Action climatique locale: le casse-tête du financement

Si les acteurs non-étatiques sont de plus en plus conscients de leur rôle dans l’adaptation aux enjeux climatiques, plusieurs, sinon la majorité, butent à un obstacle titanesque : l’accès au financement. Dans cet échiquier, les acteurs locaux africains semblent les plus vulnérables. Leur accès au financement est le plus faible. Pour les intervenants à la plénière « Comment aligner les flux de financement pour une action climatique locale ? », organisée lundi dans le cadre du Sommet Climate Chance, la solution aux enjeux de financement réside dans le panachage des outils de financement, l’appui des acteurs locaux à la structuration et la planification des besoins d’investissement et la conception des projets climato-compatibles adaptés.

«La question du financement est l’un des sujets les plus complexes et politiques en matière climatique», a confié le président de la COP 22, Salaheddine Mezouar. En cause, «les fonds de développement, pas forcément privés, réfléchissent habituellement en termes de retour sur investissement politique ou de positionnement de leurs intérêts», explique Mezouar. En conséquence, les acteurs non-étatiques, porteurs de projets verts, notamment africains, peinent à obtenir des financements, étant donné l’absence de garantie. «Les villes africaines n’ont pas accès au financement à cause des questions de garantie, des fonds d’aide directe », a déclaré Ronan Dantec, président de l’association Climate Chance. Pour Mezouar, le défi de l’accès au financement se trouverait un peu plus en amont. En effet, les procédés de financement seraient, à son avis, généralement compliqués, se hissant comme une entrave à la conception de projets par plusieurs acteurs locaux. Un autre défi à l’échelle mondiale serait lié au retrait des Etats Unis, grand pourvoyeur du fonds verts, de l’accord de Paris. Un retrait qui aurait privé le Fonds vert de 2 milliards de dollars, a expliqué Mezouar.

En plus de ces défis d’ordre « politique », existent d’autres contraintes, entre autres le manque d’expertise des territoires dans l’identification, la structuration et la planification des besoins d’investissement, de même que la conception de projets verts viables, a pointé du doigt pour sa part, Denise Engel, chef de Projet au GIZ. Résultat : les villes élaborent des projets qui ne sont pas bancables. « Les institutions financières ne savent pas comment les aider. Dans plusieurs pays, « il n’y a pas de coordination entre les acteurs de financement des projets locaux », a-t-elle souligné.Même son de cloche chez Daouda Ndiaye, senior expert pour le Fonds pour l’adaptation, qui indique que l’intermédiation du gouvernement entre les acteurs locaux et les fonds de financement multilatéraux ne facilite pas l’accès des acteurs locaux au financement.

Comment faciliter l’accès des acteurs locaux au financement pour les projets climato-compatibles adaptés ? Comment veiller à la mise en place des recommandations internationales sur la facilitation de l’accès au financement ? «Face aux immenses besoins de financement (5 milliards de dollars), on ne pourra pas y arriver. Il faut diversifier les sources de financement et trouver des moyens de financement innovants», a répondu pour sa part Anne Odic, responsable de la division collectivités locales et développement urbain de l’Agence Française de développement. Selon elle, «l’endettement n’est pas la clé. Il faut innover dans les modes de financement, à travers la mobilisation des recettes locales, les fiscalités locales, l’appui des Etats aux porteurs de projet». «Le financement des banques ne pourra suffire. Il est nécessaire qu’il y’ait un marché de capitaux », a déclaré quant à lui Hamid Tawfiki, directeur général de CDG Maroc. Et Daouda Ndiaye de renchérir : «il faut un panachage des modes de financement».

Pour Marine de bazelaire, directrice développement durable HSBC, «il faut permettre aux acteurs locaux et aux pays de transformer leurs NDCs (nationally determined contributions) en projets bancables». Pour ce faire,il est nécessaire d’avoir des centres de compétences pour appuyer les acteurs locaux dans la conception de leurs projets et les rendre éligibles aux financements. «Notre démarche consiste à faire en sorte que les procédés de financement soient moins compliqués, qu’ils soient simplifiés.  Nous voulons que sur le terrain, les centres de compétences aident les acteurs dans la structuration des projets. Pour les pays africains, il y’a un réel besoin dans ce sens, car bien souvent, on évoque l’incapacité de mise en œuvre des projets verts», a déclaré Mezouar.

