Entretien avec le réalisateur, Hassan Benjelloun

«La question palestinienne est devenue secondaire pour beaucoup de pays arabes!»

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

«Pour la cause», nouveau film du réalisateur Hassan Benjelloun, a été projeté, mardi 3 mars, à la mythique salle de Roxy à Tanger, dans le cadre de la compétition officielle de la catégorie du long-métrage. Le film relate l’histoire de deux musiciens : Karim (musicien palestinien) et Sirine (chanteuse française d’origine juive). Les deux artistes interprétés par les acteurs Julie Dray et Ramzi Maqdisi feront les mains et les pieds pour traverser les frontières maroco-algériennes afin de rejoindre leur troupe musicale pour livrer un concert à la ville d’Oran. Le film aborde la question de la cause palestinienne avec beaucoup de légèreté, mais aussi la question de la mobilité des artistes et de l’absurdité des frontières.

Al Bayane : Votre film «Pour la cause» traite la question palestinienne mais avec un souffle humoristique voire légère. A vrai dire, on est loin d’un film politique.  Est-il un choix un choix esthétique ou personnel?

Hassan Benjelloun : D’abord, c’est un choix d’approche parce que depuis longtemps que je voulais parler de la question palestinienne, mais je ne voulais pas qu’elle soit avec des discours, mais plutôt d’une façon légère et surtout profonde. Dans ce film je donne la solution à savoir que tous ces pays arabes laissent tranquille la Palestine qui peut trouver la solution non pas avec les israéliens sionistes mais avec les juifs. Une autre question que j’avais posée, c’est comment un marocain voit la cause palestinienne. C’est une chose qui m’a beaucoup intrigué parce qu’il y a beaucoup d’hypocrisie en ce qui concerne la cause palestinienne.

Y a-t-il une part du réel dans ce film ? Une partie peut-être  de votre vécu?

Oui, c’est une histoire vraie, mais dans un contexte. C’était une histoire que j’ai vécue en 1972. Je traversais l’Autriche et la Tchécoslovaquie. En effet,  dans les frontières entre le monde capitaliste et le monde communiste, ils m’ont arrêté, ils m’ont dit que votre photo du passeport ne correspond pas à votre aspect parce que j’avais les cheveux longs. C’est presque la même histoire parce que j’étais avec une copine qui était aussi artiste!

Les autrichiens nous ont pas  laissés entrer parce que je n’avais qu’un seul visa de passage.  Mais après ils étaient sympas, et ils m’ont laissé passer et ils m’ont indiqué un village qui était tout proche. J’ai trouvé un salon de coiffure pour les femmes, j’ai coupé mes cheveux et j’ai pris par la suite une photo avec le nouveau look. Or les autrichiens nous ont laissé passer grâce à Jaques Brel parce que à un moment quand ils nous ont demandé de prendre la photo, on a commencé à chanter Brel. Il y avait un parmi les douaniers qui était fan de ce chanteur. Il est venu nous voir, et il nous a dit : «Vous aimez Jaques Brel ?» on lui a répondu que oui. Il nous a dit : «je vous laisse passer grâce à Jaques Brel. Allez prendre la photo, mais revenez avant 6h du matin».

Il faillait attendre 5h du matin pour prendre la photo et retourner aux frontières.

Donc je voulais tourner ce film entre le monde capitaliste et le monde socialiste parce que l’histoire était écrite depuis les débuts de mon cinéma, mais je ne pouvais pas le faire parce que je n’avais pas ni les moyens pour tourner en Autriche, ni en Tchécoslovaquie ; alors j’ai gardé ce scénario pour longtemps. Après quand je voulais parler de la cause palestinienne, je l’ai adaptée à cette histoire.

Dans le film, la musique et l’art étaient  des fils conducteurs de l’histoire. D’abord, il y a le jeune musicien palestinien et la jeune musicienne française d’origine juive. Que voulez-vous dire par ce choix?

L’art ouvre des frontières. En outre, j’ai créé cette histoire de musiciens qui ont parlé de la cause palestinienne et de leurs origines.

