre, le discours officiel y fait référence – de moins en moins d’ailleurs… L’on compte aujourd’hui 34 partis, alors que l’on en décembre qu’une vingtaine voici deux décennies. Pourquoi un tel processus de balkanisation ? N’est-il pas voulu parce qu’une thèse sujette à caution prégnante ici et là, considère que le renforcement de la monarchie doit s’accompagner de l’affaiblissement des partis, a fortiori de ceux héritiers du mouvement national. La revitalisation des partis peut être activée par des mesures techniques comme le scrutin majoritaire à deux tours qui pousse à des alliances et à terme à des pôles. Le relèvement du seuil de représentation est également une piste à étudier. Mais il reste pour tout cela un pré requis: celui d’une volonté politique réformatrice et structurante.

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Abdelouahed Souhail, membre du Bureau politique du PPS

«Le champ politique a besoin d’un minimum de fair-play»

Pour Abdelouahed Souhail, membre du Bureau politique du parti du progrès et du socialisme (PPS), l’action politique n’est pas seulement d’organiser des élections et de nommer des ministres, loin s’en faut ! En fait, sa finalité consiste à résoudre des problèmes tout en étant à l’écoute des citoyens. Cela exige une démarche d’empathie, insiste-t-t-il.

Al Bayane : Quels sont les facteurs qui expliquent le rejet des citoyens de l’action politique?

Abdelouahed Souhail: Il faut situer le débat dans le contexte historique. En fait, depuis l’indépendance, il y avait un intérêt assez fort pour la politique en tant que mode d’action. Dans un cadre de pluralisme politique, déjà installé, les questions qui taraudaient l’esprit de l’opinion publique, portaient essentiellement sur la problématique du pouvoir et la forme démocratique que doit prendre la monarchie marocaine, le rôle des partis politiques et le modèle de développement que doit emprunter le pays. Ce fut un débat qui reflétait la conscience profonde des acteurs des impératifs du développement du pays. Mais, cela n’a pas duré longtemps.  La période des années sombre qui a prévalu tout de suite après 1962 a anéanti les rêves du courant démocrate et progressiste. En dépit de l’adoption de la première Constitution,  il y avait un reflux de la scène publique, qui fut marquée par des contestations populaires, des coups d’Etats, la proclamation de l’état d’exception, entre autres. Cela a débouché sur une période de  forte pression où la liberté d’expression a été bâillonnée et une méfiance aigüe s’est installé entre le pouvoir et les partis politiques nationaux et qui ont perdu toute emprise sur la vie politique, qui fut  réduite à sa plus simple expression. Les gouvernements n’étaient, en faite, qu’une façade. Il faut dire que la question du Sahara marocain a déclenché un consensus national. La dynamique enclenchée par le pouvoir a permis le retour de plusieurs partis à la scène politique. Je rappelle que le parti communiste marocain a été interdit définitivement en 1964, puis le PLS en 1968, soit un an après sa création et l’USFP en 1972. Il a fallu donc attendre l’année 1974 pour permettre aux partis de gauche  d’avoir une vie dans la légalité. Entre temps,  la répression n’a pas épargné la gauche radicale. A partir de la marche verte,  on est rentrée dans un processus démocratique.

Ce processus consistait à obtenir plus de libertés en matière d’action pour les partis démocratiques.  On est alors passé par un certain nombre d’expériences électorales et constitutionnelles pour arriver  à ce que l’on a qualifié de gouvernement d’alternance dirigé par Abderrahmane El Youssoufi. On croyait que ce fut   l’aboutissement d’un processus démocratique.  Cette expérience qui a commencé en 1998, quelques mois avant  le décès de Feu Hassan II,  s’est prolongée avec son successeur, SM le Roi  Mohammed VI. Cependant, après les élections de 2002,  le Maroc s’est doté d’un gouvernement qui n’avait pas respecté les termes de la méthodologie démocratique, selon l’expression utilisée par Abderrahmane El Youssoufi,  étant donné que le parti de  l’USFP est sorti vainqueur des urnes. Pour plusieurs observateurs, c’était-là un premier couac, voire un recul.  En 2011, nous avons eu droit à une nouvelle Constitution très avancée par rapport aux textes précédents. Puis l’installation d’un gouvernement composé du PJD, le PPS, le PI  et le MP. La sortie  fracassante du PI a rendu la situation plus confuse et on se demandait s’il y avait vraiment de bonnes raisons qui puissent pousser un parti national à agir de la sorte.

En tout état de cause, on a commencé à sentir des perturbations après la création du PAM, un  parti qui se targuait comme l’ennemi juré des islamistes, prétendant puiser son référentiel dans l’idéologie moderniste ou  traditionnelle. Le mauvais souvenir de la création du FDIC a refait surface…

Des créatures qui  jaillissaient de nulle part mais venues certainement de quelque part. Cela étant, le doute commençait  a gagné les démocrates avertis après la création du PAM  se posant la question si le Maroc aura une vie politique normale.

Les partis assument-t-ils une certaine responsabilité?

En fait, autre facteur expliquant le hiatus entre le citoyen et la scène politique, réside dans le fait que les partis politiques n’ont pas encore réussi à avoir un ancrage solide  dans la société. A cela s’ajoute le phénomène du nomadisme politique qui est synonyme de la dépravation politique et décrédibilise l’action politique de tout sens. Il s’agit d’une transgression flagrante de l’engagement moral liant l’élu aux électeurs. Ce type de pratique malsaines, émanant de certains partis,  provoque la défiance  des électeurs et déroute les citoyens les plus bienveillants, n’en parlons plus de ceux qui disent que le jeu est faussé  dés départ. Des facteurs de blocages qui persistent encore et toujours  et ont eu pour effet des taux de participation faibles. Je fais allusion à l’achat de voix et l’utilisation de l’argent d’une manière massive lors des campagnes électorales. Qui plus est, le mauvais  fonctionnement des institutions et la lenteur en matière de prise de décision a créé la confusion.  Ce qui se passe maintenant au sein du gouvernement El Othmani  en est un exemple frappant. En témoigne le fait qu’une une  bonne partie du gouvernement qui se mettait  vent debout, dès l’entame de la mandature,  contre le  Chef du gouvernement,  afin de décider contre son gré. A cela s’ajoute également l’interférence des rôles et les chevauchements des compétences. Au final, c’est les citoyens qui sont victimes de tels agissements. Grosso modo, l’action du gouvernement est handicapée par les divergences entres ses différentes  composantes. Autrement dit, on ne sent pas que l’Exécutif est porteur d’un projet. Et la preuve qu’on est entrain de discuter du nouveau modèle de développement  en dehors de la sphère gouvernementale.