Si la COP n’est pas habilitée à prendre seule des décisions sur le financement, comme l’a confié Ronan Dantec, la présidence marocaine continue de se mobiliser pour faciliter l’accès des pays africains au financement des projets climat. Elle aurait travaillé avec les organisations internationales, les bailleurs de fonds, les fonds de développement et les banques régionales et institutionnelles pour permettre l’accompagnement de politiques publiques. « En tant que présidence, nous nous mobilisons également pour que les arrières pensées qui accompagnent les décisions de financement des pays en voie de développement soient levées pour permettre à ces pays d’accéder au financement », a conclu Mezouar. Dans le cadre de cette politique d’accompagnement, une conférence sera organisée les 3 et 4 octobre à Rabat  pour accompagner les Etats dans l’évaluation de leurs NDCs.

 

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«Les régions ont une grande responsabilité

dans la réussite du défi des aléas climatiques»

Al Bayane : La région Souss Massa, co-organisatrice de ce Sommet Climate Chance, est l’une des régions pionnières du Maroc en matière de questions climatiques. Comment expliquez-vous cette particularité par rapport aux autres régions?

Brahim Hafidi : La région Souss-Massa a vécu les effets du changement climatique depuis très longtemps, même avant qu’on en parle à l’échelle internationale et même avant la COP22. Nous étions menacés par la sécheresse, les inondations… Donc, nous avons pris des mesures d’adaptation et nous n’avions pas de choix. C’était une question de vie ou de mort. Nous avons fait un grand travail sur la gestion des ressources en eau. Puisque nous sommes une zone agricole et que notre économie est basée sur l’agriculture, nous devions prendre des mesures d’adaptation pour sauvegarder le secteur: avoir des barrages, piloter l’irrigation… Nous étions également soumis à des inondations, puisque les changements climatiques se traduisent également par des pluies torrentielles. Toutes nos villes, comme nous sommes sur la plaine, sont toujours sujettes à des dégâts d’inondation. La ville d’Agadir était inondée, même quand il n’y avait que 50 mm de pluies. Nous avons également pris des mesures de protection. Aujourd’hui, Agadir, même avec les dernières inondations, n’a pas été touché, puisqu’on a réalisé des barrages de protection sur tous les fleuves qui viennent de la mer. Là, nous sommes tranquilles. De même, la ville commerciale Inezgane est totalement protégée par des digues. Nous avons tout un programme pour protéger toutes les villes contre les inondations.

Aujourd’hui, nous avons également réalisé notre PTRC (Plan territorial de lutte contre le réchauffement climatique). Nous aimerions connaitre les gaz à effet de serre que nous émettons. C’est quelque chose de nouveau pour nous. Nous avons déjà identifié les gaz émis par secteur. Nous allons mettre en place des mesures pour atténuer ces gaz. De cette façon, nous allons nous orienter vers le zéro carbone. Nous voulons également avoir un label de développement durable pour cette région ainsi qu’un label « menu bon pour le climat ». Nous avons déjà encadré des restaurants à l’occasion de ce sommet. Tous les repas qui sont servis lors de ce sommet sont des « menus bons pour le climat ». C’est à dire que nous calculons même la quantité carbone de chaque aliment qui sera dans le menu.

Comment accroitre la mobilisation des autres régions en matière de climat ?

Je pense qu’aujourd’hui, le Maroc s’est engagé en tant que pays. Il a fait un plan national, une stratégie de lutte contre le réchauffement climatique. Normalement, toutes les régions doivent avoir leur PTRC (Plan territorial de lutte contre le réchauffement climatique).  Certaines régions ont commencé, d’autres vont le faire. Je pense que les présidents des régions ont une grande responsabilité puisque pour toutes les mesures qui seront prises par le gouvernement, les actions auront lieu dans les territoires et le territoire le plus proche du gouvernement, c’est la région. La région doit travailler avec les villes, les communes, les autres acteurs non étatiques comme les entreprises… C’est ainsi qu’on va réussir le défi des aléas climatiques.

Toutes les régions ont-elles répondu à votre invitation pour ce sommet ?

La majorité des régions sont représentées à ce sommet. La société civile est très fortement présente. On retrouve beaucoup d’associations de toutes les régions, ainsi que l’association de présidents des communes, l’association des présidents de région… Je crois que parmi les 5000 participants, il y’a beaucoup d’Africains et de Marocains, en particulier.

Danielle Engolo

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