Un essai de Abderrahim Berrada, à Tarik Éditions 2018
Par Abdelmajid Baroudi
Dès le début l’auteur annonce sa couleur d’avocat. Il plaide pour que le Maroc devienne un Etat laïque comme le signale son éditeur. Outre l’argumentaire que l’ouvrage expose pour donner sens à sa plaidoirie, la richesse de cet écrit se consolide par son entreprise théorique, en plus de son a posteriori traduisant le projet de société dans lequel la notion de la laïcité pourra confortablement s’installer.
S’agissant du côté théorique auquel l’auteur s’est attelé, Abderrahim Berrada a pertinemment opté pour une approche didactique pour des raisons cognitives. Cette stratégie est d’ordre pragmatique même si elle se repose sur une pédagogie visant le bannissement de l’amalgame autour une notion méconnue par un bon nombre de citoyens censés la cultiver afin de renforcer ce qu’on appelle le vivre-ensemble que l’auteur ne cesse d’évoquer tout au long de son ouvrage.
Par quoi faut-il commencer?
Le constat avec lequel on peut qu’être d’accord révèle que la carence de représentation dont souffre la notion de laïcité est due à l’incompatibilité des qualificatifs que l’on a l’habitude d’attribuer à cette notion en invitant d’autres notions susceptibles de nuire à l’image de la laïcité et de ces qualificatifs à la fois.
Comment donc procéder pour dissiper cette ambivalence?
Abderrahim Berrada dans son ouvrage articule son rôle d’avocat avec celui de l’enseignant de philosophie. Après tout, Socrate n’était-il pas un très bon avocat qui a brillamment plaidé pour la vérité ? Il fallait d’entrée de jeu traquer le sens commun en le plaçant face à ses contradictions. Et pour réussir cet exercice de pédagogue, l’auteur opte pour la négation dans le but d’assigner à la notion de laïcité sa connotation transcendantale dont la raison l’emporte sur l’opinion. Il s’ensuit que la définition de la laïcité ne peut être assimilée que contrairement à ce que le sens commun lui attribue. «La laïcité serait, aux yeux de beaucoup de gens, parmi lesquels des personnes de bonne foi, synonyme de l’athéisme»(2).
Et l’auteur d’ajouter : «Il faut donc dénoncer cette mystification qui consiste à identifier la laïcité à l’athéisme imposé par l’Etat laïque» (3) Force donc est de constater que cette perception qui assimile la laïcité à l’athéisme est erronée, dans la mesure où l’exclusion de la religion de la laïcité porte atteinte à l’Etat dont le rôle est de préserver sa neutralité et son autonomie en séparant ce qui relève de la sphère publique de tout ce qui appartient au domaine du privé de la personne , en l’occurrence sa foi et ou ses penchants non religieuses.
L’auteur consolide son approche didactique munie de négation. Et ce pour endiguer la représentation selon laquelle la laïcité est contraire à l’islam. «Non, la laïcité n’est pas la guerre déclarée à l’islam et aux musulmans, puisqu’elle n’est l’ennemi d’aucune religion» (4) Il va sans dire que l’autonomie appelle la liberté. Dans ce cas précis, il est question de liberté de conscience que l’État laïque doit entretenir du moment qu’il s’agit d’un choix existentiel de l’individu. Ceci dit, ce choix personnel, émanant d’une conviction spirituelle ou philosophique, ne doit pas faire l’objet de projection portant atteinte au vivre-ensemble.
Abderrahim Berrada ne se limite pas au stade de la définition. La conceptualisation dépasse la problématisation, laquelle met en relief les contradictions et s’alimente de l’argumentation qui n’est autre que le développement d’autres concepts susceptibles de renforcer la notion sur laquelle l’auteur parie, celle de la laïcité. Ainsi, la démocratie est le concept transversal à la laïcité. D’autant plus que cette notion de laïcité s’alimente de la liberté et de tolérance.
Pourquoi la démocratie est-elle intrinsèque à la laïcité?
Lorsqu’on évoque la démocratie, il appert automatiquement que cette notion nous renvoie aux régimes politiques. La démonstration que l’auteur de Plaidoirie pour un Maroc laïque engagé est fluide et facile à retenir. On peut facilement vérifier si le postulat suivant est vrai ou faux : la démocratie est une condition sine qua none pour la laïcité. L’avocat doit illustrer la véracité de son postulat. L’illustration n’est pas d’ordre formel ou logique.
Au contraire, c’est à partir du vécu qu’on peut juger de la véracité du postulat précité. «La société démocratique devant ainsi être affranchie de toute tutelle religieuse, elle est libre d’édicter des lois dans la finalité est de servir ses intérêts sans avoir à se soucier de la question de savoir si ces lois sont conformes à telle ou telle règle religieuse, car les lois fondées sur la religion sont par nature destinées à servir les intérêts du seul groupe qui y adhère et non à l’ensemble de la communauté nationale». (5) La pertinence de cette proposition se réfère au régime politique démocratique tel qu’il est philosophiquement entrepris par Aristote, lequel régime vise l’intérêt général. Il est évident que le régime non démocratique favorisant une religion pour ses intérêts particuliers ne peut jamais être laïc. Il suffit simplement de se retourner vers les régimes fondés sur la religion pour s’assurer qu’ils sont allergiques à la laïcité, pour la simple raison c’est qu’ils ne sont pas démocratiques.
Les pays du Golf en sont l’illustration. En revanche , les pays dont la dictature ne tolère pas l’exercice du culte sous prétexte qu’il est contraire à l’athéisme ne vont jamais accepter que la liberté de conscience prime et que la laïcité s’établisse .Toutefois, force est de constater comme le souligne Abderrahim Berrada que seuls les pays démocratiques de par la neutralité de leurs Etats qui leur interdit de s’ingérer dans la vie religieuse des gens ont assigné à la laïcité son sens concret, voire institutionnel.
Si la première partie de Plaidoirie pour un Maroc revêt un caractère théorique de la notion de laïcité et que la portée transcendantale l’emporte sur l’a posteriori dont la raison, l’autonomie et la liberté voire la tolérance sont perçues comme émanation de la raison pour paraphraser Emmanuel Kant, la sécularisation, dont l’accommodement doit prendre en considération le spécificités culturelles d’une société, s’articule avec le projet de société que comporte la deuxième partie de cet ouvrage. Au demeurant, l’Etat doit donc accomplir une mission complexe.
Son rôle métaphysique ou transcendantal doit s’identifier a priori à la raison. En revanche, sa mission sociologique doit se concrétiser a posteriori par la préservation des Droits économiques, sociaux, culturels et politiques. Reste la question épineuse à traiter : comment affronter la problématique de la laïcité dans la société marocaine ? Il s’est avéré que plusieurs résistances d’ordre politique et théologique entravent la laïcité. Toutefois, le fait de dévoiler ces obstacles est à mes yeux un travail qui n’est pas facile car il est question de déconstruire les structures traduisant les mentalités et les pratiques qui se sont sédimentées depuis très longtemps.
C’est ce que Abderrahim Berrada a pioché depuis des années. Il a posé dans la deuxième partie de son essai les possibilités de construire ce projet de société sans s’arrêter sur le constat caractérisé par des rives en matière des Droits Humains, mais il a également posé des pistes de réflexion susceptibles de transformer les fondements institutionnels de cette résistance en vue d’un projet laïque où la justice sociale doit régner.