Cela veut dire que les partis ne disposent  pas d’une offre politique?

En fait, c’est la  pratique politique qui laisse à désirer. A quoi sert la politique ? Il ne s’agit pas seulement d’organiser des élections et nommer les ministres, loin s’en faut ! Sa finalité consiste à résoudre des problèmes …Un véritable système démocratique consiste d’être à l’écoute des citoyens, mettre en place des solutions selon le besoin de la population.  Ainsi, une démarche d’empathie s’impose. De son côté, l’élite politique,  notamment les partis et les policy Makers, doivent s’atteler à encadrer les citoyens, en les amenant par la pratique à adhérer au projet démocratique et non pas les marginaliser. En fait, la démocratie c’est un processus d’apprentissage. Dire alors que les cadres d’actions politiques (partis politiques, parlement, gouvernement..) ne servent à rien, cela relève du nihilisme et laisse la porte ouverte sur toutes les aventures…

Il faut dire que le politique a toujours sa place dans le fonctionnement des Etats. Un Etat fort, qui se veut démocratique,  a besoin des relais fort, qui portent son message, le mettent en pratique,  des hommes politiques honnêtes et crédibles qui lui donnent conseils…

Le Secrétaire général du PPS a appelé «à laisser le jeu se faire normalement», sommes-nous alors devant un champ téléguidé?

Un champ politique doit être, en principe,  régulé par des lois et valeurs. Cela ressemble presque aux règles de la pratique du football. Autrement dit, il faut que le jeu se fasse avec fair-play. Cela ne peut se faire sans le respect des dispositions de la Constitution, la consécration de la volonté des partis politiques et de faire en sorte que les acteurs ne violent pas les règles du jeu. On ne peut pas gérer une société avec un mélange de genres entre business et politique ou religion et politique ou avec la puissance…D’où la nécessité d’installer le débat.

Quelles sont les autres faiblesses qui caractérisent le champ politique?

Je crois que nous avons vécu  une transition démocratique qui n’a pas abouti. C’est la principale observation que nous pouvions faire.

Dans un pays où  il y a des élections et des lois,  il faudrait veiller à les appliquer correctement. En fait, la non-application des lois ne ferait  qu’engendrer les déviances et les dérapages. On ne doit pas à autoriser des gens à intégrer le champ politique parce qu’ils ont de l’argent ou parce qu’ils ont de l’influence ou encore parce que quelqu’un  dans les rouages de l’Etat leur apporte son appui.  Aujourd’hui,  vous sollicitez les citoyens  pour aller voter, ils vous rétorquent que cela n’a aucun d’importance.  Je pense que c’est la pire des choses que peut avoir un système : une telle situation laisse la porte ouverte à la démagogie et le populisme… En principe, les élections doivent incarner le réel choix des citoyens pour que leurs attentes soient  prises en charges. C’est la principale équation à résoudre dans le processus démocratique marocain.

Beaucoup de politologues qualifient le système politique marocain «d’autoritarisme électoral», qu’en pensez-vous?

Il faut admettre que nous avons vécu des processus électoraux biaisés, qui ont eu lieu dans le cadre d’un rapport de force. Mais, à mon avis, il faut réfléchir sur les mécanismes pour aller de l’avant et poser les questions qui s’imposent : comment améliorer la performance de notre système ? Faut-il partager le pouvoir ou ne pas le partager et comment?  Est-ce  d’une façon totale ou partielle ? Avec des gardes fous ou  sans gardes de fous ? Voila quelques problèmes sur lesquelles doit  s’y atteler notre réflexion.

Encore faut-il souligner que la politique est un champ de confrontation et d’intérêt. Et les partis sont des organisations d’encadrement des citoyens mais  des organisations qui sont là pour réaliser un programme sinon à quoi sert leur existence?

Notons par ailleurs, que le combat politique menée par les partis démocratiques se déroule dans un champ contraint par certains pesanteurs socioculturelles, propres à notre histoire tel le groupe « Jmâa » ou la tribu traversée par des confréries. En fait, nous sommes une nation encore en processus de formation. La démocratie sert à aller de l’avant et développer le sens d l’appartenance à la nation.

Et ce n’est pas tout, étant donné qu’il Il faut  composer avec une réalité accablante du social : misère, analphabétisme, inégalité devant les chances,  situation de la santé…

Considériez-vous alors que la dimension politique est importante pour élaborer un nouveau modèle de développement?

Le modèle de développement doit être conçu sur la base d’une approche politique, économique, social et culture.  Nous avons affaires à des êtres humains avec des besoins complexes.

Il ne s’agit pas d’avoir un PIB  qui augmente de 9% mais en En contrepartie, seulement 1% de la population s’accapare de 8%.

Un projet de développement doit prendre en considération la question des libertés et des rapports entre gouvernants et gouvernés,  qui sont des conditions sine qua non pour la construction d’une nation développé.

L’heure est alors au bilan. Donc, il faut s’affranchir des approches techniques et des modèles prêts à porter. Durant plusieurs années, ils n’ont cessé de dire que l’Etat doit faire des économies pour encourager l’investissement, il faudrait instaurer la paix sociale ou encore le libéralisme est la meilleure solution…On aimerait savoir où tout cela nous a  menée, surtout avec un taux de croissance faible, fort endettement et une précarité accrue. Aussi, il faut mettre l’accent sur le fait que la perception de la précarité  auprès des Marocains a totalement changé. Les besoins du Marocain de 2020 se situent aux antipodes du Marocain de 1990. Il a une inspiration à vivre beaucoup mieux.

Quelles sont alors les préalables pour la réforme du champ politique?

Je pense qu’il est  temps de s’atteler à la réflexion sur l’expérience du processus démocratique que nous avons vécu y compris en ce qui concerne  les 20 dernières années. Il faut que l’on puisse réfléchir sur les avancées et les facteurs de blocages et voir dans quelle  mesure nous puissions mettre au rebut de l’histoire  tous   ce que de nous avons vécus : élections truquées, élus totalement véreux, une pratique politiques en-deçà des attentes… Je pense également  que le monde de scrutin doit être revu : quel type de l’élu nous voulons avoir ?  Il faut procéder à une évaluation de l’expérience de la liste nationale des femmes dont leur apport à l’amélioration de l’action de  l’institution législative fut très intéressant. Même constat pour la liste nationale des jeunes. Bref, il faut repenser le mode de scrutin dans le cadre d’une intelligence collective, d’une manière sereine responsable, et hors des périodes électorales.

