Des écrivains à l’heure du Covid-19
Un grand mal s’abat sur la planète Terre et chacun y va de sa petite potion magique, chacun glose et creuse la question, approfondit l’analyse, explique, justifie, réfute et argumente… Beaucoup d’encre traitant du Covid-19 a coulé sur cette page.
A quoi servent les mots face aux grands mots ? Je n’en sais rien, mais je dois avouer que je suis sceptique. Je vous livre mes trois «peut-être» :
Et de un : Peut-être qu’il était temps de rétropédaler. Cette pandémie arrive probablement au bon moment, c’est-à-dire avant qu’il ne soit trop tard.
«Ô temps, suspends ton vol… !» chantait Alphonse de Lamartine dans un tout autre contexte et pour de bien différentes visées.
Toutefois, je crois qu’il était temps de réduire la vitesse et saisir l’occasion pour la réflexion, sinon pour la méditation. Les choses vont tellement vite ces dernières années que l’être humain réagit machinalement suivant le diktat de la déesse Tendance : on voyage parce qu’il faut voyager pendant les vacances, on achète parce qu’il faut consommer, on doit posséder la dernière version d’un logiciel dont on n’aura jamais à se servir, toujours plus grand, toujours plus gros, toujours plus vite…
C’est comme ça ! On ne prend même plus le temps pour identifier nos besoins. J’exagère à peine. Seuls quelques esprits éclairés (rares hélas !) tirent la sonnette d’alarme. Je pense à ce délicieux livre de Dany Laferrière dont le titre aux connotations nostalgiques est hautement significatif : «L’Art presque perdu de ne rien faire» (Éditions Grasset, 2014). Cet académicien qui a gardé intacte son âme insulaire, étant originaire d’Haïti, a consigné de belles choses dans ce livre que je vous recommande. Il a notamment, entre autres, fait cet alarmant constat : « Une société est en danger quand ses vieux accélèrent le rythme au lieu de ralentir. » A méditer !
Et de deux : Peut-être que demain sera meilleur.
Hölderlin disait : «Là où croit le danger, croit aussi ce qui sauve ». Il parait que la nature est en train en ce temps de confinement de l’humain de reprendre ses droits.Que c’est beau le spectacle de ces quelques poissons qui explorent à nouveau les canaux de Venise auparavant infestés de touristes indélicats dont j’ai fait partie à deux reprises (mea culpa) ! Le ménage serait-il en train de se faire ? En ce début de printemps, les fleurs éclosent sur un air relativement moins pollué qu’il y a quelques semaines. Tant mieux pour les fleurs ! Les oiseaux chantent et ne sont pas bousculés par les avions qui ne passent plus. Apparemment, l’équation est simple : moins de dioxyde d’azote égale plus de vie. Mais les gens meurent à tour de bras ! me dirait-on indignés. Eh oui, la planète bleue est à la fois formidable et misérable.
Par ailleurs, cette pandémie du coronavirus ferait peut-être prendre conscience aux responsables de la nécessité d’accorder plus d’intérêt à certains secteurs, notamment celui de la santé. Beaucoup de nos dirigeants ici au Maroc n’ont jamais mis un seul orteil dans un hôpital public. Au moindre petit bobo, ils sautent dans le premier avion et se font soigner à l’étranger, en Europe ou aux États-Unis. Aujourd’hui, Sir Corona a condamné toutes les issues : «tu ne voleras point!» raille-t-il les habitués des cieux. Il est de notoriété publique que nos hôpitaux sont inhospitaliers. Espérons que nos gouvernants accorderont plus d’importance à ces lieux demain… si on s’en sort aujourd’hui.
Il en est de même pour le secteur de l’enseignement : dès que le confinement a été décrété et pour sauver la face (et quelle face !), on a commencé à parler de l’enseignement à distance. Mais ça se prépare ! On ne peut pas demander à des gens qui n’ont bénéficié d’aucune formation dans ce domaine de devenir, du jour au lendemain, des experts de la formation à distance. Les élèves sont-ils équipés ? Il y a encore pas mal de régions au Maroc, notamment dans le monde rural, qui ne sont même pas reliées au réseau d’électricité et pour lesquelles le réseau Internet relève de la science-fiction. Ne les oublions pas… et peut-être nous aurons un lendemain meilleur.
Et de trois : Peut-être cette fois on s’en sortira si on reste enfermés… avec des livres, avec des mots, avec de la culture. Le confinement a ses vertus aussi sur le plan individuel. Passer le temps en famille, en couple, entre frères et sœurs, entre parents et leurs enfants… être «obligés» de communiquer et de faire des activités ensemble. Même quand on est seul, c’est le moment de méditer. Et enfin LIRE ou lire encore plus que d’habitude ou même relire. La lecture et la culture en général peuvent sauver la vie. Un livre est cet objet qui ouvre des horizons illimités même dans les confinements les plus sévères. Une bonne musique fait voyager mieux que le plus sophistiqué des avions. Un tableau est une porte ouverte sur les utopies les plus merveilleuses. Espérons que ce choc épidémique redorera le blason de la culture et lui accordera dans le budget des États la place qu’elle mérite.
Après les trois «peut-être», y a-t-il des mots pour les maux?
Je ne saurai répondre. Nul ne peut le dire.