Les leviers indispensables pour changer la position des universités marocaines

Classements internationaux des universités

Prof. Dr. Abdelali Kaaouachi

L’exercice de classement des institutions de l’enseignement supérieur a commencé dés le début du vingtième siècle aux Etats-Unis d’Amérique. Mais ce n’est qu’en 1983, qu’une étude poussée et approfondie a été élaborée par le magazine américain «U.S. News and World Report» qui a publié le premier classement des universités américaines. Depuis lors, des systèmes de classement nationaux, régionaux et internationaux se sont multipliés dans plusieurs pays, grâce à des initiatives médiatiques (par des groupes de média) ou académiques (par des centres de recherche) [1].

Au niveau international, plusieurs systèmes de classement des universités ont été élaborés et adoptés. Deux d’entre eux sont populaires et très connus : le premier est l’«Academic Ranking of World Universities (ARWU)» lancé en 2003 par l’Institut d’Enseignement Supérieur de l’Université Jiao Tong de Shanghai en Chine. Le second est le «World Universities Rankings (WUR)» établi en 2004 par le magazine anglais Times Higher Education.

L’intérêt aux classements nationaux, régionaux ou internationaux des institutions devient chaque fois de plus en plus grandissant par de nombreux acteurs : les étudiants veuillent des comparaisons des institutions et des programmes de formation pour la poursuite de leurs études ; les enseignants-chercheurs ont le souci de rejoindre un établissement prestigieux ou de monter des collaborations ; les employeurs ont besoin des classements pour les utiliser dans les opérations de recrutement ; les leaders des institutions veuillent savoir des informations sur leurs atouts et faiblesses dans le but d’améliorer la qualité, d’attirer  les étudiants et les chercheurs, et de développer des programmes de coopération internationale ; les gouvernements veuillent connaître des justifications sur l’utilisation des financements publics ; le public, en général, veut connaître la qualité des institutions qui consomment  les ressources nationales…

Par ailleurs, les systèmes de classement des institutions stimulent l’amélioration de la qualité à travers la recherche d’atteindre les meilleurs rangs, et favorisent plus de responsabilité et de transparence dans les activités académiques. Cependant, ces systèmes reçoivent de nombreuses critiques, tout simplement du fait qu’il n’existe jamais un système de classement totalement objectif étant donné que l’évaluation de la qualité des institutions de l’enseignement supérieur est une affaire pénible et très controversée [2]. Une part des critiques est liée à des limites méthodologiques (le choix des critères, des indicateurs et des poids assignés…), et une autre part est associée à des limites techniques (les caractéristiques des universités qui sont diverses et très variables…) [3].

Très récemment, les deux systèmes (ARWU & WUR) de classement des universités ont diffusé les résultats de leurs nouvelles éditions. Dans cet article, nous donnons une description de ces deux systèmesen présentant leurs méthodologies et les principaux résultats de leurs dernières éditions. Enfin, nous suggérons quelques leviers indispensables pouvant changer la position à la traîne des universités marocaines dans les classements internationaux des institutions de l’enseignement supérieur.

Le système de «Academic Ranking of World University (ARWU)» : méthodologie et principaux résultats

L’Institut d’Enseignement Supérieur de l’Université Jiao Tong de Shanghai  a lancé en 2003 une première opération de classement des universités dans le monde selon leurs performances académiques et de recherche [4]. L’objectif initial de l’opération était de mesurer le positionnement des universités chinoises dans la compétition mondiale, afin d’impulser une politique volontariste en faveur de sa recherche. Le projet est connu sous l’appellation de « Academic Ranking of World University  (ARWU) » et ses résultats ont une fréquence d’apparition annuelle. De ce fait, et jusqu’à aujourd’hui, il existe 18 éditions de ce classement international.

La méthodologie du classement de l’Université de Shanghai se base sur six indicateurs associés aux quatre critères et affectés par des poids :

  • Critère 1 : Qualité de l’enseignement

Indicateur 1 (Alumni) : Anciens étudiants d’un établissement qui ont gagné des prix Nobel [5] et des médailles Fields [6] (un prix en Mathématiques au nom du mathématicien canadien John Fields, décerné tous les quatre ans lors du Congrès International des Mathématiciens) (Poids 10%).

  • Critère 2 : Qualité du corps enseignant

Indicateur 2 (Award) : Enseignants d’un établissement qui ont gagné des prix Nobel et des médailles Fields (Poids 20%).