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Abdellatif Ouahbi, membre du Bureau politique du PAM

«La démocratie au Maroc vit une tragédie»

Pour, Abdellatif Ouahbi, membre du Bureau politique du PAM et candidat au poste du SG du parti,  estime que L’Etat ne pourrait  être fort que par des partis forts. Cela requiert d’insuffler un nouveau souffle à la vie politique.  La raison recommande, ajoute-t-il  de respecter la volonté des partis politiques et de renforcer les partis politiques démocratiques à savoir l’USFP, le PPS et le PI  sinon la démocratie serait un danger.

Al Bayane : selon vous,  la politique a-t-elle encore un sens au Maroc?

Abdellatif Ouahbi : la politique en tant que  mode d’action civique se situe au cœur de fonctionnement de toutes les sociétés. C’est l’essence de l’existence des communautés. Il s’agit d’une aberration d’affirmer que l’action politique n’a plus de place aujourd’hui au sein de l’espace public. Comme dit, l’adage, les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques,  et ce contrairement à certaines idéologies simplificatrices qui prédisent « la fin de la politique ». En principe, l’acteur politique se situe en première ligne de la société. Son véritable rôle consiste à piloter les projets de développement, l’élaboration et l’adoption des lois, gérer la chose publique, résoudre les problèmes des citoyens, en lui confiant, à travers l’acte du vote, une légitimité électorale.

Malheureusement qu’on est loin  de cette acception de la pratique politique. Il faut dire qu’au Maroc,  cette dernière a pour finalité la préservation de l’Etat et son pérennisation. Il s’agit d’un préalable pour les décideurs.  Comme quoi, la mission des partis consiste juste à  meubler le décor.

Nous s’efforçons à trouver un modus vivendi pour la gestion de l’espace politique, en s’inspirant des expériences des pays ayant une longue tradition en matière de la démocratie, mais notre champ politique  demeure imprégné par un ensemble de contraintes  historiques, traditionnelles et culturelles, qui se situent aux antipodes de la démocratie. Parfois, des conflits surgissent entre les principaux acteurs du ce champ politique où chacun veut imposer sa domination.

Comment expliquez-vous la défiance des citoyens par rapport à l’action politique?

En fait, il n’y a pas de rejet de la politique, loin s’en faut.  La réalité, c’est qu’il y a une défiance vis-à-vis des hommes politiques. Il faut reconnaitre que, parfois, nos politiques commettent des actions insensées et versent dans les dérapages,  ce qui vide l’action politique de son sens le plus noble. Notre champ politique, ressemble à  une sorte d’un méli mélo, marqué par un « désordre idéologique », où on  assiste à des conflits interminables, entre les tenants des idées positivistes et des défenseurs d’un projet moderniste de la société et les partisans des idées théologiques, ce qui ne fait que rebuter les citoyens en leur procurant un sentiment de dégoût.

Plus précisément,  quelle évaluation faites-vous de l’action politique au Maroc?

En toute franchise, ce qui caractérise le comportement des hommes politiques au Maroc, c’est qu’ils parlent beaucoup en tenant des discours vides au lieu d’agir efficacement.  D’une manière plus claire, l’homme politique au Maroc, afin de convaincre les citoyens, recoure à des pratiques trompeuses,  en  communiquant  plus autour de sa personnalité au lieu de débattre des idées et des projets sociétaux. Cette  personnification de l’espace politique a décrédibilisé l’action publique, sachant que le véritable rôles des acteurs, à savoir les partis,  consiste à encadrer les citoyens,  apporter des solutions et être une véritable force de proposition.

Il faut reconnaitre que notre classe politique est frappée aujourd’hui par une corruption morale, ce qui véhicule  une image négative auprès des citoyens. En termes plus clairs, les partis politiques  sont devenus symbole de la corruption. Il devient une évidence, après chaque échéance électorale, que   le nombre d’électeurs enregistre de plus en plus une nette régression. En fait, les hommes politiques et les institutions sont vus comme un objet «suspect».  Certainement, Cela traduit une grave crise de confiance.

Aussi, autres problématiques qui se posent aujourd’hui avec acuité, portent sur le rôle de l’homme politique dans l’élaboration des politiques publiques. Les Etats du monde arabe, sont  encore en quête d’institutions fortes qui sont dotées d’une légitimité rationnelle. Or, force est de constater que  la marge d’action des politiques demeure restreinte si ce n’est quasi inexistante. 

En principe, la relation entre le politique et le citoyen devrait être régit par  le diktat des urnes afin de donner sens au principe de la responsabilité et la reddition des compte.

Vous entendez que le politique a un rôle de second plan?

La réponse ne peut être qu’affirmative. Je fais allusion au modèle de développement. Comment peut-on aujourd’hui concevoir un modèle de développement dans une société ou les partis politiques ambitionnent d’avoir un rôle, élaborer des programmes et assumer, par conséquent, leurs responsabilités devant le peuple ?

 Sur quelle base, ce projet va engager un gouvernement censé présenter un programme devant les élus ? A mon avis, cela ne m’engagerait en rien si je faisais partie du gouvernement.  Pour moi, ce projet relève d’un registre de recommandations que j’ai toute latitude de le prendre en considération ou non, une fois au gouvernement. D’ailleurs, un projet de développement doit refléter l’intelligence collective de toutes les composantes de la société. Or, cela n’a aucun sens le fait d’assiéger le politique dans les lois cadres ou des projets déjà établis. A partir de ce constat on comprend pourquoi le gouvernement est incapable de remplir son contrat. Sa faiblesse s’explique par le manque d’un programme ambitieux et stratégique tout en restant plongé dans la gestion des affaires courantes. En plus, le gouvernement est déchiré par un antagonisme entre ses différentes composantes. C’est un gouvernement créé en dehors du cadre gouvernemental. Maintenant, il y a un gouvernement au sein du gouvernement. Une simple question : quel est le lien entre El Othmani et le ministère d’Habitat ou celui du Tourisme ? Sur quelle base on va responsabiliser les ministres technocrates?

