Ahmed Tayeb Laâlej, le «Molière marocain» enraciné

Autodidacte, talentueux, créatif, poète enraciné, dramaturge universel… Ahmed Tayeb Laâlej est l’une des étoiles culturelles, artistiques marocaines, magrébines et arabes qui ont brillé et qui brillent de mille feux dans le ciel de la création.

Du théâtre à la chanson en passant par la poésie, Laâlej incarne l’image de l’intellectuel et du créateur prolifique dont l’âme de ses travaux est puisée dans la culture marocaine plurielle et enracinée dans l’Histoire. Ses œuvres, en outre, témoignent de cette ouverture sur les grands textes du théâtre universel. C’est lui, comme tout le monde le sait, qui a adapté les grands monstres de l’écriture théâtrale, entre autres Molière, Jules Romain et Berthold Brecht. En darija, il a adapté «Le bourgeois gentilhomme», «Le Barbier de Séville», «Tartuffe», «Les fourberies de Scapin», pour ne citer que ceux-là.

Par ailleurs, le doyen des hommes de théâtre marocain compte à son actif une belle brochette de pièces de théâtre qui ont marqué le paysage culturel national dont la fameuse pièce «Nechba», «Wali Allah», «Hada», «Al-Hajj ‘Adama», «A’mayil Joha». Certainement, la troupe de la «Maâmora» a vécu avec lui un âge d’or où le théâtre marocain a commencé à connaitre un véritable essor.

«Je l’ai rencontré pour la première fois en travaillant sur la pièce  «Nechba». Au début, il assistait aux répétitions, et quand je l’ai vu, je lui ai dit que je voudrais lire sa pièce de théâtre avec mes propres lunettes. Et par la suite, il n’est jamais venu jusqu’à l’avant première. Il a aimé la pièce et depuis, on a entretenu de bonnes relations… par la suite, nous sommes restés ensemble, on échangeait», nous a confié le dramaturge et metteur en scène, Bouhcine Massaoud. Un obsédé textuel, un éternel amoureux des arts populaires, Ahmed Tayeb Laâlej a partagé sa vie avec les mots, les vers et  l’écriture. C’est grâce à lui d’ailleurs que la darija a connu de beaux moments de gloire, de splendeur… Il l’a fait aimer aux Marocains avec son propre style intelligent, poétique et plein d’humour. Il ne faut pas oublier que c’est de ses propres mains qu’il construisait les décors pour ses pièces. Un artiste accompli !

«On a travaillé ensemble sur d’autres pièces. En le côtoyant, j’ai découvert son rituel d’écriture, sa vision du monde et de l’art. C’est un dramaturge et écrivain professionnel. Il était toujours submergé dans l’écriture même dans les derniers jours de sa vie», ajoute Bouhcine.

Et d’ajouter : «il a puisé dans la culture populaire, dans la poésie et le zajal. Il écoutait les histoires des vielles dames de sa famille quand il était petit. En effet, son expérience dans la vie, dans le commerce lui a donné cette possibilité de connaitre de près la société marocaine et le vécu du gens», souligne-t-il. De simple commerçant de légumes et de journaux, cet artiste a su et pu s’imposer sur scène grâce à son génie et son travail au fil des ans.

Il va sans dire que l’originalité de l’œuvre et la singularité d’Ahmed Tayeb Laâlej résident dans le fait de démarrer de cette dimension locale, marocaine, authentique et originale pour embrasser d’autres cultures mondiales et universelles.

«Il s’est inspiré des contes, et après, a adapté Molière. Laâlej était l’un des dramaturges qui savait écrire le personnage du ‘’rusé’’ qui peut changer la donne et créer des situations comiques à travers ce genre de personnages. A vrai dire, il s’est inspiré des personnages de Jha et Molière. Il a beaucoup adapté des textes et des œuvres théâtrales, mais a écrit aussi, dont près de 200 textes qui ne sont pas tous joués, sans parler du zajal et de la chanson.», a-t-il ajouté.

Un sculpteur de mots, Laâlej avait cette capacité de retravailler le corps de la langue, de rénover la darija en la rendant plus poétique, plus accessible ; et de célébrer ainsi les formes et les expressions artistiques populaires  dans la musique comme dans le théâtre. «Mana illa bachar» interprétée par Abdelouahab Doukkali, «Khouyi khouyi», interprétée par Latifa Raâfat et bien d’autres titres de chansons à succès  comme «Marsoul lhob» qui ont charmé le public pendant des années ont été écrites par cette figure emblématique aux multiples talents.

«Mana illa bachar» a été  une pièce de théâtre avant d’être une chanson. C’est un poète au vrai sens du terme. Il est aussi chercheur dans le patrimoine populaire marocain. On peut citer à titre d’exemple son  poème  «Alfiya» qu’il avait écrit sur la ville de Fès. C’est un personnage qui a vécu l’art quotidiennement, jour pour jour», conclut Bouhcine Massoud. Cet homme sage et artiste accompli qui avait un sens de la satire et de l’humour était toujours en quête d’originalité et d’innovation. Il a rendu l’âme le ler décembre 2012 à Rabat. Mais n’est pas mort dans les mémoires de ceux qui l’adulaient!

Mohamed Nait Youssef

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