Jamal Eddine Naji expose les perceptions des médias du monde carcéral

Devant 180 détenus à la prison Oudaya de Marrakech

Invité par la DGAPR, à intervenir dans le cadre de la 4ème édition de son Université de printemps, tenue cette année à la prison Oudaya de Marrakech, les 28 et 29 mars, Jamal Eddine Naji, directeur général de la HACA, s’est proposé, pendant près d’une heure, à démontrer que médias et prisons constituent, au Maroc, deux mondes, deux systèmes complexes, quasi exclusivistes, chacun jaloux de son intégrité, de sa complexité, de sa mission, de ses règles et pratiques.

Ouvrant ainsi une série de conférences, programmées par cette université, avec l’implication notamment d’écrivains (Abdelkader Chaoui), de juristes (Driss Belmahi), d’experts en Droits de l’Homme (Habib Belkouch), Naji a revisité, à l’occasion, aussi bien l’imaginaire collectif des Marocains concernant la prison, l’emprisonnement (convoquant même l’originelle «matmoura » ou «l’exil en terre oubliée ou trou de bannissement»…), que l’historique, depuis des siècles, des pratiques sociales et perceptions populaires à l’endroit du prisonnier, sujet frappé, dans la mémoire collective par la marginalisation, l’exclusion de tous les espaces de la vie collective, du monde «normal», du «vivre ensemble», de la communauté, in fine.

Devant un parterre de près de 200 détenus, femmes et hommes, titulaires de licences, de masters ou même de doctorats obtenus en prison, il souligna, par une formule, que le «diable» était dans la société, qui n’est pas le détail dans la problématique du thème de cette université («L’image de la prison et la réinsertion»), mais toute l’équation. Il précisa, dans ce sens, qu’il s’agit de lever le voile sur deux dimensions de cette équation ou problématique : la relation prison/prisonnier face à la société, puis les médias face à la société. Ceci, sans faillir quant à la nécessaire contextualisation, le Maroc (d’hier et d’aujourd’hui). Un contexte qui doit être éclairé, dans l’analyse, par des approches historiques, socioculturelles, linguistiques (les mots ont leur importance comme les proverbes, maximes ou légendes populaires), politiques et juridiques…

Concernant les médias confrontés au monde carcéral, le conférencier a évoqué l’inévitable rupture, toujours redoutée, entre la société et ses médias, en développant des questions telles que : «le journaliste, connaît-il le monde de la prison avant de pratiquer le journalisme ? Dispose-t-il de connaissances suffisantes sur ce monde carcéral, sur le statut et le vécu du prisonnier, ses droits, sa détresse, ses conditions, ses peines et malheurs, ses combats, son « humanité« , ses espoirs et ambitions au plan de la réinsertion ?»… L’ex journaliste et ex professeur de journalisme, éclaira ainsi longuement la question de l’image discriminatoire, stéréotypée et stigmatisante que véhiculent généralement nos médias sur la prison, sur le prisonnier, en faisant confronter, devant les participants et participantes, des exemples de règles professionnelles et valeurs éthiques du journalisme de l’excellence à des exemples de pratiques journalistiques condamnables qui sont de plus en plus de mise dans notre paysage médiatique.

Pratiques qui violent les droits fondamentaux de la personne incarcérée ou juste accusé (le droit à l’image, le droit à la vie privée, à l’intégrité inviolable de l’identité, les droits des familles et des proches etc.), le droit à l’oubli, au pardon et le droit fondamental à une réinsertion digne, complète et utile pour le concerné – e-comme pour la communauté nationale.

Plusieurs détenus, bénéficiaires de cette université de printemps, ont pu, par la suite, interpeller Naji pour leur apporter des éclaircissements, d’abord sur plusieurs points de son intervention, ensuite pour faire part de leurs opinions, parfois chargées de beaucoup d’émotion, concernant plusieurs questions concernant la relation entre médias et monde carcéral. Certains d’entre eux (et elles) évoquèrent leurs déboires et autres frustrations de ne pouvoir répondre à des narrations qu’ils jugent erronées du chemin qui les a menés à la prison. Pour d’autres, une certaine partie de la presse donne une mauvaise image d’eux, irréelle, voire assassine, sans appel, de leur identité, de leur histoire intime, de leurs milieux et proches, se disant victimes d’une sous-information qui les stigmatise et les marginalise systématiquement.

Un échange de témoignages et d’aveux douloureux, souvent, qui permit au conférencier de marteler la piste avec laquelle il avait conclu son intervention : que le prisonnier s’approprie l’outil médiatique, en créant, par exemple, un journal (ce qui a déjà été lancé par la DGAPR), une radio (qui est en projet chez la DGAPR).

A cet égard, Naji cita l’exemple, bien singulier depuis un siècle et demi, aux USA : une association de plusieurs radios et journaux de plusieurs prisons à travers ce vaste pays qui compte la population carcérale la plus nombreuse au monde.

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