Le Maroc s’est engagé dans un processus démocratique depuis plusieurs années, considériez-vous qu’on a pu réussir ce pari?Je dois souligner d’abord que l’homme politique est victime d’une certaine pensée conservatrice… Cette pensée conservatrice a créé même au sein de l’Etat un courant conservateur qui a été contraint  à recourir  aux mêmes outils utilisés par les conservateurs, en interdisant la liberté d’expression, l’ingérence… En fait, depuis 1975 où l’Etat a décidé d’entamer «un processus démocratique», la démocratie a été considérée comme une simple présence des élus dans l’enceinte parlementaire avec une marge d’action très limitée. Cela étant, le représentant de la nation est relégué au second plan quand il s’agit de prendre une décision stratégique, comme si sa présence n’est que pour servir une démocratie de façade. Encore pire ! Une fois la crise se  déclenche,  on commence à se lamenter en jetant la responsabilité sur les partis politiques, en les taxant de tous les maux, les traitant comme incapables d’élaborer des programmes.

En principe, l’Etat doit œuvrer à renforcer les partis politiques. Idem pour ces derniers qui sont tenus de leurs parts à renforcer l’Etat en moments de crise. La démocratie est une relation dialectique entre Etat et société.

En fait, l’acception de la démocratie souffre d’une déformation et d’handicapes institutionnels, qui sont un véritable facteur de blocage. D’une manière plus claire, il faut reconnaitre  qu’on vit une tragédie de la démocratie.

Est-ce que cela soulève un problème de représentation politique?

Evidement oui. Avant, l’Etat planifie la marge d’action des Hommes politiques et que sa mission consistait à trouver un certain équilibre entre l’ensemble des acteurs du champ politique.

Maintenant, les choses  ont changé.  L’Etat ne délimite plus la marge d’action des élus. C’est les politiques qui se sont approprié ce rôle en pratiquant l’autocensure.  En tant que membre d’un parti compté sur les rangs de l’Etat, je me trouve parfois devant un dilemme lorsqu’il s’agit de défendre la liberté d’expression dans des affaires portant sur les symboles de l’Etat. Si on continue sur cette lancée, les partis politiques sont menacés de disparation.  D’ailleurs, on observe que dans presque  les Etats du monde arabe, tous les partis, notamment ceux qui sont proches du pouvoir se sont effondrés.

N’estimiez-vous pas que la création du PAM a porté un coup fatal au processus démocratique?

Cela est possible. Mais, si on inverse l’équation, qu’est ce qui aurait changé substantiellement dans le champ politique si le PAM n’existait pas ? A mon avis, pas grand-chose.  Quand même, le PAM, considéré comme un appareil de l’Etat, a réussi à bloqué les conservateurs,  en instaurant un certain équilibre contrairement à d’autres partis nationaux qui ont une longue histoire.

En fait, les conservateurs constituent notre raison d’existence. Par conservateurs, je fais allusion au PJD, Al Adl Wal Ihsane et une partie de la gauche qui tient encore un discours qui date des années soixante.

Mais vous avez échoué à atteindre vos objectifs

Le PAM en tant que projet politique est venue d’en haut et non pas de la base. C’est le fruit d’une décision politique. Et il ne peut donner que ce qu’il pouvait donner. Il a été approché par la classe moyenne mais il n’a pas pu atteindre ses objectifs et ce pour plusieurs raisons. La catastrophe provoquée par le séisme d’El Hoceima a été largement instrumentalisée par le parti en se transformant à une structure oligarchique,  prisonnière d’une vision ethnique, à telle  enseigne qu’on l’a accusé de chantage auprès de l’Etat.  C’est un parti qui s’est transformé d’un parti de l’Etat à l’Etat-parti. Il est devenu presque un fardeau pour l’Etat.

La présence des notables n’a-t-elle pas affaibli le PAM?

En fait,  la présence des notables dans les rangs des partis est due relativement au retrait de  la classe moyenne de  la scène politique. Les partis politiques de gauche avaient une présence forte dans la scène politique grâce à la classe moyenne qui épousait leurs thèses politiques.    D’ailleurs, beaucoup de personnes issues de la classe moyenne ont adhéré à notre parti, puis ils l’ont quitté après déception.  Nous devons s’atteler à les convaincre à notre finalité.

Pour rappel, lors Les élections de 1977 ou celles du 1984,  il y avait une forte présence de la classe moyenne parmi les parlementaires. De leur côté, les détendeurs des capitaux ont été partagés entre le RNI et le PND.  Après, les gens qui s’activaient  de l’industrie ont quitté le RNI parce qu’il ne jouait plus son rôle.

Soulignons que 80% de ceux qui détiennent les capitaux aujourd’hui au sein du RNI, leurs fortunes ont été réalisées à travers les transactions publiques. Il s’agit d’un «Capital »  à la merci de l’Administration.

Encore faut-il souligner que  les véritables détenteurs de capitaux sont devenus peu nombreux car on est un  pays non-productif et ce pour plusieurs raisons, notamment  la rigidité de l’arsenal juridique…Cela a impacté le tissu social et par conséquent le champ politique,  étant donné que  la classe travailleuse s’est beaucoup rétrécie.

Peut-on concevoir une alliance du PAM avec le PJD?

Un tel cas de figure est tout-a-fait envisageable.  Le PAM a besoin d’une légitimité politique qui lui fait défaut. Peut-être qu’il est doté d’une certaine « légitimité électorale », mais, à elle seule, n’est pas suffisante.  Soulignons que les deux partis à savoir le PAM et le PJD ne disposent point d’un programme en bon et due forme. Donc, c’est la raison pour laquelle nous sommes tenus à œuvrer ensemble pour aller de l’avant.

Selon vous, comment doit-on procéder pour réformer le champ politique?

L’Etat ne peut être fort que par des partis forts. Cela requiert d’insuffler un nouveau souffle à la vie politique.  La raison recommande de respecter la volonté des partis politiques, renforcer les partis politiques démocratiques à savoir l’USFP, le PPS et le PI  sinon la démocratie serait un danger. Il n’y pas milles recettes pour instaurer la démocratie.

Sur un autre registre, j’ai la ferme conviction qu’il serait  difficile de rivaliser avec le PJD vu qu’il tient un discours accessible. Son négligence et sa marginalisation pourrait le sombrer  dans la sphère de l’extrémisme. Il faut œuvrer à ce que le PJD se transforme en un parti ordinaire comme les autres partis. Même constat pour le PAM qui ,pour sa part doit, prendre  une dimension normale comme les autres partis.  Je dirais que le PJD et le PAM, à eux seuls, risque de  constituer un danger pour la démocratie, d’où la nécessité du renforcement des partis historiques.