Indicateur 3 (HiCi) : Chercheurs fréquemment cités dans 21 disciplines étendues (Poids 20%).

  • Critère 3 : Production scientifique

Indicateur 4 (N&S) : Articles publiés dans Nature et Science (Poids  20%).

Indicateur 5 (PUB) : Articles indexés dans SCI (Science Citation Index), SSCI (Social Science Citation Index), et AHCI (Arts et Humanities Citation Index) (Poids 20%).

  • Critère  4 (PCP) : Productivité

Indicateur 6 : Performances académiques par rapport à la taille de l’établissement (Poids 10%).

Pour chaque indicateur, le meilleur score reçoit la note 100, et les autres scores sont calculés sous la forme de pourcentage de ce meilleur score. Les résultats du classement sont donnés dans plusieurs tableaux dont : le Top 1000 de meilleures universités dans le monde ; les Top (20, 100, 200, 300, 400, 500, 1000) par région et par pays.

Une analyse de l’édition 2020 du classement ARWU montre une forte dominance des universités américaines dont huit parmi elles se positionnent parmi les 10 premières universités, à leur tête l’incontournable et très prestigieuse université de Harvard. Les deux universités britanniques Cambridge et Oxford occupent respectivement les positions 3 et 9. D’ailleurs, c’est pratiquement le même résultat remarqué lors des éditions passées du classement.

La suprématie des universités américaines et britanniques est expliquée par les facteurs suivants : ces universités fonctionnent avec des budgets colossaux (par exemple, la dotation de l’Université de Harvard est évaluée à 40,9 milliards de dollars, avec des sources de financement très variées comme les subventions de l’Etat, les donations « endowment », les frais d’inscription, les dons provenant d’anciens étudiants, les financements des projets de recherche) ; elles produisent des publications intenses dans tous les domaines avec la langue  anglaise ; elles appliquent des politiques d’attractivité des étudiants, des enseignants et des chercheurs ; elles rémunèrent la performance et les résultats obtenus. Ces facteurs sont propres au modèle anglo-saxon à partir duquel il y a toute la nécessité d’en tirer les enseignements relatifs à ses forces et ses bonnes pratiques.

Dans le monde arabe, l’Egypte se maintient comme leader en nombre d’institutions classées selon le classement de Shangai avec cinq universités classées dans le Top 1000 : l’Université du Caire (catégorie 401-500), l’Université d’Alexandrie (catégorie 701-800), l’Université d’Ain Shams (catégorie 801-900), l’Université de Mansoura (catégorie 801-900), l’Université de Zaqaziq (catégorie 901-1000).

Le moyen orient se caractérise par la montée en puissance de quatre universités saoudiennes : l’Université Roi Abdulaziz (catégorie 101-150), l’Université Roi Saoud (catégorie 151-200), l’Université Roi Abdellah des sciences et technologies (catégorie 201-300), l’Université Roi Fahd du Pétrole et des Mines  (catégorie 401-500). A cela s’ajoute, l’Université de Qatar qui occupe une position dans le groupe 601-700 et l’Université Américaine à Beyrouth qui se place dans la catégorie 601-700.

Au Maghreb, l’Université de Tunis-El-Manar est la seule institution présente dans le Top 1000, et figure dans le groupe 901-1000.

Ces douze universités arabes ont déployé plusieurs efforts pour se positionner dans le Top 1000. Cela est essentiellement du aux bons résultats réalisés par rapport aux indicateurs 4 (N&S), 5 (PUB) et 6 (PCP) des deux critères : les résultats de la recherche et la productivité. Alors, que ces universités arabes sont pénalisées par les deux indicateurs 1 (Alumni) et 2 (Award), sauf pour l’Université du Caire et celle d’Alexandrie qui disposent toutes les deux des anciens étudiants ayant reçu des prix prestigieux à l’échelle internationale [8], [9].

Le système de « World University Rankings (WUR) » : méthodologie et principaux résultats

Le magazine britannique  Times Higher Education publie chaque année depuis 2004 un classement international des universités ayant l’appellation de « World University Rankings (WUR) » [7]. Il est considéré comme le plus réputé et prestigieux classement dans le monde car il évalue une variété de missions des institutions d’enseignement supérieur : l’enseignement, la recherche, le transfert de connaissances, l’ouverture à l’international, l’innovation. Ce classement se distingue à celui du Shanghai en accordant une place à des mesures qualitatives (les avis sur la réputation). Une autre différence réside au fait que le classement WUR reflète l’image actuelle des universités plutôt qu’une image ancienne qui favorise les universités traditionnelles.

