L’artiste, c’est le style. Et Azelarab Kaghat en a. Le comédien excelle dans ses rôles, dans son jeu d’acteur raffiné et accroche le public par sa présence remarquable et sa prestance. Sa voix rauque, sa présence charismatique et son visage qui crève l’écran révèlent un comédien hors pair.
Les débuts d’Azelarab sur les planches remontent aux années 60 à Fès. En 1956, pendant la période de l’indépendance, raconte-t-il, Ssi Mohamed Kaghat, qui n’est autre que son grand frère, avait une troupe au quartier qui s’appelait «Achbal Al Atlas Al Faniya». «À l’époque j’avais 8ans, je les accompagnais et je les regardais avec beaucoup d’intérêt et d’engouement. On avait un club au cimetière où on faisait les répétitions», nous confie-t-il. En 1959, Mohamed s’en va au Centre de recherches théâtrales et intègre la troupe théâtrale Al Mâamora avant de revenir exercer dans le domaine de l’enseignement. C’était la belle période du théâtre amateur.
La première apparition d’Azelarab Kaghat remonte à1966 quand il joue un rôle dans la pièce «Walili» de Rachid Bencherif et réalisée par Ahmed Zaki Alaoui. «J’ai joué le rôle d’un leader romain que j’ai appris par cœur et que je maitrise jusqu’à présent parce qu’il était en arabe classique. Dans cette pièce, Mohamed incarnait Marcus», poursuit-il. Après, les rôles se succèdent dans d’autres pièces, entre autres «Dawama» de Zaki Alaoui, «l’homme qui a menti aux anges» réalisée par Mohamed Kaghat. Sa première expérience dans la réalisation en 1970 a été marquée par la participation de grands noms de la scène théâtrale nationale comme Timoud, Fatima Chebchoub, Brahim Demnati, Lhoucine Lemrini.
Dans les années 60 et 70, le théâtre connait un véritable essor. « La ville de Fès était pionnière dans le domaine du théâtre parce qu’il y avait un bon nombre de troupes théâtrales malgré la rareté des maisons de jeunes. Chaque maison de jeunes abritait 6 à 7 troupes de théâtre. C’est vrai, qu’en 1956, on avait commencé nos répétitions dans un cimetière, mais on a investi par la suite nos propres maisons », affirme-t-il.
Dans chaque maison de la ville, il y avait une troupe de théâtre. Par exemple, le théâtre « Chaabi » faisait ses répétitions dans un grand hangar. Il y avait aussi la troupe Spoutnik. «Il y avait une dynamique artistique et théâtrale importante dans la ville», précise-t-il. D’après lui, à l’époque, les troupes louaient de grandes maisons où elles installaient des scènes pour les répétitions. «Notre maison était un grand théâtre. La rue était également un théâtre à ciel ouvert», raconte-t-il sur un ton nostalgique. Par contre, la ville, affirme-t-il, n’a jamais eu une véritable institution ou un grand édifice dédié au théâtre. «Aujourd’hui, il y a des problèmes dans la gestion de la chose théâtrale, en particulier et culturelle, en général dans la ville.
Or, le ministre de la Culture m’a informé que les travaux de construction d’un grand théâtre seront entamés cette année parce que le petit théâtre bâti par la commune ne répond pas aux normes d’un véritable théâtre », indique-t-il. La ville de Fès a été depuis toujours une terre de science, de culture et des arts. Ses monuments, ses vestiges et son histoire en témoignent. « À Fès, on avait le théâtre & cinéma ‘’Empire’’ qui était important. J’ai proposé à la commune de restaurer et réhabiliter ce beau bijou (1200 sièges), mais il a été pris et investi par Megarama. Aujourd’hui, même s’ils construisent un autre théâtre, il ne sera pas comme celui-ci qui répondait aux normes d’un véritable théâtre», fait savoir Azelarab Kaghat.
A l’instar d’autres villes marocaines, l’action théâtrale a connu son essor avec l’avènement du théâtre amateur qui a vu naître des figures emblématiques dont Zaki Houari, Abdelhak Zerouali qui sont issues de la ville de Fès. Dans le temps, c’est l’amour pour le théâtre qui primait, confie-t-il. «On prenait une boîte de sardines pour couper la faim, et puis, on commençait à jouer. Un jour, nous avions un spectacle au Théâtre National Mohammed V. A ce moment là, ils nous donnaient des réquisitions du Ministère de la jeunesse. Un jour, j’ai demandé mes réquisitions à Zaki Aloui pour aller voir ma fiancée à Casablanca. Il m’a répondu: «tu es venu avec nous, et tu y reviendras avec nous (Sic). Mais, je suis allé voir ma fiancée avec mon propre argent. Ceci pour vous dire, qu’on faisait le théâtre par amour et par passion».
Azelarab Kaghat demeure l’un des artistes de haut calibre qui n’a pas eu la place qu’il mérite dans le paysage cinématographique et culturel national.
Mohamed Nait Youssef