Dans le film, il y a aussi ce traitement de la question de la mobilité des artistes qui est mondiale non seulement régionale ou locale. Vos personnages ont rencontré la même entrave?

Exactement. En fait, dans le film, il y a deux positions différentes : une française d’origine juive mais qui n’était pas sioniste. La prévue, c’est qu’elle va dans des endroits où il y a les arabes et où on cite des poèmes de Mahmoud Darwich. C’est très important ! Dans le film, il y a deux personnes  qui sont unis grâce à la musique et par ce problème d’immigration. Les deux personnages sont commencés à parler de leurs histoires différentes, et ce qui les réunissent et unissent ; c’était la musique et l’immigration. Dans le film, on vécu l’absurdité des frontières aussi.

Aujourd’hui la question palestinienne remonte sur la surface avec le «deal du siècle». En contrepartie, il y a grand débat au autour de cette question. Pensez-vous que la question palestinienne  est une priorité aujourd’hui –au premier plan- surtout pour les Etats arabes?

La question palestinienne est une question qui est devenue secondaire pour beaucoup de pays arabes. Je pense que la cause palestinienne quant à elle est devenue vraiment très secondaire avec tout ce qui se passe dans les pays arabes surtout après le «printemps arabe» et les problèmes et les destructions des pays arabes. Il faut rappeler, en revanche,  que c’était cette la cause  palestinienne qui donne de la force à ces pays là. Maintenant on voyait que cette question est passée au deuxième plan, secondaire. Et ça m’a fait mal parce que c’était le moment de parler de la Palestine. Par contre, je suis heureux parce qu’il y a beaucoup de jeunes qui posent cette question relative à la cause palestinienne. Ainsi, le but du cinéma, c’est de susciter un débat et inciter à la réflexion.

Il faillait peut-être posé cette question dès le début ! Vous êtes pharmacien : comment êtes-vous venus au monde du cinéma et de la réalisation?

J’allais dire j’étais cinéaste avant d’être pharmacien, parce que j’avais toujours envie de faire du cinéma, mais mon père ne voulait pas. Donc j’ai fait les études de pharmacie, mais j’avais toujours derrière la tête l’idée de faire le cinéma parce que j’aime raconter des histoires (je suis un fils de la Halka). Même en rentant de France, à la faculté de médecine, j’ai créé un moyen pour filmer les opérations chirurgicales. Alors après avoir créé ma pharmacie, je suis retourné à Paris. Autrement dit, j’étais cinéaste avant d’être pharmacien.

Aujourd’hui, il y a une vague de jeunes réalisateurs qui sont entrain de tracer leurs chemins avec leurs regards, sensibilités et visions artistiques. Qu’en pensez-vous de cette ‘’mouvance’’?

Je suis content de voir une relève fertile et assez nombreuse. Mais je trouve que l’imaginaire est un peu laisse à désirer. Certes, faire un film, aujourd’hui, est devenu facile. Avant on creusait pour faire un film,  on avait tout le temps pour le préparer. De nous jours, ils y passent facilement à la réalisation. Avant on passait entre 3 et 4 ans pour réaliser difficilement  un court métrage. Mais je suis confiant parce que la relève est assurée par quelques réalisateurs qui sont très intéressants.

Est-il encore facile de faire un film dans un pays où il n’y a pas une vraie industrie cinématographique, où les salles de cinéma se ferment jour après jour? Pensez-vous que faire un film est-elle une aventure à risque?

C’est vrai, c’est un risque parce qu’on n’a pas assez de salles de cinéma. Alors soit tu fais un film grand public «rigolo» pour faire des chiffres, chose qui ne m’intéresse pas personnellement, soit tu t’aventures dans un film.

 Heureusement, il y a la subvention de l’Etat si non ça ne serait pas  rentable. La culture n’a pas était toujours rentable ! Je pense que la culture est une utilité publique,  c’est un peu comme tous les autres services comme la santé. Or, il faut que l’Etat investisse dans la culture, et surtout avoir une volonté politique pour développer ce secteur. Dans ce cadre, la culture pourra être génératrice de revenus.

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