La méthodologie du classement se base sur 13 indicateurs pondérés et regroupés dans 5 catégories : le financement de la recherche par l’industrie (transfert de connaissances) (2,5%) ; le taux d’internationalisation (personnel et étudiants) (7,5%) ; l’enseignement (environnement des études) (30%) ; la recherche (volume, financement, réputation) (30%) ; les citations (influence de la recherche) (30%).

La nouvelle édition du classement WUR du 02 septembre 2020, montre que ce sont les universités américaines et britanniques qui occupent les premières positions. C’est le même résultat enregistré dans les éditions passées de ce classement. Dans ce nouveau palmarès, les trois premières universités au monde sont, dans l’ordre, Oxford (UK), Stanford (USA), Harvard (USA). Parmi les dix premières universités, huit sont américaines et les deux autres sont britanniques. 

Les universités françaises sont mal classées, car uniquement cinq d’entre elles apparaissent dans la liste du Top 200. Il s’agit de l’Université Paris sciences et lettres (position 46), l’École Polytechnique (position 87), la Sorbonne Université (position 87), Université de Paris (position 136) et l’Université Paris-Saclay (Position 178). Le classement de cette dernière université, nouvellement créée, est le fruit de regroupement de 14 établissements et organismes de recherche.

Dans le monde arabe, 32 institutions sont classées dans le Top 1000 du classement WUR : l’Egypte (9), l’Arabie Saoudite (7), les Emirats arabes unis (5), la Jordanie (3), le Liban (3), l’Algérie (2), le Maroc (1), Oman (1), Qatar (1). La meilleure place est occupée dans le groupe 201-250 par l’Université Roi Abdelaziz de l’Arabie Saoudite.

Au Maghreb, deux universités algériennes sont classées dans le Top 1000 : l’Université Ferhat Abbas de Sétif 1 (groupe 501-600) et l’Université d’Oran 1 (groupe 801-1000). L’Université Sidi Mohammed ben Abdellah se positionne dans le groupe 801-1000 de la nouvelle édition du classement WUR. C’est l’unique université marocaine qui se place dans le Top 1000 de ce classement. Quatre autres universités ont des positions après le 1000ème rang, il s’agit (dans l’ordre) de l’Université de Hassan II, l’Université Ibn Tofail, l’Université Cadi Ayyad et l’Université Mohammed V.

Leviers indispensables pouvant changer la position à la traîne des universités marocaines dans les classements internationaux

Dans le classement ARWU de Shanghai, aucune université marocaine n’est classée dans les listes des classements de toutes les éditions passées du fait que les critères adoptés ne sont pas satisfaits étant donné la nullité ou la faiblesse des valeurs de tous les indicateurs. En effet, depuis plusieurs décennies, la machine de formation marocaine n’a pas pu former une personne qui a reçu un prix prestigieux à l’international, et celle de production scientifique n’a pas réussi de produire un large étendu de nouvelles connaissances avancées et originales qui soient publiées dans des revues indexées. En outre, des positions en queues de listes sont occupées par certaines universités de notre pays à toutes les éditions du classement WUR.

Il est à noter que le Maroc a misé auparavant sur le regroupement des institutions de l’enseignement supérieur pour espérer avoir des bonnes places dans les palmarès internationaux. Ainsi, en 2014, l’enseignement supérieur était concerné par le chantier de fusion de quatre universités : d’un coté, l’Université Mohammed V-Agdal avec l’Université Mohammed V-Souissi et d’un autre coté, l’Université Hassan II-Mohammedia avec l’Université Hassan II-Casablanca. Le regroupement des universités n’a pas encore donné ses fruits quant à l’amélioration de la position dans les classements internationaux, malgré le gain  naturel enregistré en termes de mutualisation des infrastructures et des ressources.