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Bilal Talidi, membre du Conseil national du PJD

«L’affaiblissement des partis politiques ne fera qu’affaiblir l’Etat»

Pour Bilal Talidi, membre du Conseil national du Parti de la justice et du développement(PJS), l’implication du  citoyen dans l’action politique  demeure saisonnière et est souvent liée  aux  échéances électorales ou plus particulièrement dans les moments de crise. Et de souligner qu’à chaque fois qu’on ait  l’impression que le processus de démocratisation est sur de bons rails, on assiste à un retournement de situation, ponctuée par un retour des pratiques autoritaires…

Al Bayane : Selon vous, quels sont les facteurs qui expliquent la défiance  du citoyen vis-à-vis de l’action politique?

Bilal Talidi : Il faut d’abord procéder par une comparaison entre le statut de la politique dans les pays démocratiques et ceux qui sont désignés sous le label des Etats autoritaires. Dans les Etats démocratiques, la pratique politique se fait dans un système où les règles du jeu sont claires et où l’homme politique est à l’écoute du citoyen en étant à son service.

 Dans les Etats dits autoritaires, le citoyen a une perception péjorative de l’action politique, qui est due, en fait,  à un processus politique inachevé. Un tel comportement n’est que le résultat d’une configuration semi-autoritaire du champ politique qui repose plutôt sur des rapports de domination. C’est-à-dire que l’Etat  dispose d’une position monopolistique du pouvoir et que la compétition politique est régit par des règles implicite et qui se situent parfois  en dehors du champ visible. Les variables socio-traditionnelles ont également leurs poids et pèsent lourdement sur le comportement acteurs. Le citoyen, déçu, préfère ainsi  prendre ses distances avec un univers qu’il le voit d’un mauvais œil, étant donné qu’il s’estime «personae non grata» et que sa présence n’a aucune influence sur le processus décisionnel.

Convaincre le citoyen de l’utilité de l’action politique,  exige à la fois,  une pédagogie politique et un processus de socialisation à long terme mais aussi une efficacité en matière de l’action politique.

Cependant, notre véritable problème au Maroc, c’est qu’on revient toujours à  la case de départ. En fait, l’implication du  citoyen dans l’action politique  demeure occasionnelle voire saisonnière, notamment  lors des échéances électorales ou plus particulièrement dans les moments de crise, comme si les répertoires de l’action politique se limitent seulement à l’acte du vote. Une fois, les élections terminée et  la crise prenait fin, il est laissé à son compte.  La stratégie du pouvoir consiste alors à conclure des arrangements ou un pacte  politique contraignant  avec les élites, comme ce fut le cas avec le gouvernement de Abderrahmane El Youssoufi ou celui de Abdelilah Benkirane.

En fait, à chaque fois qu’on ait  l’impression que le processus de démocratisation est sur de bons rails, on assiste à un retournement de situation, ponctuée par un retour des pratiques autoritaires. L’Etat se désengage ainsi de ses obligations en mettant les acteurs politiques devant le fait accompli. Il faut dire que le rejet des citoyens de l’action  politique exercée dans la légalité, illustre une grave crise de confiance. Pour réhabiliter l’action politique et créer un climat de confiance, il faut que les acteurs politiques principaux, à leurs têtes l’Etat,  fassent preuve de sérieux.

Autre  indicateur non moins important,  porte sur les règles du jeu politique qui sont régulées par les dispositions de la Constitution. Cependant, force est de constater que  l’application de ce texte, demeure tributaire de l’interprétation de ces articles. Cela étant, la pratique politique au Maroc est déminée par d’autres déterminants  qui se situent hors du texte constitutionnel.

Voulez-vous dire que l’action  des acteurs politiques n’a pas de sens?

En fait, on est face de  deux champs : un champ régit par la règle de droit et un autre champ soumis à des  facteurs qui dépendent du rapport de force, dont l’Etat détient les véritables clés de négociations.  Dans cette dynamique, la marge d’action du politique reste limitée et le véritable jeu se situe hors du champ politique. Un tel constat procure au citoyen un sentiment de déception. En termes plus clairs, on ne change pas une société par décret, comme dit l’adage.

Autre facteur aussi déterminant dans la fabrication du jeu politique,  porte sur les acteurs politiques, notamment les partis démocratiques dotés d’une certaine légitimité, qui finissent par être pris dans l’engrenage du pouvoir, en adoptant une posture pragmatique dans le sens le plus étroit. Il ne faut pas aussi  négliger les transformations profondes que connait la société marocaine. L’émergence de nouveaux espaces d’expression et de mobilisation,  a minimisé le rôle du politique qui se trouve dépassé par les nouvelles technologies d’information,  n’arrivant point à rattraper son retard.  Pour appréhender la situation actuelle, il faut prendre en considération  les changements stratégiques et profonds qu’a connus la scène internationale depuis l’effondrement du bloc de l’Est.

 L’ancien ordre mondial bipolaire a procuré aux courants de gauche et nationaliste une grande marge d’action. Actuellement, la donne a changé et le contexte international ne semble pas encourager les expressions et les appels de démocratie, ce qui fait l’affaire de ceux qui justifient l’ordre établi.

Peut-on alors insinuer que l’Exécutif n’a qu’un rôle de second plan?

La réponse à cette question doit être liée à la nature du texte constitutionnel d’une part, et d’autre part aux « cases vides » qui le régissent. Ce qui laisse la porte ouverte aux interprétations. Il est à souligner que les pouvoirs et attributions des acteurs politiques sont régulés par la loi suprême du pays. Le texte dispose que le Roi est le Chef de l’Etat qui veille sur les secteurs stratégiques. Il n’en demeure pas moins que le Chef du gouvernement jouit des attributions, mais sa marge d’action demeure assujettie à la volonté de l’Etat. On se rappelle du sort qui a été réservé à Abdelillah Benkirane lorsqu’il s’est attaché à une « prérogative infinitésimale » en décidant, lui-même, de piloter les négociations de la composition du gouvernement. Cela nous a coûté presque  six mois de blocages. Bref, au Maroc si vous voulez composer un gouvernement, cela doit se faire avec les partis qui sillonnent dans le sillage du pouvoir.  L’Etat demeure le véritable artisan des équilibres politiques.

