Ascenseur

Mostafa est un enfant du douar. Il se rappelle ses jeux avec ceux de son âge ; particulièrement ses moments de plaisir dans la séguia. L’eau qui était destinée à irriguer les sols servait aussi, entre autres, pour rafraichir les corps de ces enfants dont la chaleur accentuait l’exténuation.

Cette sensation de bienêtre ressentie dans la séguia face à une torride chaleur, Mostafa la retrouva bien après. Il la perçût quand il s’allongea sur le lit de la chambre qui lui fût allouée dans la ville capitale des Gaules. Mostafa se souvenait que le couvre-lit avait une couleur orange. Il apprécia le chemin parcouru, du douar à la grande ville universitaire où il entamait sa formation de spécialiste en gastro entérologie.

Parlant de la ville qui l’a reçue dans le cadre d’un programme de coopération et d’échanges entre son université et celle de Casablanca, il ne pouvait pas ne pas aborder son premier déboire lors de sa première visite à la cité «de la folie et de l’insouciance» comme on la surnommait. En bande, les enfants du douar décidèrent d’y aller à bicyclette y faire une ballade et découvrir ses charmes. Une fois arrivés, ils abandonnèrent leurs montures à côté d’un vieux qui leur semblaient inamovible. Après qu’ils s’égayèrent à travers les boulevards, ils voulaient revenir à leur douar tant qu’il faisait encore jour. Point de bicyclettes et point de vieux ! C’est ce choc qui rendit Mostafa vigilant à l’égard des citadins. Il se méfie toujours de ce que l’agglomération urbaine cache dans son ventre.

Ayant terminé sa formation, il revint au pays natal. Et, afin de ne pas être soumis à la tentation de revenir à la confluence entre la Saône et le Rhône où il s’y est fait d’agréables souvenirs, il détruisit toute carte ou document pouvant lui faciliter cette migration.

Il bourlingua alors à travers les provinces du royaume dans le secteur public dont il connaît maintenant toutes les ficelles. Passant au secteur privé, il servit et se fit beaucoup de «binga» comme il le raconte. Mostafa se maria et assura la pérennité de son nom. L’aîné de sa progéniture vient d’avoir le baccalauréat et exprime son désir de faire médecine. Quel bonheur ! Mostafa dont les parents n’ont pu s’occuper de ses études était un papa poule. Il entourait son enfant de toute la protection qui lui semblait nécessaire pour le préserver du mal.

Mostafa porta la candidature de son fils à toutes les facultés de médecine du pays, qu’il s’agisse d’établissement public ou «à gestion privée». Ne voulant pas rater l’inscription à ces établissements à accès régulé, il entama des procédures à l’étranger pour s’assurer bel et bien que son fils aura «la profession de son père». Il était prêt à toutes les dépenses nécessaires pour cela. La réussite de Mostafa se traduisait aussi par une largesse dans les moyens et l’investissement dans l’immobilier et l’aménagement touristique dans la belle région où il est né. Pour faire plaisir à son fils, préparer la transition vers sa nouvelle vie d’étudiant et en tirer toutes les conclusions, il laissa son héritier dans la ville ocre de notre beau pays pour tester ses capacités à s’autogérer.

Rien à voir avec son parcours, chaotique parfois, de la faculté de Derb Ghallaf à la Faculté des Mérieux et de Claude Bernard.Dans toute sa joie, Mostafa sentait une appréhension qui le faisait revenir à la réalité de son vécu. L’enseignement est devenu inégalitaire et l’ascenseur social qui lui a permis de se construire en «self made man» s’est transformé pour son fils en escalier avec la peur du déclassement malgré les changements économiques et sociaux que connaît le pays.

Mostafa n’est pas le seul à vivre cette ambition et cette angoisse. Ils sont nombreux à courir avec leurs enfants pour leur permettre un parcours dans l’enseignement supérieur leur permettant d’assurer une vie future digne et valorisante. Abstentionnistes en général, ils sont nombreux dans l’attente et répètent à qui veut les entendre cette rémanence d’une culture générale, d’une lecture ou d’un engagement antérieur : «A. de Tocqueville indiquait que la démocratisation, résulte du fait que les idéaux démocratiques ne pouvaient s’arrêter à l’exercice formel d’une égalité politique … ainsi à l’égalité politique du citoyen devait pouvoir correspondre une égalité sociale, non pas des situations elles-mêmes, mais des conditions de leur accès». Ascenseur quand tu nous manques !

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