Youssoufi, le PPS et la Koutla démocratique
L’Histoire contemporaine du Maroc aurait retenu que feu Abderrahmane Youssoufi fut le seul dirigeant de premier plan de l’USFP qui n’a pas insulté l’avenir et a entamé une alliance stratégique avec le PPS pour en faire une composante à part entière de la Koutla démocratique, depuis l’échec de Al Koutla Al Watanya (la coalition nationale), du temps de feus Allal Fassi et Abdallah Ibrahim, au début des années 70 du siècle dernier.
Pour le PPS, la création de la Koutla démocratique est le couronnement d’un vieux rêve et la concrétisation de la plus vieille des revendications des communistes marocains : la constitution d’un front national démocratique, entre les forces patriotiques et progressistes.
1992 : la conjoncture politique interne et les rapports entre les différentes composantes de l’opposition n’est pas au beau fixe, après les profondes divergences, entre elles et surtout avec le PPS, sur la guerre du Koweït et le soutien à Saddam Hussein.
Et pourtant, c’est le moment le moins attendu et propice pour lancer la Koutla démocratique. Youssoufi venait de prendre la direction de l’USFP, après le décès de feu Abderrahim Bouabid.
Il marquera ainsi son premier mandat de Premier secrétaire de l’USFP par cette grande action unitaire.
Inutile de décrire la joie des militants des partis signataires de la Charte de la koutla et les échos favorables au sein de l’opinion publique nationale, mais aussi à travers les forces de progrès à l’international.
Cette importante expérience d’alliance de l’opposition marocaine a mis un terme aux tentatives de coordination bilatérales, quand l’UNFP, puis l’USFP, et l’Istiqlal voulaient faire cavaliers seuls, prétendant qu’ils étaient les seules expressions populaires.
Une initiative unitaire sans esprit hégémonique
L’initiative de feu Abderrahmane est venue à point nommé pour envisager, avec optimisme et réalisme, l’avenir unitaire entre les forces de l’opposition marocaine, sans prétention à l’hégémonie.
Elle met fin, ainsi, à l’expérience de Juin 1970, quand les anciens frères ennemis, le Parti de l’Istiqlal et l’UNFP, avaient mis de côté leurs divergences idéologiques et fait taire les armes de la polémique. Ils envisageaient de former une alliance pour s’opposer au projet de Constitution de 1970, intervenu après plus de cinq années d’état d’exception… et proposer des amendements au texte de 1962.
La tentative échoue, l’Etat utilise leurs revendications constitutionnelles sans recourir à leur implication dans la gestion des affaires du pays.
Ainsi, la première «Al Koutla Al Watanya» était mort-née. Et chacun des parties signataires poursuivra la lutte de son côté.
C’est, particulièrement, feu Allal Fassi, promoteur de cette alliance (avec Abdallah Ibrahim), qui en aurait pâti le plus, au point de s’arracher la face… un geste inhabituel du grand Zaïm.
Et, pour les deux formations politiques, le combat continue, bon an, mal an, mais sans aucun rapprochement significatif.
Il faudra attendre 1977 pour voir le PI, dirigé par feu Mhamed Boucetta, fausser compagnie à la nouvelle USFP (dirigé par Abderrahim Bouabid et née de la scission avec la branche de Casablanca de l’UNFP) et intégrer le gouvernement d’Ahmed Osman, leader du RNI, créé de toutes pièces pour servir de base et de tête de lance contre l’opposition de l’époque…
Le PI reviendra vite à l’opposition au moment où l’USFP a fait sa mue pour proclamer son adhésion au changement démocratique, avec l’arrivée de Youssoufi, en 1978, au Polit Bureau de l’USFP.
Quelques années plus tard, après l’arrivée de Si Abderrahmane Youssoufi à la tête de l’USFP, la Koutla démocratique était mise sur le pipe. Mais sans exclusion d’aucun parti politique du mouvement national, fût–t-il, ou supposé, de représentation «insignifiante».
Ce nouveau positionnement de l’USFP, surtout avec le PPS, rompt avec une vision hégémoniste qui avait prévalu, jusqu’à cette époque, et qui ignorait même l’existence d’un parti des ex-communistes quand elle ne tentait pas de l’absorber…
Il faudra mettre cette évolution positive à l’honneur et au crédit de feu Youssoufi, qui connaissait bien, pour les avoir subies, la signification de l’exclusion et de la marginalisation.
Véritable unitaire et démocrate
C’est une position qui s’inscrit dans la logique du personnage qui a, de tous temps, défendu le droit de l’autre d’exister et de s’exprimer, et le droit à la différence, croyant profondément en le débat duquel jaillit la lumière.
De plus, l’image du PPS, outre le rayonnement de sa presse sous la houlette de feu Nadir Yata, s’était nettement améliorée au sein de l’opinion publique, notamment grâce à ses deux seuls députés, Ali Yata et Ismaïl Alaoui, qui remplissaient le travail parlementaire mieux que certains groupes au sein de la Chambre des représentants.
A cela, il faudra ajouter la forte amitié qui liait les deux Tangérois, scellée durant la lutte contre le colonialisme et, surtout, durant le combat, après l’indépendance, pour la démocratie et les libertés.
Ce sentiment d’affection et de militantisme va d’ailleurs s’illustrer de la manière la plus symbolique, lors du décès d’Ali Yata, en 1996, par la venue, au domicile du défunt, du Bureau politique, au complet, de l’USFP, conduit par feu Abderrahmane, pour présenter, officiellement, les condoléances du parti frère et allié.
