Nabil El Bousaadi
Au Kirghizistan, ce petit pays montagneux qui est le plus pluraliste mais aussi le plus instable des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, une sévère crise politique avait débuté dès la proclamation des résultats des élections législatives du 4 Octobre dernier au terme desquelles deux partis proches du président pro-russe Sooronbay Jeenbekov, 61 ans, élu en 2017, sont sortis victorieux.
Cette victoire n’ayant point été du goût d’une opposition qui s’est empressée de crier à la fraude ni de celui de ces petits partis qui n’avaient pu gagner aucun siège à l’assemblée, des milliers de personnes sont descendues, dès le lendemain, dans les rues de Bichkek, la capitale, afin de manifester leur mécontentement et de réclamer la démission du président, la tenue de nouvelles élections et la libération des «prisonniers politiques». Les violentes échauffourées entre policiers et manifestants qui s’en sont suivi ont fait au moins un mort et plus d’un millier de blessés.
Mais il convient de préciser, néanmoins, que les protestataires n’ont rencontré aucune résistance quand ils décidèrent d’envahir les bâtiments où étaient détenus l’ancien président Almazbek Atambaïev et ses proches collaborateurs, condamnés à onze années d’emprisonnement afin de les libérer.
Parmi les personnalités de l’ancien régime délivrées ce jour-là, figure Sadyr Japarov, incarcéré pour avoir participé à la prise d’otage d’un gouverneur régional et qui, ce mercredi, a été «promu» au poste de premier ministre, par le président Jeenbekov alors même que la veille, le chef de l’Etat avait refusé de valider sa désignation à l’issue d’un premier vote controversé.
Mais si cette nomination qui est intervenue dans des conditions assez douteuses après la pression exercée par ses partisans lorsqu’ils décidèrent d’occuper la rue et certains bâtiments publics, pose moult interrogations, elle constitue, néanmoins, un compromis conclu entre les deux hommes afin qu’il soit rapidement mis fin aux manifestations qui ébranlent le pays depuis une dizaine de jours.
Aussi, en guise de coup de théâtre de dernière minute, le président Jeenbekov qui avait vainement tenté, la veille, de retarder cette échéance, finira, tout de même, le lendemain, par annoncer sa démission en invoquant «l’intégrité et la paix» bien mises à mal depuis dix jours et son ardent désir de ne point «s’accrocher au pouvoir» afin de ne pas «entrer dans l’histoire du Kirghizistan comme étant le président qui a(ura) fait couler le sang en tirant sur ses concitoyens».
Ajoutant, par ailleurs, que seuls comptent pour lui «l’intégrité du pays, l’unité du peuple, l’harmonie de la société, la santé de chaque citoyen et la vie de chaque compatriote», le président démissionnaire saisira cette occasion pour exprimer sa gratitude envers tous les Kirghizes qui ont cru en lui et l’ont soutenu tout au long de ses trois années de présidence. Il souhaitera, enfin, plein succès au nouveau gouvernement ayant, désormais, à charge le sort du pays et de sa population.
A cela, Arkadi Doubnov, expert de l’Asie centrale, répondra que trois années après avoir hérité de la présidence du Kirghizistan des mains d’Almazbek Atambaïev, Sooronbay Jeenbekov «part aussi facilement qu’il était arrivé» en ne cherchant ni à mobiliser ses partisans pour se maintenir en place ni à faire appel à l’armée pour briser la contestation.
La Constitution kirghize prévoit qu’en cas de démission du chef de l’Etat, son remplacement est assuré par le président du Parlement. Or, en ne voulant pas assumer cette fonction, le président de l’assemblée a, automatiquement, laissé sa place au premier ministre nouvellement élu Sadyr Japarov, comme le stipule le texte constitutionnel.
Assistons-nous à un simple répit dont la durée sera fonction de la satisfaction des attentes des uns et des autres ou, alors, à la fin de cette crise politique qui menaçait de plonger le Kirghizistan dans le chaos ? Attendons pour voir…