Usines fermées, patrons en prison et des milliers de salariés sur le carreau: le projet de construction d’usines de montage automobile, censé devenir le fleuron industriel de l’Algérie, a tourné au fiasco, contraignant les autorités à tout remettre à plat.
«Le gouvernement prépare la relance de cette industrie sur des bases solides qui rompent avec les pratiques du passé», a promis en janvier le ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali.
Des abus, malversations et faits de corruption sont à l’origine du fiasco des usines «made in Algérie».
‘industrie automobile y a vu le jour en 2012 à la faveur d’un partenariat entre Renault et le gouvernement algérien, qui a débouché en 2014 sur la construction de la première usine de production de voitures, près d’Oran (nord-ouest), la deuxième ville du pays.
Par la suite, d’autres ateliers de montage ont été créés lorsque les autorités ont contraint les concessionnaires automobiles à produire localement via des partenariats avec des marques étrangères.
Après Renault, le sud-coréen Hyundai et l’allemand Volkswagen ont ouvert en 2016 et 2017 leurs usines à Tiaret et Relizane (nord-ouest).
Cette filière était devenue une priorité pour l’Algérie qui cherchait à réduire ses importations et diversifier son économie face à la chute des revenus pétroliers, source de plus de 90% de devises.
Mais dès le printemps 2017, le secteur s’est retrouvé au coeur la controverse.
Les autorités ont dénoncé des «importations déguisées» et dépêché une commission d’enquête chez Hyundai après la diffusion d’images sur les réseaux sociaux de modèles importés quasi complets, sur lesquels ne restait qu’à monter les roues.
Fin juillet 2017, l’ex-ministre de l’Industrie, Mahdjoub Bedda, aujourd’hui en prison pour son rôle dans ce dossier, a suspendu tout nouveau projet de montage automobile.
Ce fiasco est dû principalement au SKD («semi knocked down»), qui consiste à importer un véhicule en kits prémontés, simplement rivetés ou boulonnés sur place. Ce système a ouvert la voie à des abus tels des importations «déguisées», des transferts illicites d’argent à l’étranger ou des surfacturations pour gonfler les prix de revient des véhicules «montés».
Après la chute du président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019 et la condamnation de plusieurs patrons d’usines de montage, le président Abdelmadjid Tebboune, arrivé au pouvoir en décembre 2019, a promis de remettre à plat le secteur entaché par la corruption.
«Certains projets ne peuvent être qualifiés d’industrie car il s’agit simplement d’une importation masquée», a-t-il dénoncé au lendemain de son élection.
Résultat: l’importation de pièces détachées destinées aux usines de montage a été interdite. Cette décision a sonné le glas de cette jeune industrie, déjà en grande difficulté depuis l’incarcération de la quasi-totalité de ses patrons à la suite d’enquêtes diligentées après la démission de M. Bouteflika.
En décembre 2019, Volkswagen a suspendu sine die sa production faute de pièces et mis au chômage technique 700 salariés.
En mai 2020, c’est la filiale algérienne du sud-coréen Kia qui a fermé sa chaîne de montage, jetant au chômage 1.200 employés.
Ce scandale automobile au coeur du premier grand procès pour corruption de l’ère Bouteflika a conduit en prison d’anciens Premiers ministres (Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal), deux ex-ministres de l’Industrie et des hommes d’affaires comme Mahieddine Tahkout (Huyndai) ou Mourad Oulmi (Volkswagen).
Leurs procès ont montré que ces entreprises ont été favorisées malgré un cahier des charges rarement respecté, et ont bénéficié d’importantes aides publiques et d’avantages fiscaux.
Pour parer toute réédition d’un tel scénario, le gouvernement a adopté en août un nouveau cahier des charges prévoyant notamment un taux d’intégration (de pièces fabriquées localement) de 30% au démarrage.
Mais «il est illusoire de prétendre mettre sur pied une industrie automobile sans savoir-faire», souligne l’expert Mourad Saadi.
L’échec de l’expérience du montage automobile est notamment dû à l’absence d’un véritable marché de la sous-traitance, capable de fournir les usines en pièces fabriquées en Algérie, selon M. Saadi.
Le ministre de l’Industrie, critiqué pour le retard sur le nouveau cahier des charges, a récemment évoqué «des discussions avec des Allemands et d’autres opérateurs mondiaux pour lancer une véritable industrie de véhicules touristiques et utilitaires». Mais, pour l’instant, aucun constructeur ne s’est manifesté.
Au Maghreb, le Maroc a lui aussi misé sur l’industrie automobile, axe stratégique de son économie, devenue le premier secteur exportateur du pays, avec l’implantation d’usines géantes du groupe Renault-Nissan (2012 et 2019) et de son rival PSA (2019), grâce à une politique fiscale et douanière incitative.