Débat sur la pauvreté: le modèle de développement pointé du doigt

Abdelahed Fassi Fihri: La pauvreté focalise le débat national

La problématique de la pauvreté est un sujet d’actualité qui focalise le débat national en partant notamment des différents rapports du Haut-commissariat au plan (HCP) afférents à la question et surtout du drame survenu récemment dans la province d’Essaouira, au cours duquel 15 femmes ont trouvé la mort lors d’une opération de distribution de paniers de denrées alimentaires, a affirmé Abdelahed Fassi Fihri, membre du Bureau politique du parti du progrès et du socialisme lors d’une table ronde organisée jeudi soir à Rabat et dont il assurait la modération.

L’actualité du sujet s’explique aussi par le fait que la pauvreté est également en rapport avec le mode de développement du pays, qui a montré ses limites. C’est pourquoi sa révision fait désormais l’unanimité de tous y compris des pouvoirs publics, a-t-il encore expliqué.

La participation du PPS à ce débat visant à la révision du modèle de développement du pays est dictée avant tout par sa volonté de peaufiner et d’approfondir la réflexion sur le sujet et de finaliser ses projets d’alternatives à proposer dans le cadre des préparatifs de son 10ème congrès national, prévu en mai 2018, a-t-il dit, notant au passage que deux autres tables rondes sont programmées pour le 28 décembre courant sur « les disparités sociales et spatiales » et pour le 10 janvier 2018 sur «le développement des zones montagneuses» au siège national du parti à Rabat.

Il s’est ensuite interrogé sur la pertinence des différents programmes en matière de lutte contre la pauvreté à l’instar de l’INDH, du programme de l’habitat social, des aides directes, de l’accès aux services sociaux, etc….dont les résultats demeurent modestes.

Khalid Soudi: Essoufflement du modèle du développement

Pour la HCP, l’essoufflement du modèle de développement ne date pas d’aujourd’hui, il remonte à une dizaine d’années, quand le HCP avait en 2007 appelé à une révision des modes de production et de distribution des richesses, selon Khalid Soudi, directeur de l’observatoire des conditions de vie au Maroc, qui intervenait sur le thème «la pauvreté au Maroc, approches et dynamique».

Une grande partie de la richesse du Maroc, estimée à 40 pc du revenu national, est en effet répartie de manière inéquitable, a-t-il dit, appelant à la promotion de la démocratie sociale pour pouvoir redresser la situation.

Exposant les différentes approches de mesure et de la dynamique du phénomène de la pauvreté, il a fait la distinction entre l’approche de la pauvreté monétaire, l’approche de la pauvreté multidimensionnelle, l’approche de la pauvreté subjective et l’approche internationale de la pauvreté comparée.

S’inspirant de la théorie welfariste, l’approche de la pauvreté monétaire fait de la pauvreté un état de revenu bas, socialement inacceptable ou de pouvoir d’achat réduit. Elle se reflète à une situation de bien-être pour une frange de la population dont la satisfaction des besoins est considérée incomplète ou insuffisante.

L’approche de la pauvreté multidimensionnelle est une approche synthétique qui tente de dresser un vecteur de besoins non satisfaits dans différentes dimensions de la vie. L’accumulation de ces facteurs et leurs jonctions sont à l’origine de cette forme de pauvreté et de sa reproduction sociale. Cette approche est définie en référence aux travaux de J. Rawls et A. Sen sur le contrat social.

L’approche de la pauvreté subjective s’applique à mettre en relief le sentiment de pauvreté en s’attachant aux perceptions des individus et à comprendre les processus de pauvreté par l’analyse des choix comportementaux. La mesure de la pauvreté ressentie, appelée aussi subjective, permet de mettre en valeur le rapport social qu’une population entretient avec la notion d’être pauvre.

Quant à l’approche internationale de la pauvreté comparée, elle est fondée sur l’approche de la pauvreté monétaire moyennant différents seuils.

Appliquée au cas marocain, l’approche de la pauvreté monétaire fait ressortir une diminution de son taux de 15 pc en 2001 à 4 pc en 2014. Elle confirme aussi qu’il s’agit d’un phénomène rural en premier lieu.

Aux termes de ses travaux et études, le HCP a établi une cartographie de la pauvreté, qui souligne l’approfondissement des inégalités et déséquilibres territoriaux, en dépit de l’amélioration de la situation au niveau de la pauvreté monétaire.

Selon le HCP, une amélioration a été enregistrée aussi au niveau de la pauvreté multidimensionnelle, son taux a diminué de 25 pc en 2004 à 8,4 pc en 2010.

Malgré ces améliorations il y a une tendance de l’accentuation de la pauvreté subjective, la majorité de la population n’arrivant pas à réaliser ses objectifs, a-t-il encore dit.

Omar Aloui: l’impact du changement de la structure démographique

Tout en soulignant la pertinence des enquêtes et travaux du HCP sur la diminution de la pauvreté au Maroc, Omar Aloui, économiste-consultant a fait savoir que cette tendance ne signifie pas pour autant une sortie durable du phénomène, pour la simple raison que les programmes de lutte sont axés sur les travaux d’infrastructure et non sur le social et l’humain.

