La question du scénario

«Damlij Zhirou»

D’où vient l’idée du scénario ? S’interroge-t-on dans les manuels d’initiation au scénario. La question fait partie de toute une panoplie d’interrogations récurrentes quand on aborde cet art aussi vieux que l’humanité, car il est partie prenante de la vie humaine qui se nourrit de récits et de multiples formes narratives qui supposent une scénarisation consciente ou spontanée.

Dans le contexte spécifique de notre cinéma, la question du scénario a été abordée non sans une certaine inflation verbale, présentée comme la panacée face à l’impasse d’un certain cinéma. On a réduit alors la problématique à sa seule dimension dramatique; ramenant les enjeux multiples et multidimensionnels de l’écriture à des questions de méthode. C’est ainsi que depuis pratiquement le milieu des années 1990, l’offre de formation au scénario occupe l’essentiel de la programmation de nombreuses manifestations cinématographiques à travers le pays.

Partout, des maîtres ès scénario proposent et animent des ateliers de formation au scénario. Le résultat nous met devant un autre paradoxe marocain : jamais ce que l’on appelle la crise de l’écriture pour le cinéma n’a été aussi palpable que depuis cette explosion de la formation au scénario. Au point que même l’institution en charge du cinéma a instauré une résidence de remise à niveau des scripts ayant déjà été sélectionnés pour l’avance sur recettes; C’est ainsi qu’on a vu des noms prestigieux du cinéma marocain ayant été par le passé récompensés pour la qualité de leur scénario, décider de faire preuve d’humilité et ont confié leur «texte» à des «script doctors» pour des soins intensifs sous le climat tonique de la belle ville d’Ifrane. Pour quel résultat ? La formule est séduisante, mais elle ne garantit pas l’issue du processus. La crise du scénario n’est pas en aval, elle est en amont. La crise du cinéma ne se réduit pas à la qualité du scénario, elle est la conséquence de tout un écosystème.

Je préfère revenir à l’idée du scénario ; à ce qui nourrit l’inspiration du scénariste. «S’il paraît difficile de légiférer  en matière d’imaginaire, les sources d’inspiration, elles, peuvent être soumises, sinon à une analyse, tout du moins à un recensement» écrit  Dominique Parent-Altier dans son «Approche du scénario». Les sources d’inspiration sont ancrées dans une série de paramètres universels : elles font partie de l’expérience humaine et s’incarnent dans la tradition…comme la malhoun, ce genre musical populaire né du brassage historique entre les cultures qui font l’héritage culturel marocain. L’autre jour, j’écoutais dans ma voiture une compilation de chansons du malhoun par le maître Toulali. L’une d’entre elles offre un excellent modèle, non seulement d’idée pour une intrigue, mais elle la propose entièrement scénarisée. Il s’agit de Damlij Zhirou (le bracelet de Zhirou) : c’est un récit oral mais très visuel autour d’un argument dramatique universel, celui de la quête que mène un sujet autour d’un objet pour parvenir à une fin. En l’occurrence, un schéma narratif canonique avec une situation initiale, celle de deux amants qui échangent autour de leur amour. L’élément déclencheur arrive quand l’amant perd le bijou que sa bien-aimée lui avait offert en gage de sa fidélité ; suit alors la quête qui le mène dans un voyage dans la ville qui frise le fantastique ; arrive l’élément de résolution avec la rencontre avec deux ravissantes femmes qui lui annoncent que le bijou est disponible (le climax) et puis la situation finale avec la récupération du bracelet et les retrouvailles avec la bien-aimée. La modernité du récit n’est pas seulement dans sa dramaturgie qui reprend une  structure similaire à celle, par exemple, du Voleur de bicyclette dont il se distingue par sa fin en happy end. Moderne également  par son univers de référence, les images auxquelles il renvoie, la progression qu’il propose…et puis la confrontation avec le cinéma n’est pas fortuite puisque la rencontre heureuse qui va aboutir à la résolution du drame se fait devant une salle de cinéma, là où le héros rencontre les deux beautés qui lui annoncent la bonne nouvelle.

D’où vient l’idée ? De la vie pardi !!!

Mohammed Bakrim

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