On accuse le PJD d’avoir changé de discours une fois au  gouvernement…

Je trouve que c’est tout-a-fait normal. Samuel Huntington fait  partie des premiers qui ont évoqué l’influence de la participation politique sur les positions des partis, une fois entrés dans le giron du pouvoir. Bien évidement, les logiques d’action se différent selon le positionnement du parti dans le système politique. Ils seront ainsi  contraints à se conformer à une logique situationnelle, tout en tenant compte des limites de leur action dans le cadre d’un pacte de nature contraignante. En fait, plusieurs interrogations doivent être soulevées dans ce sens, notamment en matière de la capacité de résistance du gouvernement devant les lobbys qui résistent acharnement contre tout changement positif.  Est-il capable de faire la différence dans un système fermé ? Sans sombrer dans une approche nihiliste, les élections de 2016 ont démontré relativement  les limites des pratiques autoritaires et que les partis démocratiques sont capables de résister aux poches de résistances.

Mais certains politologues, comme Rémy Leveau,  soulève la question de la représentativité politique, qui, selon eux, vient d’en haut, se négocie et s’octroie…Cette grille de lecture est-elle toujours d’actualité?

La thèse de Rémy Leveau a été écrite dans un contexte différent que celui  du contexte actuel. Il serait difficile si ce n’est impossible de généraliser ses résultats sur la donne actuelle.  Toutes les élections qui ont eu lieu à l’époque où Driss Basri occupait les commandes de l’Intérieur, furent des élections négociées. Ces pratiques ne font plus partie du registre de l’Etat qui a changé de stratégie et ce pour la simple raison que le monde rural ne constitue plus le point fort du pouvoir,  vu une urbanisation massive de la société marocaine.

 En fait, la balkanisation du champ politique, marquée par la prolifération des partis a rendu la tâche difficile pour le parti majoritaire, de former une alliance forte. Comme quoi, les alliances se font sur mesure et ce  conformément aux desseins de l’Etat, mais cela n’empêche que les partis disposent, eux aussi,  d’une marge de manœuvre pour imposer leur volonté. A titre d’exemple, on a fait les mains  et les pieds pour saborder l’alliance du PJD avec le PPS en 2016. Et on connait toute l’histoire après la sortie du Parti Istiqlal et l’adhésion  du parti du Rassemblement national des indépendants. Le but escompté, était celui d’affaiblir le pouvoir du Chef du gouvernement.

Pensez-vous que le processus de la transition démocratique a pris fin comme l’a déclaré l’anthropologue Abdellah Hammoudi?

On comprend cette déception de Abdellah Hammoudi qui est d’ailleurs une déception d’un intellectuel averti.  Je pense que l’erreur méthodologique de premier ordre, commise par les chercheurs, tombés sous le charme du paradigme de la transition démocratique, c’est qu’ils ont transposé des indicateurs exogènes  sur le cas du Maroc sans prendre en considération la complexité  et l’essence du pouvoir.   

En fait, dans les Etats arabes y compris le Maroc,  le débat a porté sur le passage d’un régime autoritaire à un régime semi-autoritaire entamant une  ouverture démocratique. Je pense que lors de la formation du  gouvernement d’alternance dite  consensuelle, on a beaucoup exagéré cet événement  comme si on vivait un moment de transition démocratique, en comparaison avec ce qui s’est passé dans certains pays de l’Europe de l’Est ou l’Amérique latine. Il s’agit d’une comparaison erronée, car ils ont négligé un point primordial, celui de l’essence du pouvoir qui n’a pas changé. Le système politique continue à  se reproduire d’une façon ou d’une autre sans entamer de majeurs changements. Grosso modo,  ce que l’on qualifie de  transition démocratique, demeure, en fin de compte,  lié à des moments de crise. A chaque crise économique, politique ou sociale, on recourt aux élites politiques.

Peut-on concevoir un modèle de développement tout en négligeant la dimension politique?

Il ne faut pas nier que l’Etat a déployé des efforts pour le développement du pays, par le lancement de grands chantiers économique. Mais, les résultats ont été minimes, étant donné qu’il n’y avait pas de retombées positives sur l’ensemble de la population. Cela pose la question de la répartition équitable de la richesse, sachant que le Chef suprême de l’Etat a lui-même reconnu les limites du modèle de développement. En fait, un simple diagnostic de l’économie marocaine nous renseigne sur ses  faiblesses et le pourquoi de son retardement. On ne peut pas bâtir un  modèle économique régit par une rente structurelle, une faible industrialisation, assujetti aux aléas climatiques tout en étant  dépendant des économies étrangères.   La rente ne peut point assurer une économie concurrentielle. En sus de cela, on ne peut pas élaborer un nouveau modèle en se conformant à une approche paramétrique voire techniciste. La mise en place d’une économie solide passe par la consécration de la démocratie économique.  Pour ce faire, l’approche politique est indispensable. A cela s’ajoute le renforcement de la liberté de l’initiative et la consécration du principe de l’égalité devant les  conditions économiques. Il est temps également de concevoir d’autres approches renforçant les principes de la bonne gouvernance. L’expérience de la gestion déléguée fut un échec total et cache un autre aspect de la rente.  Une économie solide nécessite  un climat stable et démocratique.

Alors, quelle est la porte principale pour la réforme du champ politique?

Il existe trois scénarios. Le premier nécessite une forte volonté de l’Etat pour aller de l’avant. Une volonté devant venir d’en haut, fermement convaincue aux vertus de la démocratie tout en faisant face aux intérêts de certains lobbys. Le deuxième scénario concerne les forces démocratiques dotées d’une volonté de réforme,   qui doivent, de leur part,  assumer leur rôle, celui d’être influents dans le processus décisionnel.

Le troisième scénario porte sur les arrangements conclus entre les élites politiques crédibles et l’Etat. Les forces démocratiques, dans le cadre de la légalité,  doivent défendre ardemment l’option de la réforme tout en restant fideles à leurs  principes. Il faut dire que l’affaiblissement des partis politique ne fera qu’affaiblir l’Etat et aggraver la crise, d’où la nécessité de se doter d’une vision prospective.

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Abdelhamid Jmahri, membre du Bureau politique de l’USFP

«Le gouvernement doit avoir le courage de reconquérir ses compétences»

Abdelhamid Jmahri,  membre du Bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) estime que la politique en tant pratique suscite plusieurs interrogations et accuse certaines  faiblesses, aussi bien au niveau de son efficacité qu’au niveau des structures censées incarner la raison publique.  Pour le militant de l’USFP, on assiste à aujourd’hui à  un désengagement politique de plus en plus marqué chez les jeunes, mais le paradoxe c’est qu’en parallèle, on constate une forte sollicitation des institutions de l’Etat et des partis politiques.  Cela étant, les formes de politisation ont changé…

Al Bayane : Comment expliquer aujourd’hui la défiance des citoyens envers l’action  politique?