On lutte contre la pauvreté à travers la construction des routes, des barrages, des écoles, tout en occultant le ciblage, la formation, l’insertion et tout ce qui est de nature à donner aux intéressés les armes et outils nécessaires pour s’en sortir eux-mêmes pour ne plus être assistés, a-t-il expliqué dans un exposé intitulé «du ciblage des aides sociales à la sortie de la pauvreté que nous apprend l’expérience internationale»?.

Procédant à une évaluation de la situation démographique, il a noté que le Maroc enregistre l’un des taux d’activité en la matière des plus faibles au monde. La structure démographique a changé et la population active qui était majoritaire et supportait les autres est devenue minoritaire actuellement, a-t-il dit. Dans le passé, cette population faisait la richesse du pays, rôle qu’elle ne peut plus jouer actuellement, a-t-il dit, ajoutant que les bienfaits et largesses de la libéralisation de l’économie sont terminés.

Il a fait observer de même que les transferts des Marocains du monde ont dégringolé depuis 2008, année à partir de laquelle des pays comme l’Espagne et l’Italie sont entrés dans la récession.

Idem pour l’exploitation des ressources naturelles (terre, eaux souterraines, bois, forêts, pêche) qui permettait à une partie de la population de subvenir adéquatement à ses besoins, a-t-il dit.

Revenant sur les moyens de lutte contre le phénomène, il a passé en revue un certain nombre de modèles asiatiques et latino-américains, qui méritent d’être pris en considération comme c’est le cas du Chili et surtout de l’Argentine où le procédé mis en œuvre au lendemain de la crise de 2001 a donné des résultats probants. L’effort consenti a en effet permis de réduire le nombre des personnes assistées de 2 millions à 600.000 seulement.

La politique mis en œuvre se fondait sur le couplage de l’aide et de la formation pour permettre aux personnes de retrouver un emploi et une activité qui les fassent sortir une fois pour toutes de la situation de pauvre.

En Asie, c’est surtout le problème du secteur informel. Là certains pays ont mis en place des programmes de protection de ceux qui en ont besoin dans le secteur informel, mais qui ne peuvent pas se payer cette protection sociale.

Abdeslam Seddiki: le modèle de développement en place génère la pauvreté

Pour sa part, Pr Abdeslam Seddiki, membre du BP du PPS a traité dans son intervention de la problématique de «la lutte contre la pauvreté et le nouveau modèle de développement», soulignant que le système libéral en place, qui se fonde sur la loi du marché, est générateur de pauvreté.

Selon lui, il n’y a point de doute, la pauvreté existe, même si les chiffres montrent un recul dans son ampleur. Mais elle n’est pas fatale. Tout le monde ou presque le reconnait : elle est le produit d’une certaine politique et de certains choix en matière de développement.

Selon le HCP, la pauvreté a reculé de 2001 à 2014 de 15,3 à 4,8% (1 605.000 pauvres en 2014 contre 4 461.000 en 2001).

Il existe aussi une pauvreté relative ou multidimensionnelle qui concerne une bonne partie de la population qui vit dans la vulnérabilité qui s’explique par le fait qu’il suffit d’un simple accident de parcours pour qu’elle bascule dans la pauvreté (sécheresse, perte d’emploi, maladie chronique d’un membre de la famille, etc…). Cette pauvreté touche au moins le quart de la population marocaine, selon Pr Seddiki.

Abordant la lutte contre la pauvreté, il a souligné que les pouvoirs publics ne font malheureusement que colmater les brèches, sans aller jusqu’à s’attaquer à la maladie elle-même comme le montrent tous les programmes lancés depuis des années.

Pour pouvoir lutter de manière efficace, c’est le modèle de développement en place qu’il convient de réviser, a-t-il martelé. C’est le citoyen qui doit être placé au centre de toute œuvre de développement, loin de toute formule d’assistanat ou de bienfaisance, a-t-il estimé, affirmant que l’actuel marché de l’emploi n’inclut que 15 pc des jeunes en quête d’emploi.

Le taux d’activité des femmes ne dépasse pas 24%, a-t-il ajouté, soulignant que cette situation fait perdre au pays 10% du PIB.

Il est également revenu sur la répartition inéquitable des richesses, faisant savoir que quelque 10% des familles les plus riches du pays détiennent 68 pc de cette richesse. Pour redresser la situation il a avancé une série de propositions dont la mise en œuvre de la régionalisation avancée, la promotion de la démocratie participative pour faire participer les masses à l’oeuvre de développement du pays, le rétablissement de la confiance de ces masses, la création d’un marché inclusif, la garantie des chances pour tous les citoyens, et la mise en place d’un système fiscal équitable assurant l’égalité devant l’impôt et de filets de sécurité au bénéfice des personnes aux besoins spécifiques.Au cours du débat qui s’en est suivi une série d’interrogations ont été soulevées sur les effets de l’effritement de la Caisse de compensation, la généralisation du phénomène de la mendicité, l’accroissement des crédits à la consommation, le manque de la volonté politique d’éradiquer le phénomène, la pertinence des programmes mis en place tels l’INDH, le fonds de développement rural et d’autres. Au terme de cet échange d’idées, de nombreux intervenants ont appelé au retour à la planification dans le but de quantifier les besoins et de mobiliser les moyens d’y faire face. Ils ont également insisté sur la nécessité pour le pays de renforcer davantage sa démocratie dans le but de se donner plus de moyens de lutte contre la pauvreté.

M’barek Tafsi

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