Le Brexit et le 20ème anniversaire de l’accord du «Vendredi Saint»

L’accord dit du «Vendredi saint» conclu le 10 Avril 1998 par Bertie Ahern et Tony Blair, respectivement premiers ministres d’Irlande et du Royaume-Uni, est un savant compromis qui avait été approuvé par référendum aussi bien au Nord qu’au Sud de l’île d’Irlande et qui avait permis de mettre un terme à une guerre civile qui avait duré trente années et fait plus de 3600 morts. Cet arrangement avait instauré un partage du pouvoir régional à Belfast entre les protestants, unionistes, voulant rester dans le Royaume-Uni et les catholiques, républicains, qui, eux, souhaitent un rattachement à la République d’Irlande.

Par cet accord, Dublin avait donc renoncé à revendiquer l’Irlande du Nord, Londres avait accepté qu’un vote puisse conduire à une réunification de l’île donc accepté de se séparer de «sa province» alors que l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) et tous les autres groupes paramilitaires avaient été démantelés.

Mais alors que la première conséquence concrète de cet accord historique avait été la suppression de la frontière militarisée qui divisait l’île, la décision prise par  Theresa May de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union Européenne implique le rétablissement de contrôles douaniers entre les deux Irlandes quand bien même la Première Ministre britannique a signifié, à maintes reprises, son refus d’ériger des « frontières en dur » et manifesté son souhait de mettre en place « un partenariat douanier» qui, avec de «légers» contrôles, devrait contribuer à faciliter la circulation des biens.

Car loin d’être une question anodine ayant trait à la gestion du flux des camions de transport de marchandises, le Brexit remet sur le tapis les épineuses questions de l’identité irlandaise et de la réunification de l’île qui restent au cœur des revendications des nationalistes alors qu’une sortie du Royaume-Uni de l’U.E. implique nécessairement le rétablissement de la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud qui avait disparu avec l’accord du Vendredi Saint pour laisser place à la paix.

Posée comme suit, «Pour ou contre le Brexit ?», la question fragilise la paix car elle véhicule l’idée d’une division politique donc de nouvelles tensions qui ne pourront que venir s’ajouter aux anciens clivages protestants/catholiques et unionistes/républicains.

Créant donc une nouvelle séparation entre les irlandais des deux bords, le Brexit ne peut que bouleverser le fragile équilibre instauré le 10 Avril 1998 et ramener, au centre du débat, la question de la frontière entre le nord et le sud de l’île irlandaise et, par voie de conséquence, la revendication historique ayant trait à la réunification d’un territoire divisé, depuis 1921, entre l’Irlande du Nord, devenue depuis une province du Royaume-Uni et la République d’Irlande.

Tout cela semble donner raison à Gerry Adams, ce vieux dirigeant du Sinn Fein et, dit-on de son bras armé l’Armée Républicaine Irlandaise, qui disait, il y a quelques semaines, lors d’une manifestation tenue à Londres, que le Brexit reste «une menace directe pour la paix» et aura «de sombres conséquences pour les habitants de toute l’île d’Irlande ». Il avait d’ailleurs saisi cette occasion pour inviter tous ses compatriotes à «défendre l’accord du Vendredi Saint» qui avait mis fin à trente années d’effusion de sang.

L’accord du Vendredi Saint sera-t-il préservé ou enterré par le Brexit? Le Brexit sauvegardera-t-il la paix ou fera-t-il ressortir certains vieux démons des placards où ils étaient enfouis depuis vingt ans ? Autant de questions qui sont, pour l’heure, sans réponse mais attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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