Au regard de cette situation très préoccupante, on se demande si l’université marocaine restera-t-elle toujours derrière beaucoup des universités du monde arabe qui ont adopté plusieurs solutions pour s’avancer. La réponse est tributaire à la quantité et à la nature des efforts qui seront déployés à plusieurs niveaux pour réformer en profondeur le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Des leviers indispensables sont à entreprendre pour changer la position à la traîne des universités marocaines dans les classements internationaux, particulièrement ceux correspondants à l’aspect de la recherche sur lequel reposent les deux classements ARWU et WUR. Spécifiquement pour cet aspect là, nous suggérons les leviers suivants :

  • Gouvernance et évaluation :
  • Appliquer une refonte des modes de gouvernance de la recherche. Plusieurs actions peuvent être adoptées dans ce sens comme l’élargissement de l’autonomie ; la simplification des modes de gestion ; le renforcement de la transparence ; la consolidation de la reddition des comptes ; la fiabilité des systèmes d’information.
  • Instaurer des mécanismes robustes d’évaluation de la recherche. Le focus doit être orienté vers la fonction formative et vers la labellisation qualité des entités de recherche, en faisant appel aux deux types d’évaluation interne et externe. Le rôle est à jouer par l’ANEAQ [10] qui doit accélérer la mise au point d’un système efficace et performant d’évaluation quantitative et qualitative de la recherche et de l’innovation.
  • Ressources humaines :
  • Renforcer l’attractivité et la valorisation du métier de chercheur. Trois pistes doivent être prises en considération pour mettre « le chercheur » au centre du système national de recherche scientifique : attirer les talents (chercheurs en post-doc et chercheurs visiteurs) ;  mobiliser la diaspora marocaine ; motiver le chercheur. Cette dernière piste doit intégrer les actions suivantes : l’augmentation des salaires des chercheurs pour éliminer leur décrochage par rapport aux standards internationaux et par rapport aux rémunérations des cadres supérieurs exerçant au Maroc dans les deux secteurs public et privé ; la création du Grade D et du Grade exceptionnel dans l’échelle promotionnelle des enseignants chercheurs sur la base des critères de productivité scientifique et même pédagogique ; l’exonération de l’impôt sur le revenu sur l’indemnité de recherche scientifique ; la création du statut de chercheur et la révision complète de celui de l’enseignant chercheur.
  • Faire augmenter les effectifs des doctorants et surtout attirer les étudiants talentueux en accordant des bourses et des primes d’encouragement. Cette mesure doit s’inscrire dans une refonte profonde et globale de la formation doctorale (organisation, formation complémentaire, encadrement, mobilité).
  • Ressources matérielles et financières :
  • Mutualiser les ressources et les moyens, notamment les équipements lourds et les outils de la technologie de pointe.
  • Augmenter la part du PIB affectée à la recherche scientifique pour s’aligner avec les parts réservées par les pays émergeants.
  • Diversifier les sources de financement en impliquant davantage le secteur privé qui est appelé de prendre en charge la moitié de l’effort financier du pays en matière de recherche et d’innovation.
  • Assurer une répartition pondérée des fonds budgétaires selon les critères de performance et de rendement  entre établissements, structures de recherche et champs disciplinaires.
  • Environnement :
  • Instaurer un environnement de confiance, de reconnaissance et de considération entre les chercheurs, et avec les décideurs et les demandeurs des prestations des deux secteurs public et privé.
  • Encourager et inciter les industriels à conduire des activités de recherche et d’innovation, à travers les incitations fiscales comme le renforcement de la Provision pour la Recherche et Développement (PRD) et la Prestation Technologique Réseau (PTR).
  • Instaurer un mécanisme de rémunération de la performance et des résultats obtenus. Cela est essentiel du fait que la rémunération est l’un des facteurs déterminants de la motivation. En particulier, ce mécanisme doit récompenser et encourager les publications des articles dans des revues indexées par les deux bases de données reconnues Scopus et WOS (web of sciences).
  • Collaboration et internationalisation :
  • Encourager la collaboration pluridisciplinaire entre chercheurs, avec les industriels, mais aussi avec les autres pays du monde.
  • Intensifier l’internationalisation de la recherche en faisant accroitre les spectres de collaboration, de mobilité, des thèses en cotutelle, et des projets de recherche conjoints.

L’ensemble de ces treize leviers participent à la création d’un nouvel écosystème de la recherche qui doit être centré autour du chercheur. Ils sont tous indispensables pour changer la position à la traîne des universités marocaines dans les classements internationaux des institutions de l’enseignement supérieur.

(Université Mohamed Premier d’Oujda)

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