Abdelhamid Jmahri : D’abord, il faut, avant tout, faire la nuance entre «Le politique» et «La politique». «Le politique»,  signifie le sens d’appartenance à un groupe, voire une adhésion  à le «Nous collectif», basé sur un  socle de valeur, qui a un  rapport direct ou indirect à l’intérêt général de la communauté politique.

Autrement dit, le politique est la consécration de  «la volonté de vouloir vivre ensemble», si on permet de paraphraser l’heureuse expression d’Ernest Renan. Je pense qu’il n’y ait pas de déficit à ce niveau-là.

Cependant, la politique en tant pratique ou encore en tant que mode procédural,  suscite plusieurs interrogations et accuse certaines  faiblesses, aussi bien au niveau de son efficacité qu’au niveau des structures censées incarner la raison publique dans le sens habermassien.  Ce constat est devenu presque universel et n’est pas  seulement exclusif à notre pays.

Mais pourquoi alors ce rejet de l’action politique?

Aujourd’hui, on constate presque dans tous les Etats du monde,  que la politique, en tant que pratique,  est taxée péjorativement et ce pour plusieurs raisons. La propagation des formes d’expressions populistes, émanant que  ce soient des courants extrémistes de  gauche ou de droite, entre autres,  arguant des slogans flatteurs et  à caractère démagogique,  a vidé l’action politique de son sens noble, celle de porter haut et fort les attentes et aspirations des citoyens.

 Assurément, cela a eu des conséquences graves et engendré un climat de défaitisme.   Cependant, il faut mettre l’accent sur le fait que ce désintéressement à la politique est significatif et   constitue en lui-même un acte politique, comme disait Pierre Bourdieu. 

Il ne faut point aussi  négliger un autre indicateur : la tendance à l’individualisation a porté un sacré coup de barre à la démocratie représentative, y compris dans les pays les plus développés. S’agissant du cas du Maroc,  il faut admettre que les aspects de déficit de l’action politique se situent à plusieurs étages.

Aujourd’hui, on assiste à un désengagement politique de plus en plus marqué chez les jeunes,  mais le paradoxe c’est qu’en parallèle, on constate une forte sollicitation des institutions de l’Etat et des partis politiques.  Cela étant, les formes de politisation ont changé.

Les citoyens marocains ont développé différentes formes d’expression et ce en adoptant de plus en plus une posture contestataire, en investissant l’espace de la rue pour formuler leurs revendications. Aussi, l’émergence des nouvelles technologies de l’information notamment internet a réduit l’attractivité  des espaces politiques dits traditionnels. Force est de constater que les plateformes digitales sont devenues un outil de prédilection pour les générations montantes afin de présenter leurs doléances ou exprimer leurs colères.

En fait, on vit  une véritable  dégradation de l’action politique, telle qu’elle est exercée par  les structures traditionnelles notamment les partis. Cela témoigne d’une grave crise de confiance. Une crise évoquée même par le Chef suprême de l’Etat où dans son discours prononcé en juillet 2017, il a manifesté sa non- confiance à nombre de politiciens à cause de leurs pratiques qui poussent les citoyens à bouder l’engagement politique.

Ce syndrome de méfiance a atteint donc les sommets de l’Etat.  Si le Roi ne fait pas confiance à certains politiques, que dire alors du citoyen lambda.

Voulez-vous dire que les partis politiques ont failli à leur mission?

Je pense que la réalité est beaucoup plus complexe. Il serait simpliste de dire que les partis ont failli à leur mission. Ce serait un manque de discernement politique. 

Le hic, c’est que les partis trouvent beaucoup de difficulté à convaincre les citoyens  y compris leur base militante en raison des facteurs de contingences structurelles.

 En contrepartie, les citoyens, en dépit d’une certaine désertion des espaces de socialisation politiques traditionnelles, ne cessent de critiquer ces structures pour qu’elles se plient à leurs demandes. Cela signifie qu’il y a une forte demande sur les partis, malgré une déception légitime. Comme quoi, le noyau du problème se présente au niveau de la pratique politique.

Quels sont les facteurs de la crise des partis politiques?

La crise que vivent les partis politiques est due essentiellement à des facteurs endogènes. Certes,  ils sont dans l’obligation de procéder à une autocritique objective, mais sans tomber dans l’auto-flagellation et sans dramatiser la situation. Bref, un aggiornamento s’impose ! La solution consiste à s’inspirer de  quelques expériences mondiales qui illustrent un exemple parfait de réussite. Je cite, à titre d’exemple, la social-démocratie qui  a pu s’ancrer dans le tissu social  dans certains pays européens, comme c’est le cas en Portugal, l’Europe du nord… où les partis porteurs de cette « idéologie » ont parvenu à se mettre au diapason de la nouvelle donne tout en interagissant avec les aspirations des citoyens.

Qu’en est-il de la gauche marocaine?

Je dirais que la gauche est malade à cause de son émiettement pathologique. Beaucoup d’étiquettes politiques pour « peu de représentation ».  En fait, toute une ribambelle qui se réclame de cette tendance idéologique, mais au niveau la représentation politique, elle connait une nette régression et cela risque même de s’aggraver dans les prochaines échéances électorales. La gauche n’a pas profité d’une réactivation des clivages sociaux culturels. 

Pis encore ! On a cru que pour faire face au populisme religieux ou de droite, il vaudrait mieux, par effet d’imitation, adopter un style populiste alors qu’on ne pourrait  pas vaincre les radicaux en insufflant la radicalité ou en encourageant la médiocrité. En termes plus clairs, on ne pourrait  venir à bout du  populisme qu’avec un combat démocratique et rationnel, et ce  sans sombrer dans un certain utopisme quelconque. Autrement dit, il faut savoir faire un dosage bien tempéré entre pragmatisme et référentiel idéologique. 

 Le but escompté n’est pas seulement de gagner les élections mais de vaincre  le combat de l’éthique et de la morale.  Autrement dit, ce qui importe, c’est de bâtir un  projet de gauche démocratique, mettant en valeur l’éthique et la morale.  Un tel débat est quasi inexistant en  l’état actuel.

Qu’est ce qui explique, selon vous,  la faiblesse de notre système  de représentation politique?

Je crois qu’il y ait  une transformation au niveau des structures de l’Etat. Le pouvoir n’est plus prisonnier de la vision jacobine. D’ailleurs, les discours royaux  n’ont cessé d’appeler à un changement de fond.  Ainsi, la régionalisation constitue une occasion idéale pour la gauche afin de s’y impliquer davantage, malheureusement, cette gauche   brille par son absence.

