Habiba El Madkouri, la pionnière

Audacieuse, talentueuse, une comédienne de grand calibre! Habiba El Madkouri fut la première femme à mettre les pieds, dans les années 40 et 50, sur les planches du théâtre national. Et pour cause, à l’époque, il fallait du courage et beaucoup de volonté pour franchir un domaine dominé par la gent masculine.

Habiba a pu changer complètement la donne et s’inscrire en faux contre une mentalité chargée de stéréotypes et de clichés. La défunte a marqué la mémoire et les esprits en interprétant le rôle de la mère marocaine qui contribuait à la construction et la formation de la société.

Très tôt déjà, à l’école, elle faisait du théâtre. Au début, c’était une passion.  Elle suivra son premier amour, le théâtre, jusqu’au bout. A l’âge de 13 ans, Habiba remarqua que ce sont uniquement les hommes qui monopolisaient la scène et incarnaient en même temps les rôles de femmes. Elle se lance alors dans une aventure  ô combien «dangereuse» et impressionnante  dans un contexte  où il est difficile voire «honteux» pour une femme de monter sur scène et jouer devant le public.

Habiba El Madkouri défia les rapports sociaux et les regards conservateurs de la société de l’époque. Discrètement, elle commença des répétitions avec une troupe locale, puis monta sur scène pour incarner  le rôle d’une femme. C’était une pièce qui abordait une question nationale au temps du protectorat. Un événement… Après avoir joué plusieurs rôles dans des troupes indépendantes, elle intégra  la troupe radiophonique du dramaturge et maestro, Abdellah Chakroun qui avait convaincu sa famille de travailler avec lui. La passion la guida encore une fois  jusqu’au bout…

«Les pages ne suffiront pas pour parler de ma deuxième mère, Lhaja Habiba El Madkouri, qui occupe une place importante dans mon cœur et mon esprit. Elle a en effet une place majeure  dans la mémoire marocaine et arabe parce que ses collaborations artistiques dépassaient les frontières marocaines», nous a confié l’acteur et homme de théâtre, Anouar Al Joundi.

Habiba a été parmi les voix qui ont marqué la radio nationale qu’elle considérait elle-même comme un pilier et une pépinière où l’artiste travaillait avec son âme, son cœur et son esprit  afin de transmettre ses idéaux, ses visions et ses lettres de noblesse aux auditeurs. La radio était bel et bien une école à l’ère du protectorat ; les artistes étaient en quelque sorte la voix du peuple.

«Je n’oublierai pas son rôle dans le film « Assalha » avec Yehia Chahine qui a été fasciné par son jeu. Elle a laissé sa trace dans de nombreuses productions internationales. On a travaillé ensemble depuis la création de la troupe théâtre des arts Fatima Benmeziane avec des vedettes du théâtre marocain comme Habiba El Madkoura, Amina Rachid, Ouafae Lhrawi, Zhour Lmaamri, Safiya Ziyani, Lmahjoub Radi, Zineb Smayki et d’autres », ajoute Anouar Al Joundi.

Les artistes ne font pas de l’art uniquement pour le divertissement, mais portent dans leurs rôles un message de grande portée nationale. Elle avait ce don de s’adapter à tous les rôles, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Habiba était une artiste très exigeante dans le choix de ses rôles. Elle admirait la valeur esthétique et humaine du jeu.  Elle militait également pour sa réputation et son image d’artiste pionnière. Un long parcours qui lui a valu des années de travail pour graver son nom parmi les grands. Elle a joué dans plusieurs pièces de théâtre dont «Oulad La3agra», «Safar mabrouk», «Assir Al maktoum», «L’avare», «Qui est le criminel?», «Le premier verre», pour ne citer que ceux là.

«Habiba El Madkouri a enrichi le répertoire de la radio avec des œuvres inoubliables dans les différents domaines, et par la suite, les rôles se sont multipliés  dans la télévision. On a joué dans plusieurs pièces de théâtre dont «Koulha Ylghi Blghah», «Saadi B Rajli» et d’autres. Même malade, elle se déplaçait avec nous dans les tournées au Maroc et ailleurs», conclut Al Joundi.

Dans le cinéma, elle a immortalisé son passage en participant à plusieurs œuvres cinématographiques telles que «Doumaa Nadam», «Sidna Aissa», «Casablanca», «Où cachez-vous le soleil?», ainsi que d’autres films étrangers, notamment en français, anglais et  italien. Le théâtre marocain lui doit beaucoup.

Mohamed Nait Youssef

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