Aussi, en 1992, Youssoufi, en faisant inclure le PPS au sein de la Koutla démocratique, «était assuré de l’encouragement, de feu M’hamed Boucetta, qui vouait un grand respect à l’ex secrétaire général du PPS, pour l’avoir défendu devant les tribunaux marocains, lors de procès intentés au PCM. Il en est de même pour Bensaïd Aït Idder, qui était lié d’une grande amitié militante au fondateur du PPS, avec qui il se déplaçait en voiture des voyages presque quotidiennement pour assister aux séances du Parlement…
Echec de la première tentative d’alternance
D’autre part, une fois constituée la Koutla démocratique, feu Sa Majesté Hassan II avait proposé à cette alliance quadripartite une association au gouvernement pour concrétiser l’alternance. Elle butera essentiellement sur la condition mise par feu Hassan II sur la présence du super-ministre de l’Intérieur, en plus de l’annulation définitive de l’élection du tiers de la Chambre des conseillers au suffrage indirect.
Ce refus sera sanctionné par la fin des négociations annoncée dans un communiqué de Réda Guedira, suite à une réunion avec El Yazghi, Boucetta et Bensaid (le PPS ne s’était pas opposé à la présence du fort ministre de l’Intérieur, surtout après les raisons avancées par le Palais sur son rôle dans la gestion de la question du Sahara…).
Ce blocage s’explique, surtout, par la nature des élections de 1993, marquées par «la dénaturation de la volonté populaire» qui avait «fâché» Si Abderrahmane et l’avait fait démissionner de la tête de l’USFP pour quitter le pays et se réinstaller à Cannes. Il ne regagnera le Maroc qu’une fois les difficultés balisées…
Et c’est à la fin de 1995 que le travail en coulisses avait recommencé dans l’espoir de gagner la Koutla démocratique à une alternance consensuelle, par le biais d’un compromis historique entre la Monarchie et le mouvement national.
L’apport d’Ali Yata
L’année 1996 sera cruciale car les choses s’accélèrent. Ali Yata, on ne le dit pas trop, avait joué un grand rôle dans la concrétisation de l’alternance.
L’alternance démocratique qui amena Abderrahmane Youssoufi et la Koutla démocratique au gouvernement en 1997, doit énormément à Ali Yata qui en fut l’un des artisans les plus dynamiques.
Il faisait le suivi et l’intermédiation entre l’Etat et les autres dirigeants de la Koutla. Si mes souvenirs sont bons, c’est lui qui était chargé de recueillir les avis et de chercher le compromis et de faciliter les négociations. Peut-être que Si Mohamed Bensaid, que Dieu le préserve, pourrait témoigner dans ce sens. Hélas, il faudra avouer que nos journalistes n’ont pas fait leur travail correctement pour jeter de la lumière sur cette étape importante de la vie de notre pays.
Et puis, dans tout ce monde impliqué, il devrait y avoir des dirigeants ou des intimes qui étaient dans le secret des dieux et rendre à César ce qui appartient à César…
Les historiens, pour leur part, n’ont pas cherché, hélas, à fouiller dans le «comment» s’est fait et construite la participation de la Koutla démocratique à l’alternance, qui s’est réalisée quelque mois après le décès du dirigeant historique du PPS… Rien que pour l’Histoire et pour la Vérité.
L’histoire retiendra le combat inlassable mené par Ali Yata, comme par ses compagnons de lutte, dont certains ne sont plus dans ce monde, pour parvenir à la constitution d’un front national démocratique et ce bien avant l’indépendance du Maroc. Un slogan stratégique maintes fois répétés dans toutes les résolutions des congrès du Parti et en toutes circonstances.
D’ailleurs, valeur de la semaine dernière, le dernier communiqué du Bureau politique du PPS réitère ce mot d’ordre toujours d’actualité, en ces temps de crise sanitaire et de crise tout court.
En juin 1996, Ali Yata, deux mois avant son décès, figurera parmi les dirigeants de la Koutla, reçus en audience par le défunt Roi. Il n’aura pas savouré l’avènement pour la réussite duquel il avait déployé maints efforts…
Quelques mois après, Abderrahmane Youssoufi est nommé Premier ministre, à la suite d’élections législatives de novembre 1997 où l’USFP et la Koutla démocratique sont arrivés en tête sans aucune majorité, respectivement, des partis et des blocs politiques de l’époque (Al Wifaq «L’entente» et le Centre).
Youssoufi et la Koutla avaient, toutefois accepté, outre le maintien de Driss Basri à l’Intérieur, la présence de trois autres ministres de souveraineté (Filali aux AE, Azziman à la Justice et Mdaghri Alaoui aux affaires islamiques).
En plus de ces «contraintes», Si abderrahmane était amené à gérer sept (7) partis politiques participant à une coalition gouvernementale hétéroclite pour assurer une majorité parlementaire… les résultats des «urnes» avaient donné 31, 65 % des voix ) à la Koutla ( !), 30,28 % au Wifaq (MP, UC et PND) et 27% au RNI et plusieurs autres formations appelées à la rescousse…
Malgré ces énormes contraintes, Youssoufi, en homme d’Etat, a su mener la barque du changement à bon port, en dépit des coups de poignard fratricides.
Reste que depuis la fin de l’alternance, les deux principaux partis de la KD ont subi de nombreux revers et déboires (électoraux entre autres), ponctués par des divisions et des querelles internes, qui ont fait mal au regretté défunt.
Au grand dam de la saine pratique politique, hélas de plus en plus malmenée, pour des raisons infantiles.
Mohamed Khalil