Qui plus est, le Souverain a confirmé cette tendance dans son discours du 6 nombre 2019 où il a exprimé sa volonté pour faire de la région de Souss un pôle économique par excellence.  Il s’agit bel et bien d’un changement profond entre l’Etat et ses territoires. C’est une évolution qu’on peut la qualifier de moderne et rationnelle.    

 Il faut dire que  l’Etat  est en train de se moderniser, toutefois ce nouveau  rôle de l’Etat demeure accompagné par une certaine faiblesse  de la classe politique. Je pense que l’Etat s’est défait de la logique de l’affaiblissement des partis politiques.  Avec la réforme de la Constitution, la citoyenneté s’impose de plus en plus comme une valeur sûre.

Mais, ne pensez-vous pas que la présence des technocrates a affaibli l’action des partis politiques?

Si on entend  par technocrate celui  qui va accompagner  les décideurs  politiques  afin de faire mieux leur  travail, et ce, en mettant à leur  disposition, l’expertise et le son savoir-faire nécessaire, j’estime qu’à ce niveau-là, il n’y a pas de problème. Le problème se poserait alors, dans le cas où le technocrate  voudrait  se substituer au rôle du politique.

Il est temps de mettre un terme à certaines tendances voulant avilir le politique en le présentant comme une persona non grata, incapable de remplir à bien sa mission. D’ailleurs, cela ne fait nullement la bonne cause du pays qui se veut une démocratie à part entière.

Cela n’empêche que des quiproquos surgissent de temps à autre, entre le gouvernement et les instances de régulations, des problèmes qui reflètent un autre aspect de conflit « politico-technocratique », Je fais allusion au rapport de la Cour des comptes sur le Plan vert, ou celui de la Banque central sur le ministère des finances.

Partagez-vous l’avis de l’anthropologue Abdellah Hammoudi, selon lequel, la transition démocratique a pris fin tout en qualifiant le système politique marocain du « néo-autoritarisme gestionnaire?

Je ne partage pas souvent l’alarmisme même si je lui trouve parfois des justifications. Il y a à mon sens une vraie démarche de démocratisation aussi bien au niveau des textes que des actions de l’Etat, marquées par son sens d’anticipation.

Actuellement, il y a une vision de la justice qui  n’est peut être pas du goût des partis et du  gouvernement, portant sur la séparation du parquet de la justice.  Pour nous, cela suscite des interrogations, tout bonnement,  parce qu’il n’y a pas de responsabilité politique derrière. Il y a une crainte que la justice ne soit mise  au profit des justiciables mais plutôt au profit des juges…

Si Abdellah Hammoudi entend par « l’autoritarisme gestionnaire », les  chantiers initiés par l’Etat,  d’ailleurs, de telles pratiques sont monnaies courantes dans tous les Etats du monde. Alors, s’il fait référence à l’approche sécuritaire,  sincèrement je ne partage nullement son avis.

En plus de cela, je dois mettre l’accent sur le fait que les compétences du Roi sont règlementées par le texte constitutionnel. Cela débouche sur un autre sujet d’une importance cruciale, celui de la responsabilité du gouvernement qui doit avoir le courage de pratiquer  ses compétences. Il ne faut pas  laisser un blanc constitutionnel, interprétable à merci.  Idem pour le parlement, qui  doit de son côté,  assumer pleinement  sa représentativité de la nation.  … s’il y ait  une  extension d’un pouvoir sur l’autre, c’est que le deuxième est en difficulté voire incapable de remplir à bien sa mission.

On parle d’un nouveau  modèle de développement, mais, pour plusieurs acteurs politiques, l’élaboration de ce modèle passe impérativement  par l’intégration de la dimension politique…

Un modèle de développement ne peut se concevoir que d’une manière inclusive contenant tous les dimensions de développement humain. L’objectif escompté est de trouver la panacée idéale permettant aux Marocains de  profiter des richesses de leur pays de façon équitable. Mais quelles sont les préalables pour la construction de ce modèle ?  Il ne faut pas y aller par quatre chemins.  Primo, il faut s’atteler sur le volet institutionnel, c’est-à-dire prévaloir la  suprématie de la règle de droit et définir les attributions de chaque institution en vue d’éviter les chevauchements des compétences. Secundo, il faut instaurer la transparence  en matière de la concurrence économique. L’égalité des chances est l’épine dorsale de l’économie, comme disait Alexis Tocqueville. Certaines craintes émises par l’opinion publique et la classes politiques concernant la composition ou la méthode de travail de la Commission chargée de l’élaboration de ce modèle sont justifiées. Cependant, je pense que la Commission est consciente des préoccupations de la société et de la classe politique.  L’approche par consensus a permis au Marocains d’expérimenter des solutions pour des sujets litigieux, comme ce fut le cas pour le Code de la famille…Il faut se défaire des idées préconçues, prétendant que cette instance aura à répondre à un rapport de force. 

Soit on est dans une logique consensuelle impliquant  tous les acteurs ou devant une démarche unilatérale dictée d’en haut. Je pense que le Maroc, depuis 2000,  a choisi la logique de la concertation, sachant que l’Etat n’a jamais été aussi fort et aussi convaincante comme aujourd’hui, grâce à sa vision anticipatrice. En témoignent ses réponses à plusieurs revendications sociales, tel le mouvement du 20 février… C’est pour cette raison, peut-être, qu’on lui  colle souvent l’étiquette du «néo-autoritarisme».

Quelle est, selon vous, la porte d’entrée pour la réhabilitation du champ politique?

Il y a d’abord un travail qui devrait se faire sur le modèle du  politique. L’homme politique est un homme d’action disait Max Weber. Les partis politiques notamment de gauche, doivent servir comme modèle aux citoyens, en faisant preuve de dévouement  et d’abnégation, des valeurs qui faisaient souvent le credo de leur  l’existence et leur  combat démocratique.  Comme quoi,  les acteurs politiques doivent  donner l’exemple en matière d’éthique. La transhumance politique décrédibilise l’action politique et constitue une trahison à l’électeur.  Et ce n’est pas tout. La réhabilitation de l’action politique exige l’instauration d’un seuil électoral.  Beaucoup de partis politiques ont été créés sur un coup de tête et continuent à exister au nom de la démocratie…Au final, l’espace public, que ce  soit audiovisuel, presse, parlementaire, entre autres,   doit être l’agora du débat politique.  Cela constitue une condition sine qua pour donner sens